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Financer la mobilité : la gratuité des transports publics ?

Afin de réduire la place de l’automobile en centre-ville, les municipalités cherchent à promouvoir leurs réseaux de transport en commun. Depuis quelques mois, certaines communes françaises ont choisi d’instaurer leur gratuité. Plusieurs collectivités comme Paris ont lancé une réflexion sur la faisabilité et la pertinence de la mise en œuvre de la gratuité des transports publics, s’inscrivant dans une remise en cause de la voiture en milieu urbain dense. Mais cette mesure peut-elle véritablement permettre d’atteindre les objectifs escomptés ? Ne cache-t-elle pas toute la complexité des systèmes de mobilité ? Enfin, comment financer le fonctionnement et la maintenance des réseaux de transport en commun ?

C’est pour éclairer le débat actuel sur la gratuité des transports publics que La Fabrique de la Cité accueillait le 14 novembre 2018 Jean Coldefy, directeur du programme Mobilité 3.0 à l’ATEC-ITS dans le cadre d’une série d’événements sur le financement de la mobilité. Cette présentation intervenait à l’occasion de la publication par La Fabrique de la Cité de son point de vue d’expert intitulé « La gratuité des transports en commun va-t-elle faire décroître l’usage de la voiture ? ».

Des initiatives cantonnées aux petites villes

La gratuité des transports publics n’a jusqu’ici fait l’objet d’expérimentation que dans les petites villes. Dunkerque est, depuis de septembre 2018, la première commune française de plus de 200 000 habitants à franchir le pas. Au-delà, seule Tallin, la capitale estonienne et ses 440 000 habitants a tenté l’expérience dans son centre-ville.

La mesure est double : elle vise à réduire le trafic dans les centres urbains pour limiter congestion et émissions polluantes tout en facilitant la mobilité des résidents à faibles revenus.

Un financement des transports publics subventionné

Les effets des signaux-prix ont été réduits dans les années 1970 et 1980 après l’introduction d’abonnements de transports en commun. À l’origine censés simplifier la billettique, ils ont eu pour effet d’annuler le coût marginal de tout déplacement supplémentaire. La déconnexion de la tarification des transports publics à leur usage est intensifiée par la part élevée du subventionnement du réseau. À Paris, l’usager ne couvre que 28% des coûts de fonctionnement du réseau, loin du véritable coût de son utilisation du service. Pour se déplacer à Madrid, il en coûtera 140€/ mois au voyageur, 190€ à Berlin et 400€ à Londres… contre 75€ dans la capitale française.

Le financement déjà difficile des réseaux de transports a pour conséquence une détérioration du service et une capacité d’investissement et d’innovation moindre. Le budget d’Île-de-France Mobilités (ex-STIF), actuellement de 9,5 milliards d’euros, devrait être augmenté à 15 milliards d’euros en 2030 afin d’absorber les coûts du Grand Paris Express de l’ordre d’1 à 1,2 milliards d’euros par an et l’augmentation des coûts d’exploitation (environ 300 millions d’euros sur les cinq dernières années). La gratuité des transports en commun fragiliserait un peu plus les finances publiques.

Des résultats contrastés

La gratuité des transports publics supprime le signal prix et encourage l’utilisation des réseaux de transports en commun (bus, métros et tramways) par un public jusqu’alors non usager. Or les grandes métropoles souffrent aujourd’hui d’une saturation de leurs transports en commun, et le report d’une partie des navetteurs sur eux contribuerait à aggraver la situation.

Loin de convaincre les automobilistes de changer leur comportement, la gratuité des transports en commun agit majoritairement sur les piétons et cyclistes. Jean Coldefy nous rappelle qu’à Lyon, 25% des utilisateurs de la ligne A du métro l’emprunte pour un voyage d’une station unique, soit 300m.  Certaines villes américaines telles que Denver ont tenté l’expérience dans les années 1970 et 1980 avant de faire marche arrière devant le constat d’une inadéquation de la mesure avec les objectifs de réduction du trafic, le report modal sur les transports publics étant presque entièrement le fait de piétons.

Quant à Tallin, le bilan de la gratuité des transports publics est mitigé : mise en œuvre en 2013, la fréquentation des transports en commun a augmenté de 14% et le trafic a baissé de 6% Néanmoins, des effets de bords – une augmentation de la circulation – ont été constatés en dehors du périmètre central où les transports sont gratuités.

Le problème occulté de l’accessibilité des territoires éloignés

La gratuité des transports occulte un problème de mobilité dont les racines sont plus profondes. Les transports publics desservent les cœurs de villes et leur gratuité bénéficie principalement aux résidents les plus aisés. En l’espace de 40 ans, les ménages à faibles revenus ont été contraints d’investir la périphérie, chassés des centres-villes par des prix du foncier trop élevés. Pendant ce temps, 30% des emplois ont été relocalisés dans les centres-villes, conduisant à un allongement des distances domicile-travail : selon les enquêtes ménages, un navetteur français parcourt quotidiennement 15km en une heure en moyenne. Pourtant, en périphérie, l’accessibilité du foncier va souvent de pair avec un service de transport de moindre qualité voire inexistant.

Loin des densités de transports publics des grandes villes, la voiture est souvent l’unique solution de mobilités dans les périphéries. Il apparaît alors clairement que les objectifs sociaux de la gratuité des transports publics ne sont pas nécessairement atteints, car profitant principalement à des ménages vivant en centre-ville et ayant accès aux services que cela implique.

La réflexion sur la gratuité des transports occulte donc de nombreuses problématiques. En agissant sur l’offre, cette mesure en oublie de travailler sur l’offre, qui fait pourtant défaut à de nombreux territoires. À la question de la tarification et du financement s’ajoutent des interrogations sur l’amélioration des liaisons en transports publics, le développement de nouvelles solutions de mobilité et l’aménagement du territoire.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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