Dans 40 idées reçues sur les transports, et comment elles nous empêchent d’avancer (Eyrolles), l’ingénieur, membre du Comité d’orientation de La Fabrique de la Cité, examine les lieux communs et les biais qui font entrave à des politiques publiques de décarbonation des mobilités efficaces.
Pour décarboner les transports, surmonter nos idées reçues
Le 5 février 2024, de nombreux experts et professionnels des mobilités se sont retrouvés autour d’André Broto, qui présentait son nouveau livre.
Revivez la rencontre "40 idées reçues sur les transports…"
La décarbonation des mobilités en panne
En dépit d’objectifs ambitieux, les transports continuent d’émettre de plus en plus de gaz à effet de serre, alors de nombreux secteurs (industrie, logement, chauffage) affichent des émissions de CO2 à la baisse depuis les années 1990. Comment cela s’explique-t-il ?
Pour André Broto, les politiques publiques ont obtenu des résultats probants dans la réduction de l’empreinte carbone des transports en centre-ville et des voyages longue-distance en misant principalement sur le déploiement de nouvelles infrastructures ferroviaires. Les déplacements du quotidien, effectués tous les jours et principalement par la route, sont en revanche restés un angle mort. Plus récemment, les volets successifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone, qui cible particulièrement la décarbonation des transports, ont échoué à produire des résultats particulièrement probants. Les indicateurs étaient-ils les bons ? Le poids des relations entre les villes et leurs périphéries évalué à leur juste mesure ? Les attentes des populations, enfin, bien comprises ?
La route et ses usages pèsent lourd dans le bilan carbone du pays. À moins de trente ans de l’objectif de neutralité carbone fixé par l’Union Européenne, les difficultés à transformer les flux de mobilités du quotidien ne sont donc pas sans conséquences. On peut y reconnaître aussi un gisement de solutions. Mais pour cela, il faut dès à présent évincer nos idées reçues sur les transports. En effet, de nombreux raccourcis, des habitudes trompeuses ou des données mal interprétées ont encore jalonné les récents débats sur la loi sur les Services Express Régionaux Métropolitains.
Au cœur du problème : les déplacements longs du quotidien
A l’origine de cette hésitation générale, une question : comment expliquer que les politiques publiques continuent de négliger les déplacements longs du quotidien, alors qu’ils sont le cœur des émissions des transports, de la congestion et dominés par la voiture thermique individuelle ? Alors que les Français ont réduit leurs émissions de CO2 dues au chauffage, à l’industrie, à la construction de logement, pourquoi n’ont-ils pas agi sur les transports ? À l’évidence, il ne s’agit pas d’un manque de conviction écologique : les autres secteurs ont pu faire d’importants efforts. Selon l’auteur du livre, la première explication provient du manque d’offre pour rendre possible la transformation des comportements. Comment renoncer à la voiture au quotidien lorsque l’on vit loin d’une gare et que les politiques publiques se concentrent sur les modes actifs en centre-ville ou le train longue distance ?
Car l’enjeu est bien là : proposer des solutions pour changer les comportements des navetteurs au quotidien (53% des émissions de CO2, en hausse). Aussi est-il à craindre que les récents projets de Services Express Métropolitains, qui font des lignes ferroviaires l’armature principale des déplacements régionaux, ne fassent encore l’impasse sur les usages de la route et, partant, leur transformation : une grande partie des actifs parcourant aujourd’hui les routes résident dans des petites voire très petites communes. S’ils ne s’appuient que sur le rail, les SERM n’atteindront pas les moyennes et petites communes, où la dépendance à la voiture est la plus forte.
« Il est absurde, rappelons-le, que tout projet de SERM doit obligatoirement être adossé à un projet ferroviaire pour être labelisé SERM ! »
Les autocars express sur la route des Services Régionaux Métropolitains
C’est dans ces environnements que l’autocar express offre une solution particulièrement pertinente, développée en rabattage vers les grandes villes aux nombreux réseaux de transport. C’est une option financièrement et techniquement avantageuse : un réseau de car express est peu cher au regard du service rendu. Il est également rapide à mettre en place : l’infrastructure (la route) existe déjà. Et contrairement à une idée reçue tenace, il ne va pas forcément de pair avec une voie réservée sur route. Il apparaît préférable de développer un réseau efficace avant de lui réserver, sur les portions pertinentes, une voie dédiée. C’est à ces conditions que l’efficience et la souplesse de l’autocar s’expriment le mieux. Ainsi, les parkings de covoiturage installés sur autoroutes – et aux Etats-Unis les voies réservées – encourageaient-ils encore davantage les covoitureurs. Le gain de temps et l’évitement de la congestion sont la forme d’incitation la plus convaincante.
On ressent le prisme ferroviaire et un parisianisme important. Avec les cars Macron, nous avons pu démocratiser le transport ferroviaire routier.
Intermodalité, modes actifs et temps d’action
De nombreuses idées reçues dirigent encore trop souvent les politiques publiques locales : s’attacher de trop près à l’idéal de la ville du quart d’heure, alors que les flux de transport d’une ville dépassent parfois l’heure et que de nombreux habitants rêvent encore d’une ville à 30 minutes, déployer le ferroviaire à l’horizon de 10 ou 15 ans, des ZFE à 2 ou 3 ans, alors que le car express et les modes actifs se mettent en place rapidement et que l’urgence n’attend pas, insister sur les espaces peu denses comme « dépourvus de solutions de transport », faute de réseau ferroviaire…
Et pour la fédération professionnelle des transports de voyageurs, le constat est le même : non, les espaces ruraux et peu denses ne manquent pas de réseau de transport. Des cars ou des autobus passent dans les communes, et peuvent rouler sur la plupart des routes. Reste à mieux signaler leurs trajets, améliorer les arrêts et gares routières, et faciliter l’accueil du voyageur par les abonnements groupés. C’est aussi, bien entendu, savoir accueillir tous les mode de transports au même endroit. Si les modes actifs sont surtout pertinents en zone urbaine dense, ils peuvent faciliter le rabattage vers des réseaux longue-distance. Dès lors, les échanges ont pu rappeler toute la pertinence de stationnements vélos sécurisés et pistes dédiées aux abords des gares multimodales.
Du logement plus proche des emplois ?
Le débat s’est ensuite saisi d’une question difficile à résoudre, pourtant au cœur des politiques de transport : faut-il construire des logements là où il y a des emplois, afin de limiter les déplacements ? A l’évidence, tous les Français ne sont pas responsables de leurs longs trajets pour aller trouver un emploi et tous ne peuvent accueillir favorablement une nouvelle taxe ou une hausse des prix. Leur flexibilité pour changer d’habitude n’est pas toujours grande. De plus, si l’aménagement du territoire et les politiques de transport doivent aller de pair, il semble que situer des emplois à proximité des réseaux de transport ne puisse fonctionner qu’à court-terme. Les évolutions économiques, les souhaits des actifs conduiront forcément à des mobilités professionnelles et, souvent, un éloignement domicile-travail. Densifier, rassembler et mieux rediriger les flux de voyageurs sont des bons objectifs, mais il semble illusoire de vouloir faire concorder parfaitement les résidences et les bureaux. Du reste, les loisirs, eux, ne pourront se limiter au cercle restreint du domicile et ses environs.
Les transports sont un bien supérieur selon les économistes. Il n’y a pas de limites à la consommation des transports – nous en consommerons toujours davantage.
En somme, les 40 idées reçues que contient cet ouvrage représentent au moins autant de textes de lois, de projets de financements, et d’obstacles à la décarbonation du transport. Elles concordent cependant vers deux messages clairs : la décarbonation des transports est urgente, et toutes les solutions seront utiles et conjointes.
La Fabrique de la Cité remercie vivement gilles Dansart, rédacteur en chef du média spécialisé Mobilettre, animateur de la rencontre — et les intervenants :
- Philippe Duron, co-président du think tank TDIE et ancien président de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF)
- Etienne Chaufour, Directeur Ile-de-France, en charge de l’Éducation, des Mobilités, et des Solidarités, France Urbaine
- Ingrid Mareschal, Déléguée Générale, FNTV
- Olivier Schneider, Président – Fédération des Usagers de la Bicyclette
- Marie Chéron, spécialiste transport et mobilité électrique, Transport et Environnement
- Adrien Tahon, Directeur général, Blablacar Daily
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.