Centres commerciaux périphériques, essor du e-commerce et des outils numériques – autant de tendances qui bousculent aussi bien les acteurs du commerce en ville que les aménageurs et développeurs. Serait-ce la fin du lien traditionnel entre les rez-de-chaussée et les commerces, et avec lui, la fin d’un certain modèle de ville et d’une certaine idée de l’urbanité ?
Pour répondre à cette question, La Fabrique de la Cité a organisé jeudi 27 février 2020 une conférence sur le thème « Rez-de-ville et commerces : le grand bazar ? ». Celle-ci a réuni David Mangin, qui a dirigé l’Atlas des rez-de-ville, Antoine Loubière, rédacteur en chef de la Revue Urbanisme , qui a consacré un numéro récent au droit au rez-de-ville, Romain Labbé, Directeur Général Adjoint de Citynove, foncière des Galeries Lafayette, qui a mené le projet d’Eataly dans le Marais à Paris, Pascal Madry, Directeur de l’Institut pour la Ville et le Commerce, spécialiste des rapports entre ville et commerce et enfin Alexandre Mussche, Designer associé à Vraiment Vraiment, qui a publié un article interrogeant la capacité des outils cartographiques de Google à métamorphoser les centralités commerciales.
Si commerce et urbanité sont fortement liés, ces liens font l’objet de représentations contradictoires, entre valorisation de la rue piétonne animée, crainte de la vacance commerciale et critique de la commercialisation et de la privatisation de l’espace public comme l’a montré Chloë Voisin-Bormuth, directrice de la recherche de la Fabrique de la Cité. Comment comprendre ces représentations contradictoires ? En se penchant sur la relation entretenue entre commerces et espaces publics. C’est toute la richesse du changement de regard sur « la ville d’en-bas » qu’a proposé David Mangin en montrant l’importance de passer des rez-de-chaussée aux rez-de-ville en s’appuyant notamment sur l’exemple des marchés : selon la façon dont les commerces, les activités de rue et la logistique vont s’imbriquer, selon les perméabilités entre les différents espaces constituant le rez-de-ville, les échanges pourront être plus ou moins nourris et riches – ce qui va influencer l’urbanité de la ville.
Face aux tendances actuelles qui bouleversentles liens établis entre commerces et espaces publics évoquées par Chloë Voisin-Bormuth – essor du e-commerce et internalisation de différentes fonctions au sein d’un bâtiment qui font de la boutique comme de l’espace public des passages qui ne sont plus obligés ainsi que changements dans les modes de consommation qui valorisent davantage l’expérience que le produit – les acteurs du secteur se repositionnent. Romain Labbé, Pascal Madry et Alexandre Mussche ont analysé leurs stratégies en posant trois questions :
- Comment le grand magasin, cette figure emblématique qui marque l’imaginaire du commerce, réussit à se réinventer ? En développant le grand magasin horizontal après avoir développé le grand magasin vertical, en remettant en avant la fonction sociale du grand magasin et en l’ouvrant sur la ville nous a expliqué Romain Labbé.
- Comment le e-commerce redessine les fonctions et l’organisation du commerce et, de là, définit de nouvelles trajectoires pour les rez-de-chaussée ? En analysant trois modèles de trois modèles principaux de développement du e-commerce (le «click and carry », le modèle de la plateforme de vente (de type Amazon) ; celui des plateformes d’intermédiation (de type Google)), Pascal Madrya mis en valeur l’importance du consommateur, qui par ses choix de consommation, contribue à modifier sensiblement le paysage des rez-de-ville, en favorisant ou en marginalisant le commerce physique.
- La carte est-elle la nouvelle frontière du commerce ?Alexandre Mussche a analysé finement les outils cartographiques de Google et montré la façon dont ceux-ci, bien plus que de dessiner le double virtuel des villes, proposent une lecture orientée de l’espace urbain favorisant certaines centralités commerciales plutôt que d’autres – résultat d’une certaine définition de la centralité commerciale non partagée avec les collectivités concernées ou du tribut payé à Google pour être visible sur ses cartes. Les cartes numériques possèdent ainsi le pouvoir de « rayer de la carte » un commerce… comme celui de le révéler, alors même qu’il ne serait pas visible depuis l’espace public grâce aux outils de réalité virtuelle.
Cette conférence a permis de montrer qu’entre opportunités et menaces, le chemin du futur du commerce en ville est loin d’être tracé. Mais le « devoir d’invention » (Rémi Ferrand), si nécessaire pour continuer à faire de la ville le lieu vivant de l’échange, est bel et bien en train d’être saisi par les différents acteurs.