Édito

À la conquête d’un territoire contraint : la gouvernance au défi de l’innovation politique

À l’aube du développement de l’Asie orientale, Singapour, cité-État insulaire d’Asie du sud-est, a su s’imposer en profitant de ses fonctions historiques de port. Dès son indépendance en 1965, il se construit avec l’ambition de devenir une ville globale.

Avec 7000 habitants/km², Singapour est l’État le plus dense au monde. Contrainte de composer avec un territoire limité en terres et en ressources naturelles, la ville a mené dès 1965 des politiques publiques innovantes : construction massive de logements publics, création de centralités, péage urbain… Son entrée dans l’économie du savoir dans les années 1990 marque un tournant : il devient la première place financière d’Asie et son réseau d’infrastructures de transport et de télécommunications moderne comme son système fiscal avantageux le consacrent comme un lieu incontournable pour les affaires. En 2017, l’île accueille 788 500 travailleurs étrangers qualifiés et est reconnue par Mercer comme la ville offrant la meilleure qualité de vie aux travailleurs expatriés. Cette politique volontariste d’attraction des capitaux et des savoirs va de pair avec la formation de talents sur place. Celle-ci peut s’appuyer sur un système éducatif parmi les plus réputés et d’une collaboration étroite entre le secteur public, les universités et les entreprises. Singapour peut ainsi consolider sa position de hub mondial d’innovation technologique et urbaine.

Pionnière du péage satellitaire, mère de la mobilité algorithmique et experte des « govtech », Singapour est l’une des « smart cities » les plus connues, visitées et étudiées au monde. Sa réalisation a bénéficié d’une population hyperconnectée et d’une législation permissive, notamment en matière de collecte et d’exploitation des données, avec, à la clé, la promesse d’une personnalisation efficace des services. Loin de voir en la technologie une fin en soi, la ville lui adjoint une réflexion politique et de gouvernance consciencieuse, visant la création de la ville fluide. Logistique urbaine, gestion des flux et des ressources, bâti, nature en ville, transition énergétique : aucun secteur n’échappe à cette réinvention des usages. L’administration elle-même est transformée en « smart administration » et les citoyens en « smart citizens ». C’est d’ailleurs à cet objectif que répond l’initiative Smart Nation lancée en 2014 par le Premier Ministre Lee Hsien Loong, qui vise à impliquer tous les acteurs de la cité dans cette transition numérique guidée par l’État. Toutefois, quelle place la « smart city » laisse-t-elle aux usages autres que ceux fondés sur la consommation de services et qui pourtant contribuent aussi à façonner la ville ? Le « smart » ne se réduit-il qu’à une idéologie à la poursuite d’un unique objectif de performance ?

Vue de Singapour depuis le couloir écologique des Southern Ridges, mars 2019.

Face au constat du fait que la construction d’une ville optimisée ne suffit pas nécessairement à garantir sur le long terme l’épanouissement personnel et la satisfaction, Singapour a créé le Centre for Liveable Cities dont l’objectif est de réconcilier la performance de la « smart city » avec la qualité de vie. Par ailleurs, démentant l’image d’une ville technologique de pierre, de verre et d’acier, Singapour a fait de la biodiversité urbaine un enjeu clé : son programme « une ville dans le jardin » vise à recréer un écosystème autosuffisant et à faire de la nature une œuvre architecturale urbaine à part entière. L’ambition est que ville verte et « smart city », nature et technologie se nourrissent pour accomplir le principe de « liveability », conçu comme la synthèse entre économie concurrentielle, soutenabilité environnementale et qualité de vie. À quel point ces politiques servent-elles au modelage d’un imaginaire destiné à doper l’attractivité économique d’une métropole et à maintenir une stabilité politique ?

Croissance démographique, inclusion sociale, culturelle et générationnelle, changement climatique et cybersécurité, tels sont les enjeux qui attendent Singapour : quelles réponses seront apportées ? Dans quelle mesure l’articulation entre gouvernance et technologie peut-elle remédier aux contraintes d’un territoire ? Les politiques menées à Singapour peuvent-elles inspirer d’autres métropoles en dépit de la diversité des contextes économiques, culturels et politiques ?

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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