Portrait de ville

Béthune-Bruay Artois Lys Romane: Un territoire engagé dans l’industrie du futur

Béthune et sa Communauté d’agglomération sont situées dans le département du Pas-de-Calais en région Hauts-de-France et font partie de son bassin minier. Le passé industriel a profondément marqué le territoire.

La Communauté d’agglomération de Béthune-Bruay Artois Lys Romane (CABBALR), première intercommunalité du Pas-de-Calais, a été créée en 2017, résultant de la fusion de trois intercommunalités. Béthune en est la capitale administrative et concentre une bonne partie des emplois de ce territoire profondément marqué par les terrains agricoles. Sa connexion au reste de la France et de l’Europe est assurée grâce à une desserte multimodale (un axe autoroutier international, une ligne de Train Grande Vitesse – TGV, et une voie navigable fluviale).

Malgré les crises économiques qui frappent le territoire depuis la fin des « Trente Glorieuses », les acteurs publics et privés du territoire ont su faire preuve d’anticipation et d’adaptation pour intégrer les enjeux contemporains de l’industrie, favorisant ainsi la résilience du tissu industriel local.

I. L’industrie à Béthune : une histoire
cyclique

Un territoire historiquement industriel

Le territoire a prospéré grâce à l’artisanat drapier tout au long du Moyen Âge. Ancienne seigneurie, le château béthunois protégé par des murailles fortifiées a attiré de nombreux marchands, notamment pour des raisons sécuritaires. Le secteur drapier s’est spécialisé et a permis le développement de nouveaux corps de métiers comme la tannerie ou la teinturerie. La fin du XVIIIème siècle a été marquée par la fermeture de la dernière manufacture de draps. L’économie béthunoise s’est alors recentrée sur le secteur primaire, autour de deux polarités : d’une part, la culture de tabac et d’oléagineux et, d’autre part, l’exploitation du charbon.

La culture marchande et artisanale du territoire, couplée à l’exploitation de charbon, est un des facteurs explicatifs de son essor industriel à partir du milieu du XIXème siècle. En effet, limitrophe des sites miniers, Béthune a pu s’appuyer sur cette ressource énergétique pour faire fonctionner ses usines de l’industrie lourde (notamment pour les secteurs de la métallurgie et du textile) et acheminer le charbon grâce à son port fluvial.

Le prix de revient élevé des charbons extraits dans la région, a fait baisser la rentabilité des mines, provoquant leur fermeture et marquant un tournant dans l’histoire du bassin. Durant les années 1960, l’industrie s’est développée dans le secteur automobile et la mécanique, le secteur du caoutchouc et la transformation des matières plastiques. Le renouveau industriel a été complété à la fin des années 1970 par de nouvelles implantations dans les secteurs métallurgiques et agroalimentaires. Cet essor a bénéficié de l’aide de l’État à la suite de la Seconde Guerre mondiale, avec de grands projets d’aménagement du territoire en faveur de l’industrie. Ainsi, à l’échelle du bassin minier, une partie des terrains agricoles a été convertie en zones industrielles avec l’implantation de grandes entreprises spécialisées dans la mécanique et l’automobile, notamment Renault à Douai, la Française de mécanique à Douvrin, la Société des transmissions automatiques à Ruitz, Stellantis à Hordain et Bridgestone à Béthune. Implanté entre 1964 et 2021 dans la ville, ce dernier a employé jusqu’à 1 500 personnes.

… Qui a connu de nombreuses crises

Évolution de la part de l’emploi salarié de l’industrie dans l’emploi salarié marchand entre 2000 et 2020, Source : Insee

Les crises des chocs pétroliers (1973, 1979), et l’intégration de la France dans la mondialisation ont fragilisé la région e l’activité industrielle à cette époque tirée par le secteur automobile. Depuis les vingt dernières années, le territoire a subi des vagues de licenciements (-6 % d’emplois en 10 ans entre 2008 et 2019 dans l’agglomération, soit une perte de plus de 5 000 emplois 1 ). La dernière, en date de 2021, avec la fermeture de l’entreprise emblématique de Bridgestone, a entraîné le licenciement de plus de 800 salariés. Cela a contribué à renforcer la paupérisation de la population stagnante depuis plus d’une décennie. Ainsi, en 2020, le taux d’habitants sous le seuil de pauvreté s’élevait à 17,9 % sur l’agglomération, et à 25 % à Béthune, soit au-dessus de la moyenne nationale (14,6 %). On observe le même phénomène avec le taux de chômage qui était de 8,6 % au troisième trimestre 2022 dans la zone d’emploi de Béthune (qui couvre plus ou moins le territoire de la Communauté d’agglomération, à 3 communes près), ce qui correspond à 1,3 % de plus que la moyenne française (hors Mayotte). Il est cependant à noter que ce taux de chômage est en baisse depuis les 10 dernières années sur le territoire : il s’élevait à 12,7 % en 2013 (contre 10,2 % en France), soit 4 points de plus qu’actuellement.

Cette paupérisation a été couplée avec le déclin du secteur industriel. Si le territoire reste plus industriel que la moyenne française en nombre d’emplois (17,8 % sur la CABBALR et 14,8 %, à Béthune en 2019, contre 13,3 % en France), une baisse significative du nombre d’emplois dans ce secteur est à observer (-37 % entre 2006-2021 selon les données de l’ACOSS) marquée par de nombreuses fermetures d’usines et baisses d’activités chez de grands groupes. Parallèlement, le secteur tertiaire a gagné de nombreux emplois sur le territoire.

Une renaissance industrielle pour Béthune ?

Bénéficiant d’une longue tradition industrielle, la région Hauts-de-France présente de nombreux atouts pour attirer les investisseurs industriels, y compris internationaux : une main-d’oeuvre qualifiée, des friches disponibles, de grands groupes déjà présents, une localisation au coeur de l’Europe et un réseau de transport dense et multimodal. C’est d’ailleurs l’une des régions françaises qui connaît le plus grand nombre de créations d’établissements y compris industriels. Cette tendance se retrouve sur l’agglomération de Béthune : une croissance importante du nombre d’entreprises qui fait augmenter la part d’établissements industriels dans l’économie béthunoise (+ 0,6 point entre fin 2019 et fin 2020).

« La vie et la ville de Béthune sont des successions de cycles économiques, industriels et sociaux. On s’inscrit aujourd’hui dans un virage. »

— Olivier Gacquerre, maire de Béthune et président de la CABBALR

En effet, les investissements se sont multipliés dans la région et sur le territoire de la CABBALR qui a gagné en attractivité notamment grâce à l’installation de nouvelles entreprises. En plus des investisseurs privés français, la région Hauts-de-France attire aussi les investisseurs étrangers. En 2019, ils ont participé à 18,5 % des opérations recensées dans la région, une part supérieure à la moyenne nationale (16,4 %). Parmi ces projets, la CABBALR compte notamment l’entreprise européenne Automative Cells Company (ACC) du groupe Stellantis qui a investi deux milliards d’euros pour créer, à Billy-Berclau, une gigafactory 2 .

En outre, l’investissement de deux milliards d’euros du groupe sinojaponais Envision, acteur international des énergies renouvelables, illustre le fort intérêt que portent les entreprises étrangères à la « vallée de l’électrique » dont fait partie la CABBALR. Il prévoit également, via sa filiale AESC (Automotive Energy Supply Corporation) spécialisée dans la fabrication de batteries pour véhicules électriques, la création d’une gigafactory à proximité de la CABBALR, à Douai. Si les derniers chiffres de l’ACOSS (2021) montrent une baisse très légère d’emplois industriels sur le territoire (10 660 salariés en 2020, 10 529 en 2021), la collectivité a bon espoir que la tendance soit désormais haussière.

Ce phénomène pourrait s’amplifier dans les prochaines années. À la suite de l’installation d’ACC, d’autres implantations significatives pourraient ou devraient suivre. Certaines sont déjà annoncées telles que Minth, Corning et Desotec sur la zone industrielle de Ruitz, mais le territoire compte également sur le développement de LogisterrA26, où 500 emplois sont espérés, et de différents projets pressentis dans le cadre de la réhabilitation du site Bridgestone, ainsi que sur une dynamique endogène assez importante au niveau de la multitude de sites industriels existants. Au total, ce sont plus de 2 000 nouveaux emplois industriels qui pourraient être créés sur le territoire de Béthune-Bruay.

II. Atouts et leviers du territoire de Béthune pour la renaissance industrielle

Une position géographique particulièrement favorable avec de nombreuses infrastructures industrielles

Localisée au centre du quadrilatère des grandes métropoles nord-européennes (Londres, Paris, Bruxelles, Luxembourg), la position stratégique de Béthune-Bruay est un atout convaincant pour les industriels, car elle bénéficie notamment d’une desserte multimodale. Le territoire est en effet desservi par un axe autoroutier international, par le rail – avec une ligne de TGV – ainsi que par une voie navigable fluviale est-ouest desservant le port de Béthune. Ces infrastructures rendent possible le transit des voyageurs et celui des marchandises, ce qui permet aux industriels de limiter les coûts impliqués par l’import (notamment des matières premières) et l’export. Si le critère géographique (et en particulier de la desserte) est essentiel, la culture industrielle facilitant le recrutement est un autre facteur particulièrement apprécié par les industriels. Les entreprises du secteur cherchent à être au coeur de ce bassin d’emploi qualifié en particulier dans le domaine de l’électrique.

Un écosystème industriel structuré et qui se diversifie

L’écosystème industriel de la CABBALR est caractérisé par un maillage important d’acteurs industriels composé d’entreprises, de centres de recherches, de centres de formation et d’associations présentant de fortes complémentarités. Le territoire de la CABBALR comptait plus de 1 000 établissements industriels fin 2020, dont plus de 440 actifs employeurs à la même date, avec un total de près de 13 500 employés 3 . Plusieurs secteurs d’activités sont représentés, principalement l’automobile, la mécanique, la plasturgie et l’agroalimentaire répartis entre grandes entreprises, PME, TPE et sous-traitants. De plus, la présence de 35 zones d’activités et 16 bâtiments économiques favorisent la mise en réseau des entreprises.

L’écosystème industriel local est également structuré par des réseaux, des pôles d’excellence et des clusters dynamiques favorisant les partenariats et les échanges notamment avec les centres de recherches et de formation, dans lesquels de nombreuses entreprises sont investies. Les interactions, avec les centres de recherche et les différents acteurs des filières (sous-traitants, PME, startups, etc.) sont cruciales pour répondre aux besoins d’évolution du secteur industriel, qui doit notamment monter en valeur ajoutée pour rester en France face aux faibles coûts de production d’autres pays et afin de prendre le tournant de la décarbonation.

La filière automobile peut ainsi s’appuyer sur la recherche, avec le Centre de Recherche, d’Innovation Technique et Technologique en Moteurs et Acoustique Automobile (Critt M2A), par de multiples entreprises : de grands groupes comme la Française de Mécanique, la Société de Transmission Automatique, Faurecia, ainsi que de multiples PME. Dans le secteur de la plasturgie et des composites, les industriels de l’agglomération sont également appuyés par la présence du pôle d’excellence Plastium, qui fédère le réseau des acteurs de la filière à l’échelle de la région. La mécanique et la métallurgie, autres secteurs clés du territoire, sont en lien avec différents pôles d’excellence, comme Mecanov, qui met en réseau, accompagne et valorise les filières, notamment grâce à des dispositifs d’aides financières. Parallèlement, le Laboratoire Systèmes Electrotechniques
et Environnement (LSEE) développe la recherche de la filière mécanique et métallurgique. Il devrait être prochainement regroupé au sein d’une plateforme technologique (TECH3E, avec 3 E pour Environnement et Efficacité Énergétique) avec le laboratoire « Génie civil et géo-environnement » (LGCgE) et le laboratoire de Génie Informatique et Automatique de l’Artois (LGI2A). Ce projet est porté par l’Université d’Artois et la communauté d’agglomération.

Des politiques publiques en faveur de l’industrie

Afin de dynamiser le tissu industriel du Béthunois-Bruaysis, les pouvoirs publics ont joué un rôle décisif. La CABBALR et la ville, ainsi que l’État, la Région, et le Département, ont mis en place des programmes de soutien financier, de formation et de conseil (recrutement, recherche de foncier et d’immobilier, lancement d’activité, etc.), mais aussi d’accompagnement administratif des entreprises.

La CABBALR a ainsi accompagné, rien qu’en 2021, 63 industriels pour le développement de leur entreprise. À travers son axe « Développement industriel et technologique », elle accompagne les entreprises industrielles dans leurs projets, favorise le développement technologique et universitaire, soutient les filières émergentes, l’entrepreneuriat et les TPE du territoire. De même, elle favorise la mise en relation entre les entreprises et les partenaires économiques afin de créer un écosystème dynamique et fédérateur. La reconversion professionnelle est un autre axe fort de la stratégie du territoire, et propose un parcours immobilier et foncier aux entreprises. Une des actions emblématiques, parmi d’autres, a été la reconversion du site de Bridgestone. En 2021, 1,64 million d’euros a été dédié à un fond de revitalisation spécifique, attribué à 24 entreprises industrielles ou de services à l’industrie pour un objectif de 288 créations d’emplois. Par ailleurs, sur 827 salariés de Bridgestone, près de la moitié ont trouvé une solution professionnelle post-licenciement via une plateforme dédiée à laquelle participe activement l’agglomération.

D’autres institutions, comme la Région, la CCI, les universités locales ou l’État par exemple, participent à ces actions via différents programmes, qu’ils en soient à l’initiative ou en tant que partenaires de projets lancés par la CABBALR. Lancé en 2013, le programme rev3 est l’un des plus emblématiques, dont le territoire a bénéficié à deux reprises qui permet aux entreprises de s’engager dans la transition verte et numérique pour regagner en compétitivité. Doté d’une enveloppe globale de 650 millions d’euros, il permet de soutenir différents appels à manifestation d’intérêt, comme ceux dédiés à la vallée de l’électrique ou au recyclage de batteries, dont notamment le CREPIM, le CRITT M2A et l’UMET ont été lauréats. Par ailleurs, de nombreux investissements sont prévus pour l’intégration des technologies numériques dans les processus de production des industriels (big data, cloud computing ou internet des objets). Ainsi, en 2021, ce sont 10 porteurs de projet implantés sur le territoire qui ont bénéficié de ce dispositif, qui a été un vrai atout selon plusieurs entreprises, comme en témoigne notamment le fondateur et directeur de « Partage ma borne ». Cette structure permet de mettre en relation, grâce à une application digitale, les propriétaires de bornes de recharge de voiture électrique avec les utilisateurs n’ayant pas investi dans un tel équipement.

Les programmes nationaux ont également constitué un appui indéniable grâce notamment au dispositif France Relance, qui s’est traduit par un investissement de 40 millions d’euros injectés sur le territoire. Ce programme de 100 milliards d’euros, dont l’objectif est de redresser durablement l’économie française pour la période 2020-2022, a largement bénéficié à la CABBALR, qui regroupe 1/3 des lauréats régionaux. De plus, le dispositif « Territoires d’Industrie », lancé en 2018 par l’État, se décline au travers d’une série d’actions d’appui au développement des activités industrielles sur le territoire afin notamment de faciliter la mise en réseau des industriels, renforcer l’accompagnement sur les dimensions de ressources humaines ou développer l’attractivité du territoire.

Au-delà des aides directes aux entreprises, les pouvoirs publics interviennent dans  l’aménagement d’infrastructures. Outre les zones d’activités et l’immobilier d’entreprises (42 zones industrielles internationales sur le territoire), la CABBALR souhaite développer le transport fluvial, particulièrement intéressant pour les industriels dont les produits peuvent être très lourds et dont le transport par bateau est plus facile et rentable. Gestionnaire actuel du port de Guarbecque, la collectivité mène des réflexions et des projets pour contribuer à la définition et à la mise en oeuvre de la stratégie, assurer la promotion de ce moyen logistique plus vertueux et respectueux de l’environnement auprès des entreprises, ainsi que veiller à la commercialisation du quai fluvial. À Béthune, dans le cadre du réaménagement et de la requalification du site Bridgestone, la construction d’un nouveau quai le long du canal d’Aire est en projet. Il se trouverait à proximité du port de Béthune géré par la CCI.

Canal fluvial d’Aire, Source : CABBALR

III. Une industrie en pleine mutation

D’importantes ressources pour le développement d’une industrie autour de l’énergie

Qu’il s’agisse de matières premières ou d’énergie, le territoire de la CABBALR dispose de ressources naturelles pouvant servir à produire de l’énergie. Un atout non négligeable à l’heure où l’approvisionnement en énergie représente un réel enjeu.

Depuis 2017, le réseau de chaleur de la ville de Béthune a été transformé au bénéfice d’énergies plus vertueuses. À commencer par la chaleur dégagée par l’incinérateur voisin de Labeuvrière. Ce réseau a été  récemment alimenté par du gaz de mine, appelé aussi grisou, présent dans les bassins miniers du Nord associés. Sans être une énergie renouvelable, la combustion de ce gaz dans un moteur pour produire de l’électricité permet d’éviter le rejet de méthane dans l’atmosphère (qui s’effectue quoi qu’il advienne des galeries minières) au profit de CO2 (28 fois moins élevé en matière de potentiel de réchauffement global que le méthane). Il s’agit en outre d’une ressource énergétique locale qui peut se substituer au gaz importé et acheminé depuis des pays lointains, et être dès lors exploitée en circuit court en économisant les coûts et l’énergie consommée pendant son transport. Le gaz de mine est exploité par Gazonor,  filiale de la Française de l’Énergie, qui prévoit d’améliorer le dispositif afin de limiter et transformer le CO2 rejeté dans l’atmosphère.

« De l’énergie, sur le territoire, on va devoir en trouver, de la verte et de la locale ».

— Yann  Fouant, directeur des projets à la Française de l’Énergie et sa filiale Gazonor

Outre le gaz de mine, le territoire comporte d’autres ressources permettant la production d’énergie locale, notamment le centre de valorisation énergétique (CVE) des ordures ménagères de Labeuvrière, les parcs éoliens et les installations photovoltaïques, qui produisent 88 gigawatts par an d’électricité et 50 gigawatts par an de chaleur alimentant le chauffage urbain. Un nouveau centre de valorisation énergétique (CVE) sera construit sur le territoire pour 2026 avec des performances énergétiques optimisées. Des réserves d’eaux souterraines sont aussi présentes, nécessaires pour certains usages industriels et pour les terrains agricoles. Ces derniers s’étendent sur près de 39 000 hectares (soit 60 % du territoire de la CABBALR) répartis entre 700 exploitations. L’importance de l’industrie agroalimentaire sur le territoire permet aussi une production de matières fermentescibles, un atout pour la production de biogaz issu du processus de méthanisation. Ce procédé permet à la fois de décarboner le gaz tout en s’affranchissant des cours fluctuants de l’énergie, et d’optimiser la gestion des déchets organiques. Par ailleurs, la concentration du tissu industriel dans les zones d’activités permet aux entreprises d’engager des échanges de ressources dans une démarche d’économie circulaire : c’est notamment le cas pour la chaleur fatale.

La transition comme opportunité pour un renouveau de l’industrie

De nouvelles industries se sont implantées sur le territoire en s’appuyant directement sur la transition écologique comme argument, alors que le développement durable a permis l’expansion ou la relocalisation d’entreprises industrielles.

La filière de l’automobile a ainsi muté et a permis le développement et le renforcement de certaines structures, comme le CRITT M2A. L’implantation future de deux gigafactories dans la région, destinées à la production de batteries témoigne également de la consolidation de la motorisation électrique sur la CABBALR. La filière du textile se renforce également sur le territoire avec la réimplantation de Safilin, entreprise de filature de lin créée en 1778 à Sailly-sur-la-Lys à 20 kilomètres de Béthune. Elle qui avait délocalisé sa production en Pologne, a annoncé en 2021 son retour à Béthune avec la création d’une nouvelle unité de production. L’entreprise a été guidée par le désir du made in France, qui séduit aujourd’hui de plus en plus de consommateurs français et favorise l’utilisation de circuits courts ainsi que la réduction des coûts logistiques.

Parallèlement, la création d’entreprises autour du recyclage dans différentes filières est très forte sur le territoire. C’est notamment le cas dans le secteur de l’automobile (Black Star avec le rechapage de pneus, Swoop Energy dans la revalorisation de batteries de voitures électriques en groupe électrogène, etc.), du textile (Vegskin dans la transformation de déchets de fruits en cuir végétal, Le Relais-Metisse dans la transformation de jeans en isolant, etc.), de l’agroalimentaire (Nogashi dans la revalorisation de drêches de brasseries en farine bio, Re-Cycle dans la collecte de biodéchets en vélo pour réalisation de compost) et de l’énergie (implantation en 2025 d’un site de recyclage de charbon actif à Ruitz opéré par l’entreprise belge Desotec).

L’industrie du futur, un souhait fort de l’agglomération

Afin de se différencier des bassins d’emplois voisins, le territoire a engagé un processus de transformation ayant pour ambition de faire de Béthune une smart city. Cette démarche a été soutenue financièrement par le Fonds Régional d’Amplification de la Troisième Révolution Industrielle (FRATRI) de la Région Hauts-de-France. Engagée depuis 2017, l’objectif est de moderniser la ville afin d’attirer une population de cadres diplômés et de nouvelles entreprises. Dans ce cadre, il est envisagé la création du comité Grand Béthune, une assemblée qui a vocation à mettre en relation et à fédérer les acteurs économiques et à constituer une coalition d’intérêts mobilisée pour la réussite du plan d’attractivité du territoire.

Outre cette démarche, la CABBALR est particulièrement engagée dans l’accompagnement du secteur industriel vers la modernisation de ses outils de production et de sa transformation numérique. L’accélérateur rev3 accompagne ainsi pendant six mois les 10 porteurs de projets lauréats et/ou jeunes entreprises qui souhaitent lancer un projet innovant (énergies renouvelables, bâtiments intelligents, mobilité…). Le dispositif Cluster Territoire Intelligent favorise lui aussi le développement de projets innovants (transition énergétique, économie circulaire, transformation digitale, mobilité intelligente, industrie du futur, gestion des données…), avec déjà 4 projets déployés. Par ailleurs, au travers de l’Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) « Territoires d’industrie 4.0 : anticiper les compétences de demain » (dans le cadre du dispositif gouvernemental Territoires d’industrie), une école d’ingénieurs en génie électrique sur le thème de l’électromobilité s’est créée à Béthune, un projet mené en partenariat avec la Communauté d’agglomération et l’Université d’Artois, qui dispose sur place d’un IUT et d’une Faculté des Sciences Appliquées.

Document de promotion destiné à l’appel à candidatures « Accélérateurs Rev3 » de la CABBLAR. Source : CABBALR

Enfin, la Communauté d’agglomération lutte contre la fracture numérique par
diverses actions, notamment en veillant au déploiement de la fibre optique sur le
territoire.

IV. De nouveaux défis pour le secteur industriel

Faire face à la concurrence des territoires et aux difficultés de
recrutement

Outre la concurrence internationale avec des coûts de production moindres dans les pays du sud, un écart qui peut être amplifié avec la crise énergétique, il existe une grande concurrence entre les territoires pour accueillir de nouvelles entreprises industrielles. Cela est particulièrement vrai dans les régions du nord de la France, de tradition industrielle. Aussi, les pouvoirs publics locaux ont un rôle décisif à jouer afin d’attirer de nouvelles entreprises et dans l’accompagnement au développement de TPE. Aussi, le marketing territorial est un axe fort de la stratégie de développement économique de la CABBALR, qui outre la communication via les réseaux et la participation à des salons, coorganise depuis plusieurs années la Fête de la science à l’IUT visant à promouvoir les progrès technologiques et la R&D en matière industrielle.

Ce genre d’évènement a également pour objectif de pallier les problèmes de recrutement auxquels sont soumis les industriels du territoire, un enjeu structurel du secteur qui se retrouve partout en France 4 . Cela a été souligné par de multiples acteurs du territoire, alors même qu’il y a un déficit du nombre d’emplois sur le secteur par rapport au nombre d’actifs. L’agglomération se résidentialise en effet de plus en plus : 42 000 actifs résidant sur l’agglomération travaillent quotidiennement à l’extérieur en 2016 (+20 % en 10 ans), contre 18 000 personnes résidant à l’extérieur et venant quotidiennement y travailler 5 . Ces difficultés de recrutement du secteur industriel se retrouvent à tous les niveaux, les cadres comme les métiers plus techniques, qui s’expliquent à la fois par la dévalorisation du secteur dans l’imaginaire collectif, et par le manque de compétences. De plus, l’industrie est perçue pour beaucoup comme particulièrement polluante et certains secteurs oeuvrant pour des domaines fortement émetteurs (c’est le cas de la métallurgie notamment) sont disqualifiés, notamment auprès des jeunes. Aussi, les pouvoirs publics locaux sont particulièrement actifs dans l’accompagnement à la formation et au recrutement des entreprises. De nombreux programmes ont été lancés : à titre d’exemple, l’Agglomération a signé un partenariat avec l’Université d’Artois dans le cadre de la création d’une école d’ingénieurs sur le campus universitaire de Béthune, un projet qui va inciter les jeunes du territoire à s’orienter vers le secteur industriel. Elle fournit également un appui au développement du Campus des métiers, porté par la région académique des Hauts-de-France.

Gérer la(es) crise(s) énergétique(s) et décarboner l’industrie

La dépendance aux énergies fossiles et l’augmentation du coût de l’énergie sont des contraintes fortes pour les industriels, afin de répondre aux objectifs environnementaux, mais aussi afin de garantir des coûts de production compétitifs. Le plan de sobriété énergétique annoncé le 6 octobre par le gouvernement vise une réduction de 10 % de la consommation d’énergie d’ici 2024. Le risque de délestage auquel font face les industriels cet hiver 2022-2023 est considérable, ce qui pourrait les inviter à stopper leur production durablement une partie de l’hiver.

Les industriels du territoire de Béthune-Bruay ont déjà amorcé des stratégies internes pour assurer leur transition énergétique et anticiper les risques de délestage. L’entreprise Mov’ntec, spécialisée dans la fabrication de motoréducteurs et de variateurs de vitesse, a ainsi installé des panneaux photovoltaïques, des bornes de recharge électriques pour ses salariés, des lumières basse consommation dans les usines (LED) et a remplacé les vieilles machines. Mov’ntec étudie actuellement les possibilités d’installer des toitures végétalisées et de peintures réflectives dédiées à conserver la fraîcheur dans les locaux pour prévenir les canicules.

Le réseau de gaz de mine exploité par Gazonor prévoit quant à lui de s’étendre sur le territoire. Son objectif est de permettre l’autonomie énergétique locale et de limiter au maximum les émissions de gaz à effet de serre. Enfin, Gazonor souhaite proposer des solutions alternatives aux industriels demandeurs de gaz de mine trop éloignés du réseau, en réfléchissant à la liquéfaction du gaz (pour faciliter son transport) et à l’installation de biométhaniseurs.

Favoriser la lisibilité territoriale : de nombreuses politiques et
échelons territoriaux à clarifier

Si certaines entreprises ont reçu un fort soutien de la collectivité, d’autres ont déploré une multitude d’échelons territoriaux rendant complexes certaines démarches en matière d’accompagnement ou de financement. Afin d’expliquer la disparité des territoires en matière d’industrie, Pierre Veltz, professeur émérite à l’École des Ponts ParisTech montre notamment que parmi les critères cruciaux d’implantation et de développement des entreprises industrielles sont davantage d’ordre socio-politico-historique davantage que technologique : la qualité de la gouvernance publique et privée, le leadership et la capacité à élaborer et à porter des projets collectifs sont essentiels.

 

« Ce sont les projets collectifs qui font les territoires et non pas les territoires qui font les projets »

— Pierre Veltz, lors de la conférence « Comment construire une industrie à faible  émission de carbone ? » le 18 octobre 2022 à Béthune.

Plusieurs industriels interrogés ont exprimé leurs difficultés dans l’identification des interlocuteurs pertinents pour leurs démarches et déploré les longs délais administratifs. La Région, le Département, la Communauté d’agglomération, le Pôle Métropolitain de l’Artois, la Ville de Béthune, etc. : cette multiplication d’échelons territoriaux peut en effet  complexifier la coopération des industriels avec le secteur public local. Ce qui est aujourd’hui largement identifié par Olivier Gacquerre, maire de Béthune depuis 2014 et président de la CABBALR depuis 2020, qui s’est exprimé à ce sujet aux Rencontres des villes moyennes organisées à Saint-Dizier par La Fabrique de la Cité. Il considère comme prioritaire de diriger l’ensemble des communes vers un projet commun et d’apporter des réponses concrètes à la filière industrielle, notamment sur le sujet de l’énergie.

Si l’histoire industrielle de Béthune a été ponctuée de crises, elle connaît aujourd’hui une certaine renaissance qui tient notamment à l’effort des pouvoirs publics, l’investissement dans l’innovation et aux opportunités saisies notamment dans la décarbonation de notre économie. En effet, l’accélération du réchauffement climatique et l’enjeu énergétique incitent à repenser les modes de production et d’approvisionnement : des enjeux dès lors intégrés et amorcés par la collectivité et les entreprises. En ce sens, les ressources du territoire, notamment énergétiques, représentent une vraie opportunité, de même que la culture industrielle héritée du passé. Tous ces facteurs peuvent contribuer à relever les nombreux défis qui attendent le territoire afin de confirmer cette renaissance industrielle, si l’ensemble des forces vives sont mobilisées autour d’un projet commun et de priorisations partagées. C’est d’ailleurs l’ambition du projet de territoire (2022-2032) adopté le 6 décembre dernier qui vise à construire une agglomération 100 % durable.

1. L’ensemble des chiffres de cette partie proviennent de l’Insee.

2. Une gigafactory fait référence à de très grandes usines notamment spécialisées dans la production, en très gros volume, de batteries pour voitures électriques et autres dispositifs liés à ce domaine.

3. Selon chiffres Insee

4. Voir notamment la dernière étude de l’Insee en la matière (Enquête trimestrielle de conjoncture dans l’industrie – juillet 2022) et les portraits territoriaux du Creusot et de Saint-Dizier de La Fabrique de La Cité.

5. Chiffres Insee, voir portrait de territoire de la Communauté d’Agglomération de Béthune-Bruay, Artois Lys Romane réalisé par l’AULA en 2021 : https://www.bethunebruay.fr/sites/default/files/media/downloads/portrait_de_territoire_de_lagglomeration.pdf

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