Édito

Déclin et survie des centres d’affaires

Le débat sur l’avenir des bureaux et des centres d’affaires rejouera-t-il celui initié par Jane Jacobs en 1961 avec la publication de son pamphlet « The Death and Life of great american Cities » ? « Les secteurs rénovés des villes ainsi que les constructions neuves qui s’étendent au-delà de leurs limites sont en train de transformer la ville et la campagne en un même brouet insipide » : elle y dénonçait les grandes opérations de rénovation urbaine qui provoquaient alors une vague de mécontentement auprès de la population. Conçus selon un modèle urbain théorique plutôt qu’appuyés sur une connaissance fine des modes de vie et des aspirations réels des habitants, ces nouveaux quartiers rendus stériles entravaient l’épanouissement d’une vie sociale riche et le développement de quartiers attractifs.

La pandémie a vu la part de télétravailleurs augmenter de force très rapidement dans tous les pays sous l’effet des confinements et des mesures de distanciation sociale : la part de télétravailleurs a cru de 15.7% à environ 50% en France, de 30% à plus de 50% au Danemark et aux Pays-Bas, de 5% à 33% aux Etats-Unis. À mesure que le taux de vaccination croît et que le danger s’éloigne, va-t-on assister à un retour massif au bureau, à un maintien d’un taux élevé de télétravail dont un télétravail à 100% ou à l’adoption d’un modèle hybride avec une proportion hebdomadaire de télétravail limitée à un, deux ou trois jours ? Chacune de ces options est actuellement ardemment discutée car chacune d’entre elles aura des conséquences très différentes pour la géographie du travail, comme le montrent Richard Florida et Joel Kotkin dans un article récent portant sur la géographie américaine post-pandémique . À petite échelle, quelle valeur conservera le patrimoine immobilier de bureau et quelles reconfigurations sont à envisager pour adapter l’espace de bureau et augmenter l’espace de réunion et de rencontres informelles au détriment de l’espace de travail individuel ? À l’échelle du quartier, comment vont évoluer les quartiers d’affaires ? Soumis à une moindre pression, vont-ils muter pour créer des quartiers plus mixtes et diversifiés permettant de rapprocher le logement de son lieu de travail ou de pratiquer ce quartier pour d‘autres activités que son travail ? Vont-ils au contraire se centrer sur la fonction travail, la baisse du nombre d’employés s’y rendant quotidiennement condamnant toute une série de services qui s’étaient développés pour satisfaire leurs besoins ?  À grande échelle, va-t-on assister à un grand rééquilibrage de la géographie du travail, soit par le choix pérenne de s’installer dans des villes petites et moyennes ou en grande couronne des métropoles et de n’aller au bureau qu’occasionnellement, soit par pression de ces nouveaux modes de vie forçant les entreprises à suivre les talents ?

Pourquoi le débat sur l’avenir du bureau a-t-il le potentiel de rejouer celui initié à l’époque par Jane Jacobs ? Car il est tentant de simplifier l’équation qui est ici en jeu. L’année que nous venons de traverser ne peut être prise comme étalon pour penser le futur, dans la mesure où le passage au télétravail fut forcé. C’est seulement aujourd’hui que les négociations sur l’avenir du télétravail se jouent. Dans ces négociations, le désir des employés de continuer ou non à télétravailler et dans quelles proportions, ainsi que les efforts déployés par certaines villes pour attirer les télétravailleurs de manière pérenne (à l’image de l’initiative phare de la ville de Tulsa aux Etats-Unis « Tulsa remote ») ne seront seulement qu’une des données de l’équation. Les enjeux de management (comment susciter l’innovation ? comment conserver l’esprit d’entreprise ? comment s’assurer de la productivité ? comment ne pas être désavantagé dans le système d’attribution des primes et des promotions ?), tout comme les enjeux économiques concernant au premier chef le patrimoine immobilier de bureau, mais plus globalement le marché de l’emploi et les recettes fiscales des villes en sont d’autres, autrement puissants. L’avenir du télétravail et de la géographie du travail sera conditionné par cette lutte entre ces différents impératifs. Il le sera également par l’adoption ou non d’une vision de long terme permettant de s’adapter aux aspirations diverses des habitants. Le risque encouru est de susciter un rejet du nouveau modèle d’autant plus important que cette année de pandémie a mis à mal la capacité à endurer l’imposition d’un mode de vie qui ne se justifie pas. La principale impasse du débat actuel est de ne pas parvenir à penser la diversité des modes de vie. « Dans nos villes, nous avons besoin de toutes les formes de diversité possibles, entremêlées de façon à se compléter les unes les autres » concluait Jane Jacobs pour montrer qu’il était possible de faire renaître les villes. 

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