Colloque du 14 mai « Le renouveau industriel bas carbone des territoires : à quelles conditions ? »
Le 14 mai s’est tenu un colloque organisé par La Fabrique de la Cité, Leonard et l’Ecole des Ponts Paris Tech sur le thème “Le renouveau industriel bas carbone des territoires : à quelles conditions ?”, l’occasion de discuter des différents enjeux économiques et politiques liés à cette réindustrialisation, mais également de s’inspirer de Dunkerque, de Fos-sur-Mer et de Pau-Lacq.
Pour introduire le colloque, Anthony Briant, directeur de l’Ecole des Ponts ParisTech a posé les termes du débat : « il n’y aura pas de réindustrialisation sans réinvestissement massif dans le capital humain ». Son école d’ingénieurs cherche à inciter les jeunes à s’intéresser à l’industrie et au potentiel d’opportunités que sa transition représente. Aurélie Picart, déléguée générale du Comité stratégique de filière « Nouveaux systèmes énergétiques » a confirmé cet enjeu de compétences. D’ici 2030, elle estime que 300 000 emplois seront nécessaires à la transition énergétique, notamment des soudeurs, thermiciens, plaquistes, chauffagistes… Par ailleurs, elle décrit une double attente derrière le concept : le verdissement d’une partie de l’industrie, et la structuration d’une industrie de la décarbonation.
Comment réindustrialiser la France tout en poursuivant la trajectoire de la décarbonation ? Avec Anthony Briant
La réindustrialisation : oui, mais à quelles conditions ?
D’après une étude menée par OpinionWay pour Vae Solis et présentée par Clotilde Combe, Directrice adjointe du pôle Opinion, les Français souhaitent une réindustrialisation, en particulier dans les secteurs des énergies renouvelables, de l’industrie agroalimentaire et du nucléaire. A trois conditions : l’industrie doit créer des emplois locaux, les nuisances associées doivent être minimes, et la sécurité des riverains doit être garantie. Seul un répondant sur dix accepterait sans condition.
Nicolas Goldberg, partner Energie chez Colombus Consulting, responsable du pôle énergie de Terra Nova recommande de clarifier le cadre réglementaire pour donner de la visibilité aux entreprises, afin de favoriser les investissements de long terme dans leur outil de production. Cela devra s’accompagner de garanties pour rendre durablement compétitive l’électricité bas carbone. C’est à la fois un enjeu économique, de souveraineté et de cohésion sociale.
Dunkerque : savoir se réinventer tout en pensant le temps long
Après avoir confirmé la nécessité de décarboner ce territoire qui émet un cinquième des émissions industrielles de gaz à effet de serre françaises, Éric Vidalenc, directeur régional adjoint ADEME Hauts-de-France a rappelé que nous n’utilisons pas à ce jour d’énergie entièrement décarbonée. Il s’agit donc de développer, à partir de Dunkerque, une vision systémique : décarboner l’existant et soutenir les projets qui répondront aux besoins d’énergie décarbonée de tout le pays. De son côté, Paul Christophe, député du Nord, a garanti que, grâce à sa capacité à se réinventer, Dunkerque était en train de relancer son attractivité, avec 20 à 30 000 emplois à pourvoir d’ici 2040.
Selon Edouard Dequeker, professeur à la chaire d’économie urbaine de l’Essec, la ville demeure en quête de financements puisque les revenus qu’elle génère, dépensés sur d’autres territoires, ne sont pas captés par la collectivité. Toutefois, si les sources de financement sont parfois difficiles à identifier, Eric Vidalenc a mis en garde : le coût de l’inaction est bien plus vertigineux. Lors de la double crise énergétique et gazière de 2022, il atteignait 100 milliards d’euros.
Un levier sous-exploité de la transition de l’industrie : la valorisation des déchets
Antoine Guillou, adjoint à la maire de Paris, a présenté la complémentarité entre territoires tertiaires et territoires plus industriels. Le million de tonnes de déchets collecté tous les ans par le service de ramassage de la ville, les déchets électroniques, textiles et de matériaux de construction représentent une « mine urbaine ». C’est une ressource pour l’industrie, un gisement d’emplois et un moyen de conforter notre souveraineté.
Fos-sur-Mer : un développement territorial équilibré
Rémi Costantino, directeur général adjoint du Grand Port Maritime de Marseille, a rappelé qu’après un fort développement à la fin des années 40, Fos-sur-Mer a connu un ralentissement avec les chocs pétroliers des années 1970. Aujourd’hui, il reste de nombreuses infrastructures pétrolières et gazières à transformer tout en trouvant de l’espace pour de nouvelles activités. Philipp Braun, chercheur au laboratoire Navier 1 , a présenté les synergies possibles entre ces infrastructures et la production et le stockage de l’hydrogène : un site de stockage de gaz naturel peut également être utilisé pour l’hydrogène, et donc attirer des acteurs économiques français et européens.
Interview de Rémi Constantino
Le développement industriel demande de concilier les besoins de l’industrie et ceux du territoire. Marie-Pierre Callet, vice-présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, a expliqué que le dimensionnement des infrastructures de transport routier et d’électricité pourrait limiter la réindustrialisation de la région, au vu des difficultés à recueillir l’assentiment des populations. Or la temporalité de l’industrie n’est pas celle des politiques publiques : faire vite et bien est dans ce dernier cas difficile. Alors que l’avenir économique de Fos-sur-Mer de 2030 va se dessiner dans les dix-huit prochains mois, le défi consistera à clarifier la gouvernance et la feuille de route pour être à la hauteur de la concurrence internationale.
Comment concilier réindustrialisation et développement territorial équilibré ?
L’industrie verte existe-t-elle vraiment ?
“L’industrie verte n’existe pas”, voilà le message-clé de l’intervention de Léa Falco, doctorante au Cired 2 et cofondatrice du collectif Construire l’écologie. D’après elle, tout est question d’arbitrage et toute industrie a nécessairement un impact sur l’environnement. Sur le plan social, si 400 000 emplois sont créés par la transition énergétique, 250 000 autres vont disparaître, et ce sont autant de personnes qui devront être accompagnées dans le cadre d’une planification élaborée par toutes les parties prenantes.
Pau-Lacq : concerter pour réussir la reconversion du bassin industriel
Le bassin industriel de Lacq s’est constitué autour d’un gisement gazier, dont l’épuisement a été anticipé dès les années 1970. Sa transition bas carbone est le fruit d’un travail de plusieurs décennies, concerté entre les parties prenantes, aboutissant à une feuille de route présentée par Audrey Le Bars, directrice de projet Territoires d’industrie Lacq-Pau-Tarbes. Cette démarche ascendante est gage de réussite, confirme Olivier Lluansi, ancien délégué aux Territoires d’Industrie, chargé d’une réflexion sur l’avenir de nos politiques industrielles.
Chaque territoire est unique, mais si on peut retenir quelque chose de Pau-Lacq, c’est la démarche de concertation et l’ingénierie territoriale. Il insiste aussi sur la décarbonation : « on ne peut pas se payer le luxe de réindustrialiser de manière carbonée, l’industrie sera verte ou ne sera pas ». C’est le défi que propose de relever Elyse Energy, représentée par Benoît Decourt, PME spécialisée dans la production de carburants durables à partir de carbone recyclé, de biomasse et d’hydrogène.
L’anticipation fait partie des éléments clés de la reconversion du bassin. Christian Lombart, vice-président de la communauté de communes Lacq-Orthez l’illustre avec la question du logement. Le programme local de l’habitat (PLH) va en effet être révisé pour tenir compte des besoins associés aux créations d’emplois à venir dans le bassin. Un enjeu qui suppose de voir au-delà d’un mandat politique.
Comment réussir la reconversion d'un bassin industriel ? Avec Alix Duval
Pour retrouver l’ensemble des vidéos en marge du colloque, rendez-vous sur la chaîne YouTube de La Fabrique de la Cité :
Pour aller plus loin, retrouvez l’intégralité de l’événement en vidéo : « Le renouveau industriel bas carbone des territoires : à quelles conditions ? » (vimeo.com)
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.