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Comprendre la route

Pourquoi un colloque sur la route ?  

Un participant aux colloques de Cerisy, dans la Manche, doit relever plusieurs défis. Être à la hauteur, avant tout, des illustres intervenants qui ont fait l’histoire des lieux. Écrivains, philosophes, économistes, universitaires, chefs d’entreprises… la liste est longue et prestigieuse. Un autre défi attend ensuite le participant, au long de cette semaine complète : comprendre les points de vue variés et savoir les faire converger pour tirer le meilleur des controverses. Ce travail n’est possible que dans le temps long.  

On comprend dès lors tout l’enjeu de ce colloque sur la route, qui s’est tenu début septembre. Intitulé « Comprendre la route, entre imaginaires, sens et innovations », il réunissait plus de quarante intervenants et autant de participants. Pour La Fabrique de la Cité, l’un des principaux partenaires de la semaine, comme pour les autres institutions engagées (dont l’Université Paris I Panthéon Sorbonne), ce colloque entendait prolonger des débats déjà trentenaires : après les échanges orchestrés par Régis Debray qui firent naître le cahier de médiologie « Qu’est-ce qu’une route », il s’agissait d’affirmer cet héritage et le prolonger de réflexions nouvelles. Ainsi, au carrefour des sciences humaines, de l’économie et des arts, ce colloque abordait la route, à la fois comme vecteur de mobilité et d’échanges et comme objet commun et universel. Guidé par l’impératif d’agir face au changement climatique, dans lequel les transports ont un poids évident, les participants ont réfléchi à l’avenir de la route. Infrastructure souple, irriguant tout le territoire, souvent représentée au cinéma, en photographie ou en littérature, la route est aussi un lieu de conflits politiques et sociaux. Quel que soit l’avenir, elle doit se réinventer.  

Le but de ce colloque était donc au moins triple : rappeler la prégnance de la mobilité routière pour les échanges quotidiens, son apport au développement du territoire et, surtout, réfléchir à sa décarbonation. Deux grands témoins observaient les échanges, avant d’en rendre compte : Catherine Bertho-Lavenir, historienne et rédactrice des premiers Cahiers de médiologie, et Aurélien Bellanger, écrivain, auteur, entre autres de Grand Paris et de l’Aménagement du Territoire chez Gallimard 

 

Ce qu’il s’est dit à Cerisy  

Le postulat de départ était clair pour les participants au colloque : la transition énergétique des transports ne se fera pas sans la mobilité routière (80% des transports) et son infrastructure, qui, en revanche, ont un effort important à fournir.  

Pour affirmer ces impératifs, les échanges se sont d’abord centrés sur la vitesse et son impact économique. Argument majeur de l’automobile, les capacités des hommes à voyager plus vite, plus loin, ont façonné nos territoires. En somme, la route et l’automobile sont devenues victimes de leur succès, et la congestion puis la pollution sont venues les contester. Ce fossé se creuse dès lors que les individus ont moins de temps à consacrer au voyage, aux déplacements du quotidien (d’où la demande de vitesse) et les injonctions progressives à la sobriété. Et Dominique Bourg, philosophe, de rappeler selon lui que « l’idée selon laquelle l’habitabilité de la Terre était vouée à une péjoration et à une réduction physique s’est imposée depuis une dizaine d’années au moins. »  Cette affirmation a pu susciter de vifs débats, en ce qu’elle offre peu de perspectives de développement pour les pays. Cependant, loin de sceller la disparition de la route et de ses usagers, le colloque a pu ensuite explorer les innovations, à l’œuvre ou prévues, que la route compte accueillir. Elles ne sont pas toutes technologiques et que, si certaines demandent encore plusieurs années de recherche et développement, à l’instar de la route électrique ou du déploiement d panneaux solaires sur les bords de route, d’autres, au contraire, sont simples à mettre en place. Ainsi que l’autocar express, le covoiturage, la multimodalité alliée au ferroviaire, et les modes actifs (marche, vélo, véhicules intermédiaires), ont-ils toute leur place sur la route et dans un monde décarboné.  

Un détour par la libre pensée d’Alexis de Tocqueville montrait son travail pour l’accessibilité de la Manche au XIXème. Inspiré par la Démocratie en Amérique, le colloque a pu se concentrer sur le mouvement des Gilets jaunes et observer la route comme objet politique. Contestations, opérations escargot, sensibilité aux prix de l’essence et aux aléas de l’industrie automobile : Luc Gwiazdzinski, géographe, a pu montrer qu’une grande partie des Français percevait la route comme moyen de liberté, extension du domicile personnel, médium incontournable de la progression de leurs vies. Dès lors, urbains ou ruraux, ces usagers quotidiens de la mobilité routière, bien souvent seuls dans leur véhicule, sont le diapason de cette « pulsation métropolitaine » selon le géographe. La route, et ici le rond-point, se chargent alors d’une forte valeur politique, en plus de sa valeur économique. En détournant un peu le terme de « route », une analyse des rues en ville et de leurs usages rejoignait ce constat : rendre la mobilité accessible et irriguer les villes et les territoires demande un fort engagement politique. Un sujet largement rappelé lors d’échanges animés à propos des Zones à Faibles Émissions (ZFE), et la potentielle fracture entre « la route des villes et la route des champs ». Et si les centres urbains ne peuvent accueillir autant de voitures qu’auparavant, la mobilité routière collective et bas-carbone reste une solution puissante dans les espaces peu denses.  

Le colloque abordait aussi, l’impact artistique et sensible de la route dans les arts. Ouverture aux paysages et au tourisme, romans, poésie, photographie et cinéma : et si l’objet « route » était, en lui-même, riche d’une valeur esthétique ? Ponts, tunnels, courbes et lignes à perte de vue : de nombreuses routes sont devenues mythiques, comme la route 66 et son infinie ligne droite américaine, les routes escarpées des Alpes, ou la route Napoléon, en Provence. Derrière ce tracé naturel et net se loge à chaque fois un savoir-faire technique et industriel insoupçonné. L’appellation d’ouvrage d’art qui désigne une construction remarquable par sa taille ou sa technique révèle toute une esthétique routière bien souvent ignorée. La présentation de deux documentaires, l’un sur la société de la route en Corse, l’autre sur les usagers d’une aire d’autoroute du nord de la France, ont montré ce que contient la route de social et de sociétal, à l’écoute des rumeurs du monde : guerre en Ukraine, crise économique ou sanitaire, migrations… autant de phénomènes fondamentaux qui s’écrivaient, aussi, sur les routes parcourues.  

 

Ce colloque d’une semaine a suivi son fil rouge : rappeler que la transition des transports ne se fera pas sans une transition de la mobilité routière. Mais certains défis sont difficiles à résoudre en quelques jours : comment articuler mobilité en ville et en zone peu dense ? Quelles solutions face au coût élevé du véhicule électrique ? Comment partager les données ? Enfin, comment agir face à l’urgence climatique dans le temps long des transports… Les thèmes d’un autre colloque ?  

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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