Colloque Décider maintenant « Quel avenir pour nos infrastructures ? »
Le réchauffement climatique est un défi majeur, qui nécessite une mobilisation de tous et une action sur le long terme.
Anthony Briant, directeur de l’École Nationale des Ponts et Chaussées et Céline Acharian, directrice générale de La Fabrique de la Cité ont ouvert la matinée sur ce constat de l’urgence climatique. Ils ont souligné la nécessité de former les ingénieurs de demain aux enjeux d’adaptation, mais aussi de faire dialoguer la technique et la mise en œuvre, les sciences sociales et les sciences dures.
Sophie Panonacle, députée de la 8ème circonscription de Gironde, identifie deux risques principaux pour le territoire du bassin d’Arcachon : le recul du trait de côte et les incendies. Le comité national du trait de côte travaille actuellement sur des propositions pour que les communes concernées s’adaptent, et puissent penser des outils fiscaux qui nourriraient un fonds « érosion côtière » et inciteraient à relocaliser les activités.
En ce qui concerne le risque incendie, la loi visant à renforcer la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie sera évaluée prochainement, notamment pour juger de l’efficacité dans la mise en œuvre du plan de prévention des incendies forestiers.
Patrice Geoffron, professeur à l’université Paris-Dauphine, a rappelé que les effets du réchauffement climatique ne sont pas bien connus : des événements prévus pour 2050 s’observent déjà. L’adaptation des infrastructures de réseaux critiques apporte une grande valeur aux collectivités et à leurs habitants, car elles permettent de faire société. Mais cette valeur ne se reflète pas dans les modèles d’affaires des gestionnaires d’infrastructures. Comment financer ces investissements, dont la nécessité et l’urgence sont criantes ? Aujourd’hui, l’adaptation est encore trop sacrifiée face aux exigences du court terme.
Les infrastructures sont un facteur d’attractivité pour les territoires. Elles rendent des services à la collectivité, c’est pourquoi tout ce qui concoure à les détériorer est un problème collectif. Cela dégrade aussi la façon dont nous faisons société.
Des solutions ponctuelles à la nécessaire réponse globale et transverse au défi de l’adaptation
Inondations, canicules, tempête, incendie : nombreux sont les risques auxquels sont soumis les réseaux d’électricité, de transport, de télécommunication, aériens ou enfouis. Comment les gestionnaires de ces réseaux se saisissent-ils de ces enjeux pour adapter ces infrastructures stratégiques ?
Blaise Rapior, directeur général d’Escota, présente les solutions mises en œuvre dans le Sud-Est de la France sur le réseau routier concédé, soumis à des précipitations particulièrement abondantes. Comment répondre à la submersion de plus en plus fréquente d’ouvrages dimensionnés au XXème siècle ? L’adaptation d’équipements impliqués dans des systèmes territoriaux complexes rend plus délicates l’action et la mise en œuvre de solutions. Nicolas Perrin, directeur régional Île–de–France d’Enedis, souligne la forte interdépendance des différentes infrastructures de réseau, par exemple entre des réseaux enfouis et la chaussée qui les recouvre.
Comment mieux anticiper ces interconnexions et dépendances ? Pierre-Antoine Versini, chercheur de l’École Nationale des Ponts et Chaussées, renchérit sur le besoin de dé–siloter la gestion de crise, en travaillant à tout type de solutions, structurelles et non structurelles. Quelques événements ont toutefois permis de renforcer la transversalité : la crainte d’un black-out pendant l’hiver 2022-2023 et la préparation des Jeux Olympiques de Paris 2024. C’est ce que rappelle Romain Bonenfant, directeur général de la Fédération Française des Télécoms, et cette manière de travailler est d’autant plus pertinente pour les réseaux tentaculaires, tels que les réseaux de télécommunications, puisque le réseau mobile est stratégique dans toute crise.
Le cas de l’évolution du trait de côte
Marissa Yates, chercheuse au Laboratoire d’Hydraulique Saint-Venant, rappelle que 900 communes françaises font déjà face aux effets du réchauffement climatique, avec le recul du trait de côte. Pour se préparer, ces territoires littoraux doivent comprendre le risque, observer les tendances passées et présentes puis s’appuyer sur des cartographies de projections. La difficulté réside, selon elle, dans l’adaptation, d’une part aux aléas extrêmes ayant lieu sur une courte période, et d’autre part, aux évolutions très graduelles à long terme. Elle préconise de s’appuyer sur les Solutions fondées sur la Nature et d’améliorer les outils à destination des collectivités.
Après le vote de la loi Climat et Résilience en 2021, les collectivités littorales ont établi des scénarios prédictifs en fonction des données passées. C’est une chose d’étudier le passé, mais c’en est une autre de prévoir l’avenir. En tant que chercheurs, notre rôle est d’améliorer ces modèles de projection pour mieux adapter les infrastructures.
L’action territoriale en première ligne
Yann Wehrling, vice-président en charge de la transition écologique, du climat et de la biodiversité de la Région Île-de-France résume “la marque de fabrique du changement climatique en Île-de-France” par l’alternance entre des périodes de fortes chaleurs et de grande eau. La Région Île-de-France doit gérer ces deux aléas dans un territoire particulièrement dense : 20% de la population française sur 3% du territoire. Pour lui, le principal frein à l’adaptation est le manque de sentiment d’urgence à l’égard du défi climatique ; ce frein ralentit le financement car il est difficile de convaincre qu’il faut investir maintenant. Il appelle à une décentralisation réelle et à confier la compétence d’adaptation aux régions.
Pascal Berteaud, directeur général du Cerema, est optimiste : avec de la volonté, des moyens adaptés et en arrêtant de sacrifier le long terme, nous pouvons encore relever le défi climatique. Il s’agit de regarder comment chaque territoire et les activités humaines qui le composent, doivent s’adapter dans un monde à +4°C. Si les solutions technologiques peuvent, avec les Solutions fondées sur la Nature, constituer un “cocktail qui fonctionne”, “nous ne pourrons pas tout faire comme avant”. Il faudra également des changements de comportements.
La question du changement climatique impacte tous les secteurs de l’aménagement : l’habitat, les infrastructures, etc. Tout ce qui fait notre vie quotidienne est impacté par le changement climatique et il faut tout repenser. La bonne nouvelle c’est qu’on a 30 ans pour le faire, mais il ne faut pas attendre 30 ans pour commencer !
Quelle coordination entre acteurs publics et privés pour définir un cadre d’action commun ?
L’ADEME oriente les collectivités et les acteurs du privé vers des stratégies d’adaptation durables afin de dépasser la seule réponse ponctuelle à un aléa climatique. Pour Johan Ransquin, directeur adaptation, aménagement et territoires de l’ADEME, qu’il s’agisse d’un chef d’entreprise ou d’un élu, l’enjeu est de faire prendre conscience de la vulnérabilité. “Quelle pérennité de l’entreprise si elle ne s’adapte pas ?” L’ADEME accompagne les acteurs en établissant un diagnostic puis un plan d’action. L’objectif est de fournir un interlocuteur et une méthodologie unique pour intégrer l’adaptation dans toutes les stratégies. Cette méthodologie a vocation à être construite et corrigée progressivement.
Il y a une tentation pour les collectivités de ne réagir qu’aux situations extrêmes. Tout l’enjeu pour l’ADEME, c’est d’amener les collectivités à s’adapter progressivement au changement climatique, pas seulement à mettre en place des solutions pour réagir à l’urgence. Ce sont des démarches qui se déploient sur 15, 20, 30 ans et qui dépassent la durée des mandats.
Pour Joseph Hajjar, Directeur du programme Énergie et Climat du Secrétariat Général à la Planification Ecologique (SGPE), le rôle de l’État est d’offrir un cadre, d’organiser et de planifier l’adaptation – notamment avec le Plan National d’Adaptation au Changement Climatique 3 (PNACC3). Les collectivités peuvent ensuite s’approprier localement les grandes orientations, notamment en se renseignant sur l’état de leur territoire en 2050.
Comment les acteurs vont-ils s’approprier le PNACC dans le temps et le décliner concrètement ?
Adèle Tanguy, chercheuse sur les politiques d’adaptation au changement climatique à l’IDDRI confirme cette vision de la planification et du PNACC3 comme cadre de l’adaptation et de l’action publique qui se déroule déjà mais qui mérite une clarification et davantage de moyens. Toutefois, quelques questions demeurent en suspens : comment le plan s’intégrera-t-il dans les documents des collectivités ? Comment les acteurs économiques peuvent-ils s’en emparer ? Comment échelonner l’adaptation dans le temps ? La planification sera utile si elle est rapidement opérationnalisée.
À l’issue de cette matinée d’échange et de discussion, il revenait à Marie Dégremont, directrice des études de La Fabrique de la Cité, de conclure :
Ces réflexions et discussions interrogent la capacité à gouverner le territoire et le maintien des solidarités. Il reste des débats qui sont devant nous, et j’espère que nous serons à la hauteur pour les mener et pour relever les défis des changements climatiques.
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.