L’autocar express, une solution pour les déplacements longs de la vie quotidienne ?
Les circulations liées aux déplacements longs de la mobilité quotidienne croissent fortement et sont désormais majoritaires. Parmi ces déplacements, ceux vers le travail sont les plus dynamiques, avec une croissance de 37 % dans la décennie 2010.
Les circulations liées aux déplacements longs de la mobilité quotidienne croissent fortement et sont désormais majoritaires. Parmi ces déplacements, les déplacements vers le travail sont les plus dynamiques, avec une croissance de 37 % dans la décennie 2010. La proportion d’actifs qui se déplacent à plus de 20 km vers leurs lieux de travail est aujourd’hui de l’ordre du tiers.
Cette tendance n’est ni nouvelle, ni inexpliquée : les activités tendent à se concentrer (métropolisation), les ménages à se disperser (suburbanisation), les territoires de second rang, comme les villes moyennes fonctionnent en réseau, unifient leurs bassins de vie et d’emploi et offrent aux couples biactifs, plus d’opportunités dans leurs trajectoires professionnelles. Ménages et entreprises optimisent leurs parcours sur des territoires distincts : plus de la moitié de l’emploi national est offerte par l’une des 22 aires métropolitaines, et il est situé à plus de 50 % dans les centres de ces aires (où l’on trouve aussi les emplois les plus stables et les mieux rémunérés) et à moins de 10 % dans les couronnes de ces aires, très dynamiques en revanche pour l’habitat (ANCT 2016).
Les ménages ont traduit leur faible appétence pour l’habitat dans les grandes villes en s’orientant vers des zones moins denses dans leur orbite. Ils y trouvent des logements plus spacieux, un accès à un marché de l’emploi diversifié et la possibilité pour leurs enfants d’entamer des études supérieures sans quitter le domicile familial. Avec le temps, ils doivent s’établir de plus en plus loin des centres.
La forte baisse des coûts (temporel et monétaire) de la mobilité, et la croissance du pouvoir d’achat ont rendu ces évolutions possibles et (relativement) indolores. Les logiques de chacun (concentration des emplois pour profiter d’externalités positives, aspirations à un habitat « à l’écart ») restent à l’œuvre, voire pourraient s’accélérer du fait des effets différés de la crise de la Covid-19 et de la découverte des possibilités de travail à distance. En revanche, l’ère de la mobilité facilitée par la baisse des coûts est derrière nous : la rapidité des déplacements stagne ou régresse, les coûts du carburant et des voitures, qui ont longtemps baissé en termes réels sont désormais orientés à la hausse. Les aspirations n’ont pas changé, les efforts publics pour les infléchir n’ont produit que des effets modestes, mais l’aptitude de l’économie et des systèmes de mobilité à les satisfaire s’étiole.
Les mobilités longues concernent au premier chef, mais pas exclusivement, des actifs vivant loin des grandes villes, dans des territoires sans offre de transport en commun pertinente, à l’exception des cas où des TER assurent la liaison. L’usage de la voiture s’impose aujourd’hui dans l’écrasante majorité des déplacements, bien plus que pour les déplacements au sein des agglomérations ou pour les déplacements au-delà de 100 km.
Le caractère obligatoire de ces déplacements, leur poids dans les budgets des ménages modestes et des classes moyennes, et l’absence d’alternatives modales dans la plupart des cas rendent les populations concernées très sensibles à toutes formes de régulation des usages de l’automobile, comme l’ont montré les motivations initiales du mouvement des gilets jaunes : cette mobilité nécessaire exerce aujourd’hui un effet de verrou sur les politiques envisageables, au point que le projet d’augmentation régulière de la taxe carbone a été abandonné, et que les pouvoirs publics sont amenés à manier un « bouclier tarifaire » pour contrer des hausses de prix qui étaient auparavant considérées comme souhaitables pour accompagner la transition énergétique.
André Broto, partant des besoins des grandes couronnes des métropoles (dans un rayon de 30-50 km des centres), plaide depuis plusieurs années pour le développement de services d’autocars express reliant la France des territoires à la France des métropoles. Il a rassemblé ses arguments dans un ouvrage (Broto 2022) qui fera date. Il propose en effet non seulement un nouveau moyen de transport, mais un système intermodal fondé sur des parcs d’échange au voisinage des voies rapides, une exploitation avec peu d’arrêts intermédiaires, des voies réservées là où les risques de congestion sont réels et des destinations qui peuvent être des zones intenses de la ville ou un branchement sur des lignes fortes de transport urbain, tous les éléments du système étant en outre ouverts aux covoitureurs.
Jean Coldefy (2020) part quant à lui des métropoles et de leurs contraintes (congestion, pollution, suroccupation de la voirie) pour rechercher des solutions pour alléger le poids des circulations des véhicules venant de l’extérieur des agglomérations. Il arrive à la même conclusion : il faut pour cela un développement massif de services d’autocars en direction des métropoles. Cette perspective a été reprise dans la feuille de route ATEC ITS France (2021) consacrée à la décarbonation de la mobilité.
Cette proposition vient à point nommé : les coûts de la mobilité sont aujourd’hui nettement supérieurs à ceux qui ont déclenché le mouvement des gilets jaunes. L’horizon 2025 pour la mise en place des Zones à faibles émissions (ZFE), obligatoires dans les agglomérations de plus de 150 000 habitants, interdira l’entrée en ville à une part importante du parc de véhicules thermiques, qui ne seront pas remplacés par un nombre équivalent de véhicules électriques. Elle apporte une réponse à des enjeux politiques, économiques, sociaux et environnementaux : liens entre la France des territoires et la France des métropoles, accès à des marchés de l’emploi diversifiés pour tous, coûts désormais croissants de la mobilité automobile, enjeu climatique.
Elle est séduisante, et fait écho à des success stories fondées sur l’autocar aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Parce que toute transposition internationale est risquée, parce que les exemples français sont très encourageants mais en nombre limité, il faut tester la pertinence de ces offres nouvelles. C’est ce que nous ferons au paragraphe V. Il faut toutefois auparavant répondre à certaines objections et inquiétudes légitimes, ce que nous ferons au paragraphe I. Il faut ensuite prendre la mesure des différents enjeux et de leur degré d’urgence (II), mais aussi des obstacles qui s’atténuent petit à petit (III). Il faut ensuite positionner le système proposé par rapport à d’autres solutions (IV). Ce n’est qu’au terme de ces examens qu’on procédera à l’évaluation économique, sociale et environnementale de cette offre nouvelle (V).
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La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.