Articuler les acteurs de la mobilité : la plateforme AustriaTech – Entretien avec Martin Russ
Les services de mobilité connaissent des transformations rapides et importantes. C’est pourquoi l’agence fédérale autrichienne AustriaTech a été spécifiquement chargée de penser et d’anticiper les transitions (des services, des acteurs, des attentes des usagers…) qui affectent le secteur de la mobilité, avec l’intention de faire dialoguer les différentes parties prenantes. Il ne s’agit pas tant de détecter les évolutions technologiques que de se demander de quelle façon les intégrer à l’échelle fédérale. Lors de son séminaire international de juillet 2018 à Vienne, La Fabrique de la Cité a rencontré Martin Russ, directeur exécutif d’AustriaTech.
Quelles sont les missions d’AustriaTech ?
Mise en place par le ministère autrichien des transports, de l’innovation et de la technologie, l’agence AustriaTech est chargée d’aider ce dernier à penser la mobilité sur le territoire autrichien à toutes les échelles et à anticiper les évolutions. Elle travaille donc avec lui à l’élaboration des systèmes de mobilité de demain. Ces systèmes comportent plusieurs dimensions et sont de véritables ensembles complexes. Il s’agit de traiter aussi bien de la transformation de la mobilité en service et de la digitalisation des services existants que de la décarbonation de la mobilité, de la flexibilisation du réseau et du développement de la sécurité, avec comme objectif final d’accompagner les processus de changements à toutes les échelles. AustriaTech accompagne le ministère dans l’identification des principaux points de rupture. L’un de ces points de rupture est bien entendu le numérique, qui métamorphose la mobilité en favorisant l’immédiateté (tout doit être disponible tout de suite) ainsi que les offres « à la demande ». Il s’agit là d’un marché très intéressant pour les entreprises. Notre démarche consiste à accompagner cette métamorphose en créant de nouveaux modèles de financement et de coopération entre les différents acteurs afin de garantir in fine un meilleur accès à la mobilité pour tous.
Notre rôle est donc de travailler en collaboration avec les différents acteurs pour les mettre en relation et les aider dans leurs démarches. Nous distinguons trois acteurs principaux : les services publics, les entreprises et les particuliers. Le défi pour les services publics est de collecter et d’analyser des données pour être plus efficaces. Ils se concentrent par exemple sur l’étude des systèmes plug and play pour anticiper l’arrivée de nouveaux services et permettre à ces derniers d’être en adéquation avec les structures préexistantes aux différentes échelles.
Pour les entreprises, l’enjeu est de parvenir à constituer des offres optimisées en fonction des besoins individuels. Cela implique de repenser la nature même des services de mobilité, au-delà des seules problématiques automobiles. En effet, le champ de la mobilité est vaste et offre un marché diversifié qu’il ne faut pas sous-estimer : la plupart de la valeur créée viendra désormais de ces nouveaux services à forte valeur ajoutée.
Pour ce qui concerne les usagers, enfin, le défi est de parvenir à leur proposer une offre de mobilité plus diversifiée, notamment grâce aux nouvelles technologies, capable à la fois de s’adapter à leur style de vie et de le modifier. Nous menons ainsi de nombreuses initiatives auprès des jeunes et réfléchissons avec eux sur le futur des services de mobilité. De ce travail ressort la question de savoir comment réunir le secteur de la mobilité avec d’autres secteurs ; je pense notamment à ceux du logement et du tourisme.
Comment peut-on penser l’organisation de la mobilité à l’avenir ?
Un nouveau paradigme émerge pour la mobilité : la mobilité comme un service. Cette approche place les besoins des consommateurs au premier plan. Il faut réussir à coupler cette approche avec des retombées positives pour la société, notamment d’un point de vue environnemental[1]. En effet, un des grands défis de la mobilité aujourd’hui en est la décarbonation. L’abandon progressif des énergies fossiles entraîne des modifications profondes dans le secteur de la mobilité. Les grands équipementiers automobiles vont devoir s’adapter : on va passer d’un monde centré sur l’industrie automobile à un monde de plateformes et de systèmes automatiques. Les mobilités électriques, individuelles ou à la demande vont connaître – et connaissent déjà – un fort développement. Les équipementiers doivent faire face à la pression des GAFA et à leur position sur les systèmes de mobilité autonome. Pour parvenir à faire face aux évolutions, il convient d’interroger les rôles du secteur public, des consommateurs et des entreprises.
Il est aujourd’hui nécessaire de penser la mobilité en termes d’écosystème. Plus que d’un simple déplacement d’un point A à un point B, il s’agit d’un véritable mix de services rendus, dont tous les acteurs sont interdépendants. La mobilité comprend de multiples prestations allant de la vente du ticket de transport à la maintenance des moyens de transport… Chaque prestataire souhaite mettre l’utilisateur au centre de ses préoccupations mais si le système global n’est pas cohérent, l’usager ne s’y retrouve plus. C’est là toute l’utilité de la plateforme développée par AustriaTech, ITS Austrian Platform, dont l’ambition est de couvrir et d’assurer la mise en cohérence de tous les besoins, qu’il s’agisse de ceux des utilisateurs, du besoin de création de valeur des entreprises ou des objectifs des politiques publiques fédérales.
Pour que cette plateforme fonctionne, il a fallu définir au niveau politique des indicateurs de performance communs, de nouveaux régimes fiscaux et de nouvelles normes ainsi qu’établir les droits des usagers. En un mot, il a fallu créer un système commun de références pour que les différents acteurs, malgré leur diversité, puissent s’exprimer dans le même langage.
Nous avons aussi pris conscience du fait que nous avions besoin de retours d’expérience précis pour mieux connaître les besoins et le fonctionnement des nouvelles technologies sur le terrain et ainsi mieux cibler ce qu’il est nécessaire de réglementer et la façon de le faire. Nous avons donc mis en place le mobiLAB, dont une des antennes se situe à Aspern Seestadt. Ce mobiLAB permet d’avoir un contact direct avec les habitants et les entreprises d’un quartier pour mieux comprendre leurs pratiques et leurs besoins, de collecter les données nécessaires à cet effet et enfin de mettre en œuvre des expérimentations locales. Nous nous appuyons sur ces données et ces retours d’expérience locaux pour en intégrer les résultats dans une réflexion plus globale, à l’échelle régionale et fédérale. Le but est bien de parvenir à concevoir la façon dont les nouvelles mobilités locales et les flux qu’elles créent peuvent s’emboîter dans les flux plus globaux.
Ces autres publications peuvent aussi vous intéresser :
Jour 4 : La route, un espace commun ?
Jour 3 : « En route »
Jour 5 : Les imaginaires de la route
Jour 1 : La route au cœur du patrimoine français
Jour 2 : La bataille de la route : la route face aux défis environnementaux
« Et si le monument le plus durable était justement la route ? » Aurélien Bellanger
« On passe tant de temps sur la route que l’on arrive à l’habiter » Luc Gwiazdzinski
Comprendre la route
« Il faut construire un réseau de mobilité durable plus accessible » Aurélien Bigo
Décarbonation automobile : une solution pour quelles transitions ?
Cahors : innover pour une qualité de vie remarquable
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.