Note

COVID‐19, changement climatique… Faire face aux crises : un enjeu de résilience

La crise de la COVID-19 a brutalement mis en lumière la vulnérabilité de nos sociétés urbaines ainsi que l’interconnexion généralisée des systèmes urbains, qui a permis à l’onde de choc de se diffuser rapidement à l’échelle de la planète. Cette crise sanitaire a démontré la nécessité de miser sur des stratégies de durcissement, c’est-à-dire sur l’adoption de mesures préventives pour renforcer la capacité des villes et des habitants à faire face à un choc, plutôt que sur une seule stratégie de réparation. Articuler le temps de l’urgence et du court terme avec celui de la prévention et du long terme : cette exigence, qui se trouve au cœur de la notion de résilience, est certainement ce qui permet le mieux de faire le parallèle entre la crise de la COVID-19 et le changement climatique, deux chocs de nature très différente. Pour en discuter, L’Université de la Ville de Demain a réuni Chloë Voisin-Bormuth, directrice de la recherche de La Fabrique de la Cité, auteur du rapport « Résilience urbaine : face aux chocs et mutations délétères, rebondir plutôt que résister [1] ? », et Magali Reghezza-Zitt, experte auprès du Haut Conseil pour le Climat et maître de conférences en géographie habilitée à diriger des recherches à l’École normale supérieure (ENS-PSL), spécialiste des questions environnementales, des risques et des catastrophes naturelles, qu’elle aborde à travers le prisme de la résilience des sociétés et des territoires.

Résilience urbaine – Faire face aux chocs en abandonnant l’ambition du risque zéro

La résilience, un nouvel impératif ?

Figure 1 : Les inondations causées par l'ouragan Katrina (Août 2005)

L’actualité favorise l’emploi du concept de résilience. La crise sanitaire, les attentats, les séismes ou encore les inondations sont tout autant des chocs destructeurs que l’occasion de récits de renaissance. Telles des phénix, les villes touchées par une catastrophe réussissent à se relever de leurs cendres, comme la Nouvelle-Orléans après le passage de l’ouragan Katrina en 2005.

Si la résilience fait parler d’elle, ceux qui utilisent le terme en ont rarement la même interprétation. Il existe une définition générique qui voit en la résilience la capacité d’un objet, d’une personne, d’un territoire ou d’un système à s’adapter pour faire face à un choc et se relever. En effet, le terme « résilience » vient du latin resilere(sauter, rebondir), par opposition à « résistance », qui vient de stare(tenir droit). On retrouve là la fable du chêne et du roseau : la résilience, symbolisée par le roseau, est dynamique et accepte dès l’origine la perte et le changement conséquent à l’adaptation. La résistance, symbolisée par le chêne, est statique. Elle mise sur la protection face au choc et sur sa capacité à l’absorber, au risque de rompre si le choc est trop dur.

Avec la résilience, le rapport au risque se trouve modifié : l’espoir du risque zéro est abandonné. La crise est acceptée, sans pour autant signer un quelconque fatalisme. Une crise ne signifie pas forcément catastrophe et une catastrophe peut aussi être l’occasion d’apprendre et de se relever en étant moins vulnérable. L’objectif poursuivi est d’amoindrir le choc mais aussi de faire en sorte que le système touché soit suffisamment robuste pour ne pas s’effondrer, et, dans le meilleur des cas, se transformer pour être moins fragile. La résilience introduit aussi l’idée d’une action coordonnée et de long terme, en aval comme en amont de la crise, qui permet une adaptation transformationnelle, s’appuyant sur l’innovation et l’apprentissage.

 

Villes et risques : une relation complexe

Les villes entretiennent un rapport complexe au risque. Elles sont tout à la fois :

  • Un enjeu, parce qu’elles présentent une forte exposition aux menaces et une importante vulnérabilité. Cette dernière s’explique par la concentration des populations, des centres de pouvoir et des centres économiques, et par leurs interconnexions multiples. L’onde de choc peut alors s’avérer très importante. Les villes sont sujettes à des chocs brutaux (attentats, séismes) et à des stress chroniques (crise économique, crise sociale). Si les premiers sont très mobilisateurs, les seconds le sont moins car ils s’inscrivent dans le temps long. Le défi de la résilience réside donc dans le maintien d’une capacité d’alerte et de mobilisation, au‐delà de l’urgence et en‐deçà de la latence.
  • Un facteur d’accroissement de l’aléa, en raison du rôle important et connu qu’elles jouent dans le changement climatique et la fragilisation des milieux naturels.
  • Des acteurs majeurs de la gestion des risques et de la prévoyance car elles offrent un échelon d’action et de gouvernance pertinent et efficace.

Si les catastrophes ont toujours existé, il est très rare qu’une ville disparaisse définitivement après une catastrophe. Cependant, il est aujourd’hui nécessaire de renouveler notre approche au risque. En effet, on note une diversité des menaces et une accélération des catastrophes. Ce rythme accru de leur occurrence impose un rythme d’adaptation lui‐même accéléré. La conséquence est la mise sous tension du système : les villes sont bien souvent contraintes de réagir sans pouvoir anticiper. Par ailleurs, il existe l’illusion d’une maîtrise, selon laquelle il n’y aurait pas de risque non maîtrisable et dont on ne saurait se protéger efficacement par l’innovation technique et technologique. La collapsologie affirme au contraire qu’il est déjà trop tard pour l’atténuation. Si ces deux visions sont opposées, elles se rejoignent sur un point crucial : celui de refuser le débat sur le risque acceptable, l’une dans l’espoir de l’annuler par la maîtrise, l’autre par son acceptation résignée.

La résilience ouvre une voie alternative, en affirmant qu’il est non seulement possible d’agir face au risque pour le réduire et s’en protéger, mais aussi que l’action ne se réduit pas à sauver ce qui peut encore l’être. Elle peut être positive et viser à faire de la ville ce lieu du « plus » : plus de confort, plus de vie, plus de bien‐être, pour plus de citoyens et avec moins. En outre, en mettant en avant la capacité à agir localement et à apprendre de l’expérience des autres face à des risques similaires, la résilience stimule l’action collective. Les réseaux de villes résilientes, comme 100 Resilient Cities(dont l’activité a pris fin en 2019) en sont les témoins.

La résilience permet également d’ouvrir le débat sur le sens et l’acceptabilité de la perte consécutive au choc. C’est certainement là le caractère le plus innovant de la notion mais c’est aussi celui qui est le plus souvent oublié. Accepter le choc et rompre avec l’ambition du risque zéro revient à s’interroger sur ce que l’on accepte collectivement de perdre et que l’on ne va pas protéger, sur ce que l’on veut protéger absolument et sur le prix que l’on accepte de payer pour la sécurité.

Enfin, la résilience met en avant une approche systémique du risque et des enjeux soumis à la menace. Elle permet d’articuler les différentes échelles géographiques, le court et le long termes, l’amont et l’aval de la crise.

 

L’oubli des présupposés

Bien loin d’être un concept valise, la résilience serait‐elle en réalité un concept miracle ?

La capacité de ce concept à « mettre en action » les différentes parties prenantes grâce à son caractère très positif en fait une notion séduisante. Toutefois, le caractère consensuel de la notion doit également susciter la méfiance car il conduit à oublier de remettre en question les présupposés qui sous‐tendent la notion de résilience. Qui porte le discours de la résilience ? Qui décide de l’état de choc, ou de l’absence de choc ? Qui détermine l’atteinte de l’état d’équilibre et le fait que la crise ait été surmontée ? L’exemple de la Nouvelle-Orléans montre à quel point la résilience est dépendante de celui qui la dit. Dix ans après l’ouragan Katrina, la majorité de la population blanche de la Nouvelle-Orléans déclare que la crise a été surmontée, tandis que les deux tiers de la population noire affirment au contraire que celle‐ci continue à les frapper durement.

La résilience est par ailleurs bien souvent attachée à l’idée d’une amélioration. On retrouve l’idée de l’électrochoc salvateur permettant de fédérer toutes les énergies et celle de la destruction créatrice de valeur. Survivre ne suffit pas, il s’agit de devenir meilleur. Cette approche revient à distribuer des bons points à ceux qui parviennent à surmonter la crise et à montrer du doigt ceux qui n’y arrivent pas.

Enfin, la résilience est souvent comprise comme une simple mise en cohérence des actions de différents acteurs. Tous les dispositifs existeraient pour faire face aux chocs, il s’agirait seulement de les mettre en musique sous l’égide d’un Chief Resilience Officer jouant le rôle de chef d’orchestre. Cette approche revient à promouvoir l’édiction de modes d’emploi à suivre à la lettre. Or, comme la résilience est sous‐tendue par l’acceptation du choc et de la perte et donc par un choix, elle est en réalité bien moins un projet technique qu’un projet politique. Prenons l’exemple de l’amerrissage de l’US Airways 1549 dans l’Hudson : en 2009, l’US Airways 1549 est percuté par quatre oies de Bernache du Canada quelques minutes après son décollage de la Guardia et alors qu’il survolait le Bronx. Ses deux moteurs sont rendus inopérants et 13 secondes plus tard, le commandant Sullenberger reprend le contrôle de l’avion. Après 5 minutes et 8 secondes de vol, l’US Airways 1549 amerrit sur l’Hudson et l’ensemble des passagers et de l’équipage peut être sauvé).  Cet exemple montre que :

  • La résilience est engagée dans des situations inédites pour lesquelles il n’existe pas de mode d’emploi. La combinaison du risque aviaire, de l’arrêt des deux moteurs et de la basse altitude était une situation de détresse totalement nouvelle et sans solution préconçue.
  • Dans la résilience, le facteur humain est central. Il a un effet retardateur puisqu’avant la réaction, on observe un temps de sidération face à l’inconnu. Il est aussi, et surtout, un relais en cas de défaillance des systèmes techniques. La communication sans faille entre les membres de l’équipage et la réactivité des sauveteurs ont permis de sauver tous les passagers.
  • La notion de capabilité développée par le prix Nobel de l’économie Amartya Sen est également capitale. La capacité d’une personne ou d’un système à faire face à un choc peut être soit facilitée soit complètement entravée en fonction du contexte social, économique, politique, technique, financier, culturel qu’il est donc essentiel de prendre en considération pour développer une stratégie de résilience.
Figure 2 : L'US Airways 1549 qui s'est posé dans l'Hudson après avoir percuté des oies de Bernache

L’exemple de l’US Airways 1549 permet de comprendre que la résilience ne saurait se trouver ni dans la distribution de bons points (la résilience comme capacité intrinsèque de certains individus) ni dans l’édiction de modes d’emploi (la résilience comme capacité pouvant être acquise et qu’il est essentiel de faire émerger une culture du risque et de la crise partagée. Pour cela, il est nécessaire d’informer des risques existants et de former les différents acteurs à adopter les comportements pertinents d’abord pour éviter les risques, et ensuite pour réagir adéquatement en cas de crise.

« La résilience permet d’ouvrir le débat sur le sens et l’acceptabilité de la perte consécutive au choc. Accepter le choc et rompre avec l’ambition du risque zéro revient à s’interroger sur ce que l’on accepte collectivement de perdre et que l’on ne va pas protéger, sur ce que l’on veut protéger absolument et sur le prix que l’on accepte de payer pour la sécurité. »

— Chloë Voisin-Bormuth

Faire face aux crises, préparer demain dès aujourd’hui ? Entretien avec Magali Reghezza-Zitt

Chloë Voisin-Bormuth : Le parallèle est souvent fait entre la crise sanitaire et le changement climatique, notamment en présentant la première comme une aubaine dans la lutte contre le second. Il est toutefois difficile de penser la lutte contre le changement climatique à travers le prisme d’un monde à l’arrêt et de la crise économique et sociale qui l’accompagne. Si l’on veut vraiment rapprocher ces deux crises, ne serait-ce pas plutôt à travers l’enjeu de résilience ?

Magali Reghezza-Zitt : Les zoonoses sont liées à un rapport au monde animal qui a été profondément modifié par les modèles de développement économiques actuels. S’il n’y a pour l’instant pas de corrélation établie entre l’épidémie liée au coronavirus SARS-CoV-2 et la crise de la biodiversité ou le changement climatique, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) alerte depuis des années sur l’augmentation du risque sanitaire provoquée par le changement climatique, la déforestation et l’érosion de la biodiversité. Le changement climatique a aussi un impact sur la santé humaine car il dégrade nos conditions de vie : parasites, canicules et dégradation générale de l’environnement sont autant de facteurs aggravants du problème sanitaire.

Entre la crise sanitaire due à une zoonose et la crise climatique, des points communs peuvent être mis en évidence. Dans les deux cas, des lanceurs d’alertes tentent de sensibiliser au problème depuis des dizaines d’années, en vain. Les crises annoncées relèvent de l’inimaginable : l’esprit humain peine à se projeter dans ces futurs anxiogènes. Le changement climatique pose la question de ce à quoi il faut se préparer puisqu’on ne sait ni quand ni comment les impacts vont s’en faire ressentir. La résilience passe par des actions de prévention et de préparation. Se préparer à des crises mineures et moyennes, c’est aussi se renforcer face à tout type de menace, y compris celle d’une crise majeure. La menace de la Covid-19 ressemble à celle de la crise climatique. Elle est mondiale, tout le monde est exposé, mais les fragilités diffèrent en fonction des territoires, des groupes sociaux et des individus.

Par ailleurs, dans les crises, il y a des facteurs de vulnérabilité spécifiques à chaque menace et qui appellent des mesures particulières pour favoriser la résilience. Il existe aussi des facteurs structurels, inhérents à nos systèmes, qui valent pour toutes les menaces. Dans le cas du coronavirus, l’interdépendance des territoires a profondément accéléré sa propagation. Agir sur les vulnérabilités structurelles permet d’augmenter la résilience à tout type de crise. Par exemple, repenser les circuits d’approvisionnement alimentaire dans la ville bas‐carbone induit une réduction de la vulnérabilité en cas de crise sanitaire.

Un autre point commun entre le coronavirus et le changement climatique est la dimension systémique de la menace. Elle touche tous les aspects de la vie quotidienne, sociale et économique. Dans un monde globalisé, une crise peut rapidement paralyser l’ensemble du système en entraînant des effets en chaîne. À la crise initiale s’ajoutent des crises dérivées. Pour le coronavirus, la crise sanitaire induit des crises sociales, économiques, politiques. La sortie de la crise sanitaire sera effective lorsque le vaccin sera disponible mais d’autres crises majeures demeureront. Comme pour le changement climatique, certains effets sont décalés dans le temps et l’espace. En outre, les disparités régionales accentuent ce décalage des impacts. Ainsi, l’Île‐de‐France se relèvera certainement plus tôt : elle est le centre économique du pays, ce qui justifie de lui octroyer beaucoup de moyens. De son redressement dépend celui de l’économie nationale et donc la résilience des territoires dans les autres régions qui vont être frappés de plein fouet par les impacts socio-économiques du confinement. Finalement, ce sont peut‐être les moins impactés par la crise sanitaire qui vont le plus en souffrir.

 

CVB : Comment atteindre la résilience ? Peut-on se préparer à tout ? Comment réussir à penser l’action face à l’incertitude ?

MR : La résilience s’obtient par la concaténation de différentes actions, complémentaires et non exclusives :

  • La prévention, c’est-à-dire le travail réalisé en amont pour détecter et atténuer les menaces, réduire les vulnérabilités et diminuer le risque.
  • Les politiques d’atténuation, mises en place lorsque la menace n’est plus évitable. La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC), qui vise à respecter l’objectif des 2°C de réchauffement maximum, en est une. Dans la crise du coronavirus, la politique de confinement a la même vocation : aplatir le pic et éviter une explosion des contaminations.
  • La gestion de la crise, une fois qu’elle éclate, pour répondre à l’urgence et agir malgré l’incertitude. Grâce aux ajustements successifs et à l’agilité du système, il s’agit de faire en sorte que la crise ne se transforme pas en catastrophe.
  • Le retour d’expérience à l’issue de la crise, permettant de tirer des leçons. C’est la partie la plus complexe : au lendemain d’une crise, le besoin de tourner la page se fait ressentir. Pourtant, il est nécessaire d’identifier les défaillances afin de ne pas reproduire à l’identique les causes de la catastrophe.
  • L’adaptation, autrement dit les transformations structurelles permettant de toucher aux causes profondes de vulnérabilité. Cela demande souvent de considérer les moyen et long termes.

Finalement, la résilience revient à reconnaître sa vulnérabilité pour mieux la réduire. L’exercice est compliqué dans une situation de concurrence exacerbée, où la recherche de compétitivité conduit à minorer ou cacher ses fragilités. Il faut pourtant les reconnaître pour mettre en place les instruments permettant de s’en sortir le mieux possible. La résilience est une méthode de travail qui permet de restaurer du débat et des choix et nécessite de se projeter. Dans une crise, chaque solution a un coût et des bénéfices. Il est important de garder à l’esprit que les solutions de court terme auront peut‐être un impact négatif à long terme. Pour l’après-coronavirus, une relance de l’économie sans prise en compte de la stratégie nationale bas carbone fragilisera d’autant plus le système pour les crises futures.

Par exemple, la Nouvelle-Orléans est l’archétype de ce qu’il ne faut pas faire. Sa résilience a été largement vantée après le passage de Katrina, avec l’idée que sa reconstruction en a fait une ville meilleure. Cependant, les facteurs structurels de vulnérabilité tels que les inégalités sociales n’ont pas été abordés pendant la reconstruction. La ville est aujourd’hui frappée de plein fouet par la crise sanitaire. Les vulnérabilités créent la crise, l’amplifient et sont révélées par elles.

 

CVB : La crise sanitaire liée au coronavirus et le changement climatique convoquent deux temporalités très différentes :  un choc brutal et très mobilisateur pour la première, exigeant une réponse immédiate ; un choc délétère pour la seconde, dont l’importance elle-même peut paradoxalement soulever l’incrédulité ou la volonté d’occulter le problème, exigeant une action de long terme. La réponse à la crise sanitaire ne risque-t-elle pas de repousser à un « plus tard » indéfini les objectifs de la stratégie bas-carbone ? 

MR : On ne sortira pas indemne de cette crise. Il y aura des morts, des traumatismes psycho‐sociaux, une crise sociale majeure. Les personnes les plus fragiles vont être les plus touchées, parce qu’elles échappent aux filets de sécurité. Si l’urgence sociale peut sembler en contradiction avec une prise en compte du long terme, il ne faut pas pour autant céder au « court termisme ». Il est important de soutenir les PME et les individus, avec la coopération des autres pays et des banques centrales. Cependant, avec une relance « brune », le changement climatique va accroître les pressions sur les sociétés et les individus. Notre économie carbonée n’est pas soutenable à moyen et long termes. En prenant l’exemple du pétrole, l’exploitation conventionnelle et les gaz de schiste sont les composantes d’un système fragile, aggravant le risque de crise pétrolière. Plus l’économie est carbonée, plus on s’expose à cette crise. Il faudrait donc plutôt flécher les aides et les politiques vers des solutions qui vont permettre une adaptation et une transition juste. Au lieu de redresser une entreprise carbonée sur les mêmes bases, pourquoi ne pas l’aider à s’engager dans une transition pour devenir moins carbonée ? Le soutien économique et social doit être accompagné d’une politique de plus long terme. L’environnement change, accroissant les fragilités. Toutes les mesures prises pour réduire les fragilités concernant le coronavirus vont dans le sens d’une ville bas carbone. C’est de l’investissement dans la résilience. Mais si les leçons de la crise ne sont pas tirées, on s’expose à un effondrement potentiel dans cinq, dix ou quinze ans.

 

CVB : Faire face aux crises : est-ce un défi pour un cavalier seul ou pour des mousquetaires ? Quelle place doit tenir la logique de coopération ?

MR : La solidarité peut s’envisager de deux manières. La première est la solidarité négative, qui consiste à penser que la nature systémique de la crise et la dépendance vis-à-vis des autres expliquent qu’un individu soit touché par les actions et décisions de son voisin. La deuxième est la solidarité positive, considérant que l’union fait la force et permet à chacun de s’en sortir grâce àl’entraide et aux complémentarités. Un système n’est pas un sac de billes dans lequel nous sommes ensemble sans être liés les uns aux autres. C’est un tapis dont toutes les mailles sont solidaires. Si un fil est tiré, c’est l’ensemble du tapis qui se dénoue. Ainsi, cultiver les complémentarités – par exemple entre territoires – et repenser les liens de dépendance sont des leviers essentiels de résilience.

La résilience suppose aussi des choix qui ne vont pas de soi. Il y a une tension permanente entre la résilience de l’enjeu (la ville) et celle du système dans lequel l’enjeu est englobé (les territoires qui l’entourent ou les réseaux qui la composent). La résilience s’opère parfois au prix du sacrifice d’une des parties ; c’est pourquoi la question de la justice est omniprésente. La résilience n’est pas consensuelle : ce qui est juste pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. L’objectif fait consensus mais pas les moyens. Aujourd’hui, par exemple, avec le coronavirus se pose la question des mesures plus strictes à imposer aux personnes âgées et celle du tri dans les hôpitaux. Toute crise amène des prises de positions idéologiques, des débats, du dissensus. La question du choix est donc un enjeu démocratique majeur.

Enfin, la résilience est une opportunité d’innover, de créer, de construire ou reconstruire du lien. Il ne s’agit pas de dire « c’est urgent », mais plutôt « dans l’urgence, comment faire pour bien poser le problème, faire des choix éclairés et décider que tel investissement ne vaut pas le coup ou au contraire est nécessaire ? ». La résilience suppose aussi d’anticiper le relèvement et l’adaptation transformationnelle pour créer les conditions de sa mise en œuvre. En France, aujourd’hui, le premier frein à la rénovation thermique des bâtiments, qui pèse lourdement sur les émissions de gaz à effet de serre, est le manque d’entreprises et d’emplois adéquats. Investir dans ce domaine, c’est à la fois avancer vers la décarbonation en atténuant le changement climatique et donc les risques et créer de l’emploi et de l’activité – à condition de déployer les formations et les outils juridiques et financiers adaptés.

« La résilience revient à reconnaître sa vulnérabilité pour mieux la réduire. Dans une crise, chaque solution a un coût et des bénéfices. Il est important de garder à l’esprit que les solutions de court terme auront peut‐être un impact négatif à long terme. »

— Magali Reghezza-Zitt

[1] https://www.lafabriquedelacite.com/wp-content/uploads/2018/09/Resilience_201809_WEB_VF.pdf

[2] Une version plus détaillée de ce texte a été publiée sous le titre « Derrière les mots : la résilience urbaine »  https://www.lafabriquedelacite.com/publications/derriere-les-mots-en-crise-la-resilience/

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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