À pied ou à vélo ? Quand Paris marche, Amsterdam pédale
Amsterdam a fait des mobilités douces son image de marque, avec des images impressionnantes d’autoroutes à vélo un peu partout. Aujourd’hui, toutes les villes rêvent de devenir tout autant cyclistes. C’est le cas de Paris, au point d’oublier qu’elle est championne du monde dans une autre catégorie encore plus douce : la marche à pied.
De quoi parle-t-on ?
Les Parisiens super marcheurs
Saviez-vous que les Parisiens font plus de la moitié de leurs déplacements à pied ? La dernière enquête ménages réalisée en Île-de-France [1] est riche d’enseignements sur les déplacements des Franciliens avec un constat sans appel : non seulement les Parisiens sont de très grands marcheurs, mais l’ensemble des Franciliens l’est tout autant !
Très souvent et même dans le monde des experts, il y a une grande confusion dans la définition du déplacement à pied. Il s’agit bien, pour les enquêtes ménages françaises, de la totalité du déplacement entre l’origine et la destination. Si, par exemple, on marche pour aller rejoindre un bus ou un métro, le déplacement sera compté entièrement en transport collectif et non pas en tant que piéton.
Paris et sa région ont donc une spécificité assez unique en Europe : une majorité de déplacements assumés entièrement à pied. La raison principale : 45% des déplacements des Franciliens font moins d’un kilomètre ; nous comprendrons pourquoi dans la seconde partie de cet article.
Si l’on ajoute à ce constat la performance du réseau des transports collectifs parisiens, on constate que les Parisiens n’effectuent que 10% de leurs déplacements en voiture, part qui augmente au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la capitale, du fait de l’allongement des distances et du manque d’alternatives.
Et à Amsterdam ?
À Amsterdam, près de 30% des déplacements se font à vélo et autant à pied, avec au total une part piétons + vélos similaire à celle de Paris. Du fait d’une pratique moindre des transports collectifs, la voiture reste à Amsterdam un mode de transport beaucoup plus utilisé qu’à Paris : 23% des déplacements se font en voiture à Amsterdam, contre 10% à Paris.
Bilan : champion contre champion
En terme de mobilités douces, Paris et Amsterdam sont à égalité : Paris en tant que championne de la marche à pied, Amsterdam en tant que championne du vélo.
Si l’on aditionne mobilités douces et transports collectifs, Paris dépasse largement Amsterdam avec l’un des usages des transports collectifs les plus élévés au monde.
Cette performance s’estompe quand on s’éloigne de Paris. On ne dispose pas des parts modales dans l’aire urbaine d’Amsterdam et il serait intéressant de consolider les comparaisons sur des périmètres similaires. Cela permettrait de voir si les performances des Franciliens éloignés de l’hyper-centre sont aussi tranchées.
Ces constats concernent les résidents des deux villes. Si l’on ajoute les visiteurs qui sont également de très grands marcheurs, la région parisienne, première destination du monde [2], devient incontestablement la capitale mondiale de la marche à pied.
Quelles explications ?
La lecture de 40 années d’enquêtes ménages est riche d’enseignements, avec en particulier le constat d’une relative constance de la durée du trajet pour aller au travail : les personnes adaptent leurs lieux de résidence et de travail en fonction de multiples paramètres, pour consacrer en moyenne 35 à 40 minutes à ce trajet, et ce quels que soient les cultures et les pays.
La notion d’accessibilité raisonne donc « à l’envers » pour calculer le nombre d’emplois, services, espaces verts, commerces, enseignement… accessibles en un temps donné.
Ici interviennent les calculs de densité et d’intensité des villes et les liens avec les parts modales. Par exemple, il sera plus facile d’accéder à un nombre d’emplois donné en 35 minutes à pied dans une ville très dense, tandis que l’on accédera au même nombre d’emplois dans le même temps en voiture pour une ville très peu dense [3].
C’est une lapalissade, mais il y a donc une corrélation quasi mathématique entre intensités urbaines et choix du mode de déplacement — sauf que l’on sait à présent beaucoup plus qualifier cette corrélation, en tout cas pour les trajets domicile-travail.
C’est ici qu’apparaissent les raisons des différences de mobilités douces entre les deux villes : Paris, l’une des villes les plus denses au monde, l’est 6 fois plus qu’Amsterdam. Si l’on ajoute les emplois, hôpitaux, universités, loisirs, etc. Paris intra-muros est 7 à 10 fois plus « intense »[4] qu’Amsterdam.
Cette intensité perdure dans la métropole avec une densité de population 3 fois plus forte qu’à Amsterdam centre et il faut rejoindre la seconde couronne parisienne pour trouver des densités comparables aux 38 habitants/ha moyens d’Amsterdam.
Ainsi s’expliquent les grandes différences entre Paris et Amsterdam : à la ville très intense, la marche à pied — à la ville étalée, le vélo — et dans les deux cas la même accessibilité aux aménités de la ville en un temps donné.
… Mais alors, pourquoi Paris rêve-t-elle de devenir cycliste comme Amsterdam alors qu’Amsterdam ne semble pas rêver de devenir marcheuse comme Paris ?
Tout simplement parce que cela est impossible : comment quintupler la densité d’Amsterdam pour prédisposer la ville à la marche à pied et abandonner les vélos ?
À l’inverse, le rêve cyclable de Paris semble exagéré : la ville est la plus vertueuse du monde en matière de mobilités propres et il ne faudrait pas que le vélo vienne perturber la performance de la marche à pied. Cela n’est pas incompatible avec une offre complémentaire de vélos et le « vélib » l’a très bien démontré, mais il faut bien doser les choses en pleine conscience des acquis déjà là.
Il y a cependant une réflexion importante à mener dans les zones moins denses de l’Île-de-France, situées principalement à la charnière entre première et seconde couronne, là où l’on trouve des densités similaires à Amsterdam et où l’usage du vélo apparaît pertinent.
La marche à pied à la française, signature de l’urbanisme durable
En 1873, Charles-Adolphe Alphand, le « jardinier » d’Haussmann, publiait Les promenades de Paris en deux volumes, un ouvrage jamais vraiment égalé qui érige le piéton en tant que valeur fondamentale de la ville dense et qui organise les espaces publics pour le servir.
Cette agilité à mobiliser pour les piétons l’espace urbain, par définition plus rare et plus sollicité dans une ville très dense, perdure aujourd’hui chez les ingénieurs, urbanistes et paysagistes français qui « collent » aux usages préférés des résidents.
Ce savoir-faire s’exporte un peu partout dans le monde et l’on ne compte plus les élus des grandes villes étrangères demandant des solutions pour avoir « autant de touristes et de piétons qu’à Paris » : il y a un parallèle direct entre le « glamour à la française » et la promenade en ville.
La France est ainsi une vitrine de la conception urbaine qualitative par et pour la marche à pied ; nombre de nos centres-villes en apportent la preuve, de même que nos fronts de fleuves et nos fronts de mer, nos villes des plaines et nos villes de montagne. L’urbanisme de la marche à pied est une signature française avec plusieurs réalisations emblématiques qui ont ponctué leur « marche » par un classement au patrimoine mondial de l’Unesco.
Les « secrets » de la ville piétonne ont récemment fait l’objet de plusieurs recherches françaises avec des constats partagés : la marche à pied est l’une des formes de mobilités les plus complexes ; elle fait appel à des notions de formes urbaines très volontaristes et précises où l’on parle de fractalités, diversités, connectivités et profondeurs urbaines [5].
Ainsi, l’installation du piéton dans la ville est un exercice des plus compliqués que nous avons mis des lustres à maîtriser, avec quelques échecs patents dans un passé pas si lointain. À la croisée de la culture, de la lecture de la ville et de ses potentiels, de l’expérience physique, de la sécurité urbaine et des partages modaux, la conception de la ville pour le marcheur est un exercice transdisciplinaire de la plus haute précision. À nous de la capitaliser et de la défendre à sa juste valeur.
Quant à Amsterdam… nous avons bien quelques idées pour améliorer les mobilités, mais nous les échangerons contre un beau vélo !
[1] La dernière enquête ménage exhaustive a été réalisée en 2010. Les observations actuelles semblent montrer que la marche à pied et le vélo se sont beaucoup développés depuis, avec notamment l’effet « Vélib ».
[2] 34 millions de nuitées par an à Paris — 8,4 millions à Amsterdam
[3] Voir à ce sujet l’étude « Éléments de méthode pour une politique de densification » disponible sur le site du Ministère de la Transition écologique et solidaire : http://www.side.developpement-durable.gouv.fr
[4] L’intensité est l’addition des populations ou des logements (désignés par la densité) avec toutes les aménités urbaines : emplois, scolaires, services, loisirs, etc.
[5] Voir à ce sujet l’excellent ouvrage Les villes et les formes : sur l’urbanisme durable, Serge SALAT, CSTB/Hermann, septembre 2011
Ces autres publications peuvent aussi vous intéresser :
Jour 4 : La route, un espace commun ?
Jour 3 : « En route »
Jour 5 : Les imaginaires de la route
Jour 1 : La route au cœur du patrimoine français
Jour 2 : La bataille de la route : la route face aux défis environnementaux
« Et si le monument le plus durable était justement la route ? » Aurélien Bellanger
« On passe tant de temps sur la route que l’on arrive à l’habiter » Luc Gwiazdzinski
Comprendre la route
« Il faut construire un réseau de mobilité durable plus accessible » Aurélien Bigo
Décarbonation automobile : une solution pour quelles transitions ?
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.