Point de vue d'expert

Accorder aménagement urbain et santé pour combattre les inégalités sanitaires

Charlotte Marchandise-Fourquet est experte en santé publique internationale. À ce titre, elle est adjointe à la mairie de Rennes déléguée à la santé et à l’environnement. Elle est également présidente du Réseau français des Villes-santé de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

L’OMS définit la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social. Les enjeux de santé des habitants, multifactoriels, varient d’un espace à l’autre mais aussi selon le statut social des individus. Si le fait urbain peut être un facteur qui exacerbe la vulnérabilité de certaines populations, les villes peuvent jouer un rôle majeur dans l’amélioration collective de la santé.

La Fabrique de la Cité a interrogé Charlotte Marchandise-Fourquet sur les déterminants urbains de la santé ainsi que sur la gouvernance et les modèles d’aménagement à mettre en œuvre pour que les villes puissent devenir des territoires « producteurs » de santé.

LFDLC : Comment définissez-vous la santé ?

Je considère la santé comme un tout multifactoriel. Elle ne se résume pas aux soins mais résulte d’une combinaison subtile de facteurs liés au sexe, à l’âge, au potentiel génétique, au style de vie, ainsi qu’à l’environnement pris dans un sens très large (physique, biologique, écologique, socioéconomique, politique…). La santé est donc le produit de caractéristiques individuelles et personnelles et de caractéristiques collectives et sociales.

L’environnement social et économique est un déterminant majeur de la santé d’un individu. Les Français les plus défavorisés se trouvent de ce fait dans une situation d’extrême vulnérabilité sanitaire.

 

LFDLC : Comment se manifestent les inégalités sanitaires dans nos villes ?

Les facteurs sociaux sont prépondérants dans la formation des inégalités de santé en France ; celles-ci apparaissent dès la petite enfance et même dès la période prénatale. Un enfant né de parents ouvriers a moins de chance de vivre en bonne santé qu’un enfant né de parents cadres. Ailleurs en Europe, ces inégalités sociales de santé ne commencent pas à la naissance mais se font ressentir plus tard pendant l’enfance. Il est donc possible de travailler à leur réduction.

« On ne résoudra pas les questions de santé si on ne prend pas en compte les plus vulnérables ».

— Charlotte Marchandise-Fourquet

La qualité de l’air est un autre exemple du lien entre inégalités socioéconomiques et de santé. Plus un individu est défavorisé, plus il a tendance à habiter près d’axes routiers au trafic important, là où le prix de l’immobilier est plus bas mais la pollution de l’air plus élevée. L’intervention publique devra être plus importante dans cette zone-là car le problème de la pollution de l’air ne sera pas résolu en dessinant des centres-villes sympathiques avec des péages urbains, sans travailler sur les populations les plus vulnérables des périphéries. À ce titre, on a pu mettre en lumière le fait que l’intervention publique a un impact moindre sur les habitants du centre de Rennes, qui appartiennent aux catégories socio-professionnelles les plus élevées, en raison du fait que leur environnement comme leur santé sont déjà satisfaisants ; les décideurs publics doivent prêter une attention soutenue à la situation sanitaire des plus vulnérables.

La question se pose aujourd’hui en termes économiques, le financement de la sécurité sociale étant un sujet de plus en plus complexe. Le poids des facteurs environnementaux et socioéconomiques est en train d’augmenter de façon significative et influe sur le futur de notre système de protection sociale.  Le nombre de maladies chroniques est devenu prépondérant par rapport aux maladies infectieuses et les soins à prodiguer sont, de ce fait, plus étalés dans le temps et donc plus coûteux. D’après les experts de la Banque mondiale, nos systèmes de protection sociale risquent de s’effondrer si on n’agit pas sur les environnements sociaux et économiques ainsi que sur l’aménagement urbain, qui contribuent au développement de ces maladies. L’amélioration des conditions sociales, environnementales et urbaines des plus vulnérables revient in fine à éviter l’implosion de notre système de sécurité sociale.

La question est donc : comment organiser la réponse des villes aux problématiques des inégalités de santé ? Le choix d’amener à la santé ceux qui en sont les plus éloignés relève de l’intérêt général ; il est politique et humaniste.

 

LFDLC : Votre postulat de départ est donc que la santé relève d’abord d’un choix politique.

Oui et c’est pourquoi il est nécessaire de remettre la santé au cœur de toutes les politiques : notre secteur ne peut plus être replié sur lui-même. La multiplicité des déterminants de la santé fait que toute politique peut l’affecter. Il faut donner à la santé un véritable leadership politique. C’est dans cette optique que l’OMS a créé il y a 40 ans le réseau des Villes-santé. Mouvement global visant à agir sur les déterminants de la santé et sur les inégalités qui leur sont associées, il est présent dans toutes les régions du monde. Avec 1 300 villes, il est particulièrement dense et actif en Europe. En France, il compte 90 villes. Alors qu’elles souffrent d’une baisse de leurs dotations, nombre de collectivités locales demandent à adhérer au réseau, ce qui démontre une volonté d’engager une réflexion locale sur l’intégration du facteur santé au sein des différentes politiques urbaines.

« Le réseau des Villes-santé de l’OMS est un mouvement global pour agir sur les déterminants de la santé et réduire les inégalités sociales qui les affectent ».

— Charlotte Marchandise-Fourquet

Ma fonction en tant qu’élue est également de faire le lien entre de nombreuses initiatives : durant la COP21, j’ai organisé un hackathon en partenariat avec l’OMS, en affirmant le besoin de travailler ensemble. Quand on parle de santé, on parle d’intérêt général ; qui mieux que les villes pour mener ce travail de réseaux ? Le pouvoir de convocation, de faire ensemble, c’est la plus grande force du maire.

 

LFDLC : Quelle est l’application concrète de ce principe de « mettre de la santé partout » en termes de gouvernance et de jeux d’acteurs ?

Pour que les messages des professionnels du secteur de la santé deviennent audibles et qu’ils se traduisent dans des mesures et politiques concrètes, il faut les relayer à tous les niveaux, dans tout type de réunion. Il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait jamais de décision prise sans nous, jamais un aménagement qui ne soit fait sans avoir pris en compte la santé et l’avis de ses acteurs.

Un investissement public dans un quartier a toujours un impact sur la santé des populations qui y vivent ou évoluent. En améliorant par exemple la cohésion sociale, la sécurité et l’environnement, il devient possible d’aménager des équipements sportifs et donc de développer l’activité physique des usagers comme des habitants, ce qui aura un impact très positif sur leur santé.

Quand on intègre une composante sociale dans un projet de renouvellement urbain, c’est aussi une action en faveur de la santé : par exemple, si une petite partie de la population d’un quartier doit être employée par la société qui aménage la zone en question, il y a mécaniquement une amélioration indirecte de la santé des habitants grâce au développement de l’emploi local. Le projet TAPAJ (Travail alternatif payé à la journée), dispositif de réinsertion professionnelle, contribue également à la santé d’individus souvent en grande difficulté en les faisant bénéficier d’un travail rémunéré à la journée. Si les pouvoirs publics doivent améliorer l’accès aux soins, il leur faut également développer et intégrer des normes de santé plus importantes dans les projets urbains, par exemple de logement.

Nous sommes aujourd’hui en train de mener un projet d’urbanisme favorable à la santé dans un quartier prioritaire de la politique de la ville qui connaît une lourde opération de rénovation. Les différents professionnels ont appris à se connaître et à travailler ensemble ; cela permet aujourd’hui aux urbanistes de dialoguer avec les acteurs de la santé et de leur demander conseil. Il y a eu un basculement vers l’interconnaissance : le rôle et la mission de chacun est mieux compris et cela permet une meilleure intégration de la santé dans les projets d’aménagement et dans les politiques publiques.

LFDLC : Sur quelles connaissances et quelles compétences bâtir un urbanisme favorable à la santé ?

Le problème est là : il m’est impossible de prendre une décision pour la santé des habitants de ma ville si je ne dispose pas de données à l’échelle infra-communale. Or, aujourd’hui, les politiques publiques ne sont pas assez évaluées, mesurées. Il y a un réel besoin de production de données afin de mener cette évaluation.

Il y a en outre un réel cloisonnement des données sanitaires entre services et administrations qui ne communiquent pas entre elles. Dans les diverses politiques que je mène à Rennes, par exemple, je souffre, en tant qu’élue locale, de ne pas avoir accès aux données de santé de l’Éducation nationale et du secteur hospitalier. La ville de Rennes a donc créé il y a trois ans un observatoire pour mesurer le taux d’obésité infantile par quartiers. Ce taux est très faible (3 %) à l’échelle de la ville et par rapport au niveau national. Dans l’un de nos quartiers en revanche, il atteint 11 %. Cette information me permet d’agir spécifiquement sur les enfants qui en ont besoin ; dans quelques années, on pourra évaluer si mon action aura porté ses fruits.

Notre besoin de données est grand. Les décisions politiques doivent être prises en fonction des données issues de la recherche et de la science mais aussi de l’expérience personnelle, des mouvements sociaux, de la compétition locale. Aujourd’hui, nous avons besoin que les chercheurs ne viennent pas qu’avec des données de recherche mais avec des données de sources variées, notamment des données de masse ou issues de capteurs. Les données dont nous avons besoin nous permettent de mieux cibler les actions et de les évaluer ensuite dans une démarche ex-post.

« Les villes peuvent devenir des lieux d’innovation et mobiliser les habitants et les territoires autour des enjeux de santé ».

— Charlotte Marchandise-Fourquet

Afin de disposer de davantage de données, nous avons créé différents programmes, en coopération avec les habitants de certains quartiers, comme « Respire ta ville » ou « Ambassad’air ». Ce dernier est un projet de capteurs citoyens porté par la ville de Rennes et plusieurs associations : des habitants des quartiers prioritaires ont reçu des capteurs afin de pouvoir eux-mêmes prendre des mesures, à l’origine des données utilisées pour fabriquer les politiques publiques. On les a accompagnés, avant de rechercher des solutions ensemble. Cette démarche est à l’opposé des démarches centralisées ; c’est bien une démarche sur le temps long, de santé communautaire. Cela nous permet également d’être en lien avec de nombreux acteurs de l’innovation. Et ce projet nous montre bien que les villes comme Rennes peuvent devenir des lieux d’innovation et ainsi mobiliser les habitants et les territoires autour des enjeux de santé.

Retrouvez cette publication dans le projet :

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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