Derrière les mots : les Jeux Olympiques et Paralympiques (Tokyo 2020)
Le 7 septembre 2013, le Comité international olympique annonçait la victoire de la candidature de Tokyo pour l’organisation des Jeux olympiques d’été de 2020, clôturant, semblait-il, une période douloureuse pour le Japon à la suite de la triple catastrophe du 11 mars 2011 [1]. Près de sept ans plus tard, le 24 mars 2020, le gouvernement central japonais annonçait le report de ces mêmes Jeux olympiques à l’été 2021 en raison de la crise sanitaire internationale du COVID-19, ponctuant une période non moins tortueuse de préparation difficile de l’événement. Comment en est-on arrivé là ?
La loi des séries pour les JO de Tokyo 2020 ?
Les Jeux olympiques et paralympiques d’été 2020 de Tokyo ont connu de très nombreuses embûches. La loi des séries qui touche Tokyo remonte à bien avant le décision de 2013 de lui accorder les Jeux. Candidate malheureuse pour la session de 2016 perdue face à Rio de Janeiromalgré un excellent dossier technique, Tokyo dépose une nouvelle candidature pour 2020 en septembre 2011, six mois seulement après la catastrophe du 11 mars et le désastre nucléaire de Fukushima : le Japon est alors en pleine incertitude sanitaire. Le gouverneur de Tokyo de l’époque, le sulfureux Shintaro Ishihara, faisait de la candidature de la capitale japonaise le point d’orgue de sa carrière politique, censée le propulser dans le peloton de tête des personnalités politiques du pays pouvant prétendre au titre de Premier ministre. Or, le 25 octobre 2012, Shintaro Ishihara démissionne à la surprise générale pour fonder un parti ultranationaliste xénophobe, provoquant au passage un choc diplomatique avec la Chine en cherchant à privatiser des îles disputées entre les deux pays.
Lui succède un premier gouverneur, Naoki Inose, qui démissionnera un an plus tard en raison d’un scandale financier, puis Yōichi Masuzoe, qui ne restera en poste que deux ans, avant que soit portée au pouvoir la gouverneure actuelle, Yuriko Koike. Cette dernière, ancienne Ministre de l’environnement (2003-2007) puis de la défense (2007), est une farouche opposante au Premier ministre Shinzo Abe et entretient également des relations très tendues avec le président du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo 2020, Yoshiro Mori (lui-même ancien premier ministre très conservateur, connu pour ses propos machistes). Cette instabilité politique et ces relations interpersonnelles complexes ne jouent pas en faveur d’une gouvernance équilibrée des Jeux de 2020.
À ce contexte politique s’ajoute une série de dysfonctionnements et de scandales. En juillet 2015, le Premier ministre Shinzo Abe fait pression pour que soit abandonné le projet lauréat de stade olympique remporté par l’équipe de Zaha Hadid, l’architecte irako-britannique, et réorganise un concours remporté par une équipe japonaise menée par Kengo Kuma en décembre de la même année, soit à peine 5 mois plus tard. C’est la même année qu’éclate le scandale du plagiat du logo des Jeux dessinés par Kenjiro Sano, accusé d’avoir copié le logo du théâtre de Liège dessiné par Olivier Debie. Il faut attendre le 25 avril 2016 pour connaître la nouvelle identité visuelle des JO de Tokyo.
La liste est loin d’être finie. On pourrait ainsi y ajouter les complications qu’a connu l’aménagement de la route censée relier le village olympique aux infrastructures sportives, qui nécessitait que soit détruit et déplacé le célèbre marché aux poissons de Tsukiji vers un nouveau site de la baie de Tokyo (sur le terre-plein de Toyosu, dans l’arrondissement de Koto). Or, alors que les bâtiments flambant neufs du nouveau site venaient d’être achevés, ce dernier est diagnostiqué trop pollué par une étude de contrôle, rendant le déménagement de l’ancien marché impossible, tout comme la réalisation de la route devant le traverser par la même occasion. La situation ne se débloque in extremisqu’à la fin de l’année 2018 et les aménagements sont achevés dans des délais très compliqués.
C’est dans ce contexte politique tendu qu’intervient la crise sanitaire du COVID-19. Officiellement peu touché au début de l’année 2020 – la plupart des cas de contamination se trouvant dans un bateau de croisière isolé dans le port de Yokohama – le Japon rechigne à reporter les Jeux olympiques. Le Premier ministre est particulièrement défavorable à l’idée. C’est finalement autant la pression interne exercée par la gouverneure de Tokyo et les maires des grandes métropoles du Kantô (la région capitale, où se trouve également Yokohama) que la pression internationale qui précipitent la décision. En effet, la mise en quarantaine progressive de la moitié de la planète, dont celle de la plupart des pays industrialisés qui constituent l’essentiel des touristes attendus pour remplir les stades et les sites olympiques, fait peser un risque économique majeur sur les Jeux – en plus du risque sanitaire afférent à l’arrivée en masse de touristes étrangers. C’est donc contre ses propres intentions que le Premier ministre Shinzo Abe annonce le report des Jeux olympiques et Paralympiques de Tokyo 2020 à l’été 2021.
Les JO de Tokyo 2020 : un moment initialement historique
Les JO de Tokyo 2020 s’annonçaient pourtant un tournant historique pour le Japon et sa capitale. Les derniers Jeux remontaient à 1964 et avaient marqué l’entrée du pays dans le club des puissances économiques du monde industrialisé. Une session plus ancienne encore – celle de 1940, finalement annulée à cause de la guerre – avait elle aussi marqué son temps. Les Jeux de 2020 poursuivaient trois objectifs.
Le premier objectif était de faire oublier la catastrophe du 11 mars 2011, date à laquelle un tremblement de terre d’une magnitude record (estimée entre 8,9 et 9,1 sur l’échelle ouverte de Richter), un tsunami meurtrier et une catastrophe nucléaire majeure à Fukushima ont profondément touché le nord de l’archipel, menaçant la région de Tokyo d’évacuation partielle en raison des radiations. Rester dans la course pour les Jeux de 2020 était donc un signe de résilience de la part des Japonais ; leur accorder les Jeux était une reconnaissance internationale de leurs efforts de la part du CIO et de la communauté mondiale du sport.
Le deuxième objectif était de parachever près de vingt ans d’intense politique de renaissance urbaine des grandes métropoles nippones, Tokyo en tête. Initiée en 2002 et relancée en 2011, la renaissance urbaine est une ambitieuse politique du gouvernement central destinée à améliorer le bâti, les infrastructures et la valorisation foncière des cœurs métropolitains japonais durement touchés par plus de dix ans de récession économique – la « décennie perdue » des années 1990 – qui succèdent à l’éclatement de la bulle financière de la fin des années 1980. L’idée principale était alors de relancer l’attractivité et la compétitivité métropolitaine en injectant dans le design urbain des milliers de milliards de yens, dont une part significative provenait d’investissements privés – principalement les grandes entreprises immobilières des principaux conglomérats nippons (Mitsubishi Real Estate, Mistsui Real Estate, Mori Biru…) et des compagnies ferroviaires privées (figures 1 à 3).
Le troisième objectif était d’internationaliser les investissements et la population de Tokyo, que ce soit au niveau de la fréquentation touristique (secteur en très forte croissance tout au long des années 2010) ou à ceux de l’immigration professionnelle et des investissements effectués dans le pays. L’enjeu du tourisme comme du recours à de la main d’œuvre et des capitaux étrangers était de compenser l’effondrement de la population active nippone, la plus consommatrice de mobilités et de services structurellement orientés au Japon vers la population de salariés. À cet égard, le gouvernement central a édicté en 2013, année d’obtention des JO, un zonage spécial pour le cœur métropolitain de Tokyo, qui revêt les caractéristiques d’une zone franche visant l’établissement de sièges sociaux de compagnies asiatiques (figure 4).
Les logiques d’aménagement de Tokyo 2020
Les concepteurs du projet de Tokyo 2020 ont voulu insister sur trois points majeurs : la compacité, la centralité et l’héritage urbain. À l’échelle du pays, 28 des 37 sites olympiques du projet de 2020 se situent dans le centre de Tokyo, dont 21 sur le front de mer : cette logique de forte concentration relève donc, spatialement, d’une volonté de renforcer la centralité tokyoïte aussi bien à l’échelle nationale que régionale et métropolitaine, reprenant par-là la même logique que celle du zonage des années 2000 et celui des années 2010. À l’échelle du cœur de ville, le projet distingue par ailleurs deux zones : la zone dite « héritage » et celle dite « de la Baie ». Cette division acte le lent glissement de l’urbanisation de Tokyo de l’ouest, aménagé en particulier en relation avec les Jeux olympiques de 1964, vers le sud (Shinagawa) et le front de mer, nouvelle frontière urbaine depuis les années 1980 et 1990, majoritairement concerné par la renaissance urbaine des années 2000 et dans lequel se loge la majeure partie des aménagements olympiques.
Dans la zone dite « héritage », la quasi-totalité des infrastructures sportives se situe à la périphérie immédiate des centres urbains concernés par le zonage spécial et traduit donc une logique de péri-centralité. Dans la seconde zone, la totalité des sites est elle aussi localisée soit en marge immédiate du zonage, avec les 17 infrastructures aménagées dans l’arrondissement de Kôtô (arrondissement péri-central bordant ceux de Chuo et de Chiyoda), soit dans le zonage mais en marge des terre-pleins concernés par la dynamique la plus intense de la renaissance urbaine et de la construction de tours résidentielles et/ou de bureaux.
Un certain nombre d’équipements et d’infrastructures du projet de 2020 ne sont pas créés mais réhabilités à partir d’infrastructures plus anciennes datant des Jeux de 1964. La dimension patrimoniale du projet de 2020 permet d’établir un lien avec les Jeux olympiques de 1964, notamment à travers la Zone Héritage. En outre, si le stade olympique de 1964 est rasé, le site est réutilisé pour construire celui de 2020 au même endroit, à proximité de la Diète.
Les Jeux de 2020 se veulent ceux de la sobriété. Contrairement aux Jeux de 1964, qui avaient donné lieu à l’inauguration de nombreuses infrastructures, à commencer par la première ligne de shinkansen, les Jeux de 2020 ne prévoient pas de grands chantiers de ce type. On en compte néanmoins trois, de taille plus modeste : la création d’une portion d’autoroute urbaine, l’agrandissement de l’aéroport de Haneda et l’inauguration d’une nouvelle gare sur la ligne ferroviaire circulaire de la Yamanote-senqui enserre l’hyper-centre de Tokyo et dessert ses principales centralités.
La portion d’autoroute est nommée « Shintora »à la suite d’une concertation populaire. Elle sera longue de 14 km, partira de Kanda, à l’intérieur de Tokyo, contournera le palais impérial vers le stade olympique et se dirigera vers la Baie de Tokyo, au sud-est [2]. Comme elle passe dans un tissu urbain dense, une partie sera souterraine, en particulier dans le secteur de Toranomon et de Shinbashi, à Minato-ku. En surface, l’entreprise immobilière Mori Biru et le gouvernement métropolitain, en partenariat avec des acteurs privés et le gouvernement d’arrondissement, aménageront un projet inédit de « Champs-Élysées ».
L’agrandissement de l’aéroport de Haneda, qui se situe dans la Baie de Tokyo à proximité du front de mer et de l’hyper-centre, est en partie pris en charge par les compagnies aériennes qui y ont basé leur hub: JAL et ANA. Les travaux ont déjà été partiellement réalisés mais seront complétés pour les Jeux. En 2010, une nouvelle piste ainsi qu’un nouveau monorail reliant l’aéroport à la ville ont ainsi été inaugurés. Les vols internationaux y seront aussi renforcés, grâce à sa plus grande proximité au centre de Tokyo que l’actuel aéroport international de Narita. Le développement de Haneda devrait améliorer le positionnement de Tokyo en Asie orientale.
Enfin, une nouvelle gare, la Takanawa Gateway, est construite sur la Yamanote-sen. Promesse de campagne du précédent gouverneur, Yôichi Masuzoe, il s’agit de la première gare créée depuis 1971 [3] sur une ligne qui en compte déjà 29. Elle sera le fruit d’un projet de rénovation d’une friche ferroviaire de 20 ha entre les deux gares existantes de l’arrondissement de Minato-ku : celle de Shinagawa et celle de Tamachi. Le tronçon, d’une longueur de 2,2 km et parcouru en trois minutes, est le plus long de la ligne en distance comme en temps. Mais l’espacement n’explique pas à lui seul l’intérêt du projet, qui est beaucoup plus ambitieux.
Trois éléments viennent étayer l’intérêt de la nouvelle gare. Elle sera située dans la zone d’accueil de l’aéroport de Haneda, dont les agrandissements auront des retombées économiques importantes sur les espaces limitrophes. Elle constituera ainsi une zone clé pour l’accueil de touristes et d’hommes d’affaires, avec des hôtels, des bureaux, des services. C’est dans cette optique que l’espace en question avait été désignée « Zone spéciale pour attirer des entreprises étrangères ». Elle sera située à proximité de Shinagawa, qui devrait accueillir le train à lévitation magnétique qui sera inauguré entre Tokyo et Nagoya en 2027. Enfin, elle permettra de connecter la ligne Yamanote-sen avec celles de Keihin-Tôhoku.
Les acteurs et secteurs bénéficiaires des Jeux olympiques de Tokyo
En valorisant le cœur de Tokyo, en urbanisant le front de mer et en encourageant le mouvement de retour au centre des populations, le projet olympique de 2020 se situe dans la continuité des politiques de renaissance urbaine développées dans les années 2000. Il apporte des garanties qui permettent de prolonger les bénéfices de la renaissance et d’enrayer l’essoufflement postérieur à 2008. Trois types d’acteurs sont particulièrement concernés.
1/ Le secteur privé, qui se mobilise dans l’aménagement des nouveaux espaces, bénéficie des garanties reposant sur la qualité du projet olympique, sur l’engagement du gouvernement central et du gouvernement métropolitain à le réaliser mais aussi à assurer l’exploitation des infrastructures une fois l’événement terminé. Il profite également de l’effet signal très positif que l’annonce des Jeux a eu sur les marchés boursiers et financiers. Ce n’est pas un hasard si les entreprises immobilières et de construction mobilisées dans les aménagements olympiques sont les mêmes que celles qui avaient pris en charge la renaissance urbaine du centre de Tokyo : Mitsubishi et Mitsui.
2/ Il y a ensuite les garanties apportées aux arrondissements centraux, en particulier celui de Chûô, sur la perpétuation des mouvements de retour au centre et des investissements immobiliers sur leurs territoires. Elles permettent d’obtenir des financements à meilleurs taux pour moderniser ou agrandir les infrastructures. L’argent public des échelons supérieurs mobilisés dans le projet olympique déleste une partie des dépenses que les municipalités locales allouent à l’entretien et à la modernisation des équipements et des infrastructures.
3/ Avec les investissements que permet le projet olympique, la valeur des biens immobiliers que les particuliers achètent est garantie par un contexte très favorable. Or ces derniers sont d’autant plus enclins à s’endetter que leurs investissements ne sont pas exposés au risque de décote, élément supplémentaire expliquant l’engouement populaire pour les logements de cette partie du centre de Tokyo, surtout dans un contexte national déflationniste.
Si les Jeux olympiques de 2020 n’ont pas d’impacts directs très importants sur les infrastructures lourdes, ils ont de nombreux effets indirects sur l’immobilier privé. Deux secteurs sont principalement concernés : le commerce de détail et l’hôtellerie de luxe. Ce sont de nouveaux débouchés après le ralentissement de la construction de bureaux. En ce sens, les Jeux olympiques constituent un effet d’aubaine important dans le report des investissements immobiliers.
Parmi les projets qui bénéficient de cet effet d’aubaine se trouve le dernier né de Mori Biru : Toranomon Hills dans le secteur Roppongi-Toranomon-Asagi, fief historique de Mori Buri. Les Jeux olympiques constituent également un effet levier pour la fréquentation touristique et tous les équipements qui y sont associés. Depuis que Tokyo a été choisie par le Comité en 2013, des projets hôteliers se multiplient dans la capitale, démontrant un transfert important d’investissements du secteur de bureaux vers l’hôtellerie de luxe [4]. À ce titre, l’association des ryokan(les hôtels traditionnels), la Kokkaren, a indiqué son souhait d’augmenter son offre pour les touristes étrangers. Dans ce contexte, on peut citer deux mégaprojets hôteliers dans le centre de Tokyo : un à Toyosu et un onsen [5] gigantesque (complexe de bains chauds) à Ôtemachi.
Le complexe en projet à Toyosu s’articule autour de deux pôles : le marché aux poissons de Tsukiji, dont le déménagement a été problématique en raison d’un scandale à la pollution découvert en 2018; un onsenaccolé de boutiques et de restaurants. Il est ouvert la nuit, pour offrir la possibilité de prendre des bains en extérieur avec une vue sur la Baie de Tokyo et le front d’eau juste en face [6]. Le complexe à Ôtemachi a été aménagé par Mitsubishi Jisho sur un site de 1,12 ha. Inauguré au printemps 2016, il comprend une tour de 21 étages occupée par un onsendont l’eau chaude est captée grâce à un forage de 1 500 m de profondeur sous la ville. Le projet est estimé à 1,3 milliard de dollars. Le bâtiment est exploité par le groupe Hoshino Resort, qui y a établi son Hoshinoya Resort [7].
Les JO de Tokyo 2020 dans le contexte des cycles économiques des années 2010
La multiplication et/ou l’accélération de projets immobiliers à partir de 2013 et l’annonce de la victoire de Tokyo dans la compétition pour l’organisation des Jeux de 2020 soulève la question de « l’effet olympique » lié au basculement du statut de ville candidate à celui de ville hôte. L’annonce de la victoire de Tokyo a été accueillie très favorablement par la population mais aussi par les marchés et acteurs de l’immobilier et de la construction [8], si bien que l’idée que les Jeux permettent de relancer une dynamique de redressement a été évoquée dans de nombreuses publications de presse. Néanmoins, quels effets l’annonce des Jeux olympiques a-t-elle réellement eus sur la dynamique du marché immobilier et de la construction et, au-delà, sur la politique de renaissance urbaine de la capitale japonaise ? En d’autres termes, 2013 constitue-t-il un événement particulier dans les dynamiques immobilières, permettant de valider l’hypothèse d’un impact fort du changement de statut de ville candidate à ville hôte des Jeux olympiques à Tokyo sur les marchés immobiliers et les dynamiques d’aménagement urbain ? Difficile de répondre de façon catégorique, même si l’on peut apporter un certain nombre d’éléments qui corroborent en partie l’idée. Du point de vue des prix de l’immobilier commercial, il est particulièrement significatif de voir que 2013 constitue un plancher décennal(figure 7) et initie un renchérissement continu en 2014, vérifié par la suite en 2015. Ainsi, au 1erjanvier 2015, les prix moyens ont dépassé ceux du 1erjanvier 2012.
L’évolution des prix fonciers commerciaux et résidentiels sur l’ensemble de la période (2003-2015) permet également de reconstituer une dynamique dans laquelle 2013 occupe un statut charnière(figures 8 et 9). L’année 2008 constitue dans les deux cas un pic en termes de valeur, avant que le choc Lehman Brothers et la crise internationale n’enclenchent une dynamique déflationniste. Dans la plupart des cas, le plancher des prix (résidentiels comme commerciaux) est justement atteint en 2013, qui ouvre une période de net renchérissement général, tant à l’échelle des vingt-trois arrondissements qu’au niveau de la plupart des arrondissements centraux (Minato, Shibuya, Shinjuku et Shinagawa). Deux arrondissements néanmoins présentent un petit écart : il s’agit des deux plus centraux, Chiyoda et Chūō, aussi parmi les plus concernés à la fois par la politique de renaissance urbaine et ses zonages successifs et par les aménagements des sites olympiques. Pour les prix résidentiels, ces deux arrondissements, ne connaissent pas un plancher en 2013, mais en 2010, avant de remonter en 2011, puis de redescendre en 2012 à la suite du séisme qui a liquéfié les terrains construits sur le front de mer et affecté négativement la perception de leur sécurité, puis de remonter à partir de 2013 avec l’annonce des Jeux olympiques.
Cet effet de 2013 sur les prix fonciers constitue un indice quant au rôle joué par le projet olympique dans la création d’un signal fort qui nourrit la demande de copropriétés dans le secteur du front de mer, au bénéfice de l’arrondissement de Chūō pour lequel le mouvement de retour au centre des populations est garanti jusqu’après 2020 par la conversion du site du village olympique. Cette caution permet au gouvernement local de Chūō de consentir des investissements dans des équipements, comme des infrastructures éducatives ou des réseaux d’assainissement qui constituent autant de charges de centralité coûteuses que Chūō-ku ne peut mettre en œuvre sans la certitude qu’elles seront rentabilisées par l’arrivée future de populations nouvelles et de contribuables supplémentaires.
Néanmoins, malgré l’observation de ces éléments concernant la dynamique des prix fonciers et immobiliers, les taux de vacance qui diminuent ou encore la multiplication de projets de grande taille, il demeure difficile d’évaluer avec précision ce qui relève de l’événement ponctuel, à savoir l’attribution des Jeux à Tokyo en septembre 2013, ou du cycle macro-économique dont les dynamiques expliquent déjà à elles seules le pic de livraison de surfaces immobilières commerciales en 2012, le pic des taux de vacances en 2011 et leur décroissance continue et le plancher des prix immobiliers en 2013 et leur hausse continue.
Le report des JO à 2021 : une catastrophe ?
En effet, on observe sur une série temporelle plus longue des cycles économiques structurels dans lesquels les Jeux olympiques de 2020 viennent se lover. Si l’on examine l’évolution du volume de surfaces nouvelles [9] construites dans les 23 arrondissements, on relève que ces dernières suivent trois cycles de neuf ans entre 1989 et 2015, inscrivant les mécanismes des années 2000 et 2010 dans une logique de cycles à plus long terme. Un premier pic en 1994 marque la période post-bulle. Il correspond à la livraison de projets entamés lors de l’euphorie spéculative. Le pic de 2003 correspond à la livraison de projets entamés lors du plancher des prix fonciers aux alentours de 1995-1996. Enfin, celui de 2012 résulte du cycle de renaissance urbaine initié en 2002 et qui, à partir de là, s’essouffle (figure 10). Si l’on y ajoute un nouveau cycle de 9 ans, le prochain pic devrait en toute logique se produire en 2021, soit juste à la fin de la période ouverte avec les Jeux olympiques d’été de 2020, soulevant ainsi la question de leur instrumentalisation à des fins de relance des cycles immobiliers tokyoïtes.
Dans le détail, chaque cycle de neuf ans est constitué de deux phases (figure 11). Prenons le cas du deuxième cycle. Avant 2003, l’offre est bien supérieure à la capacité d’absorption du marché qui connaît une situation de surproduction. Après 2003, l’offre baisse, la demande la rattrape puis la dépasse. Les livraisons de surfaces nouvelles diminuent, ce qui permet une absorption des surfaces existantes par le marché. On observe ainsi que les rapports entre l’offre et la demande s’inversent après 2003.
Si l’on se fonde sur la logique des cycles de la construction à Tokyo, le cycle actuel de neuf ans dont le pic s’observe en 2012 devrait connaître mécaniquement un pic écho en 2021, date du report des JO. Au final, on peut se demander si la correspondance théorique entre ces deux dates est si défavorable, ou si, au contraire, la logique du cycle finissant en 2021 et la logique contrariée des Jeux olympiques reportés pour 2021 ne constitueraient pas une heureuse aubaine pour l’économie tokyoïte. Purement théorique, l’idée ne prend pas en compte la crise économique à venir provoquée par la mise en quarantaine d’une grande partie de la planète : cette dernière sera-t-elle au rendez-vous des JO de 2021 ?
[1] Le 11 mars 2011, un séisme de magnitude de 8,9 suivi d’un tsunami, ont détruit les côtes du nord-est du pays, conduisant à la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima dai ichi.
[2] Le tracé reprend à peu près celui qu’avait voulu le général MacArthur pendant l’occupation américaine.
[3] La dernière gare inaugurée sur cette ligne a été Nishi-Nippori, en 1971, dans l’arrondissement d’Arakawa.
[4] Ichirô MARUTANI, « Toshin no hoteru kaigyô rasshu… gaishi to kokunai-zei ga hibana » (都心のホテル開業ラッシュ。。。外資と国内税が火花, Course à l’ouverture d’hôtels avant les Jeux de Tokyo. Capitaux étrangers et énergie intérieure), Yomiuri Shinbun, 12 juin 2014.
[5] 温泉, source chaude.
[6] « Tôkyôwan no yakei nagame nyûyoku mo… Toyosu ni ichidai kankô zon » (東京湾の夜景眺め入浴も。。。豊洲の一台観光ゾン, Un méga complexe touristique à Tokyo… avec vue nocturne sur la Baie de Tokyo), Yomiuri Shinbun, 20 février 2014.
[7] https://japantoday.com/category/features/travel/hoshino-resorts-opens-new-luxury-hot-spring-ryokan-in-tokyos-otemachi
[8] Fabrice NODE-LANGLOIS, « Euphorie boursière à Tokyo après la victoire pour les JO de 2020 », Le Figaro, 10 septembre 2013 ; Yann ROUSSEAU, « Cette nuit en Asie : la Bourse de Tokyo en forme olympique », Les Echos, 9 septembre 2013.
[9] Ces surfaces nouvelles correspondent à la totalité des surfaces de bâtiments neufs supérieurs à 10 000 m² dans les 23 arrondissements. Il ne s’agit donc pas du solde entre surfaces nouvelles et surfaces détruites.
Ces autres publications peuvent aussi vous intéresser :
Derrière les mots : la relance
Derrière les mots : la résilience
Derrière les mots : la densité
Virage à 180°
Derrière les mots : la sécurité alimentaire
Derrière les mots : la smart city
Derrière les mots : le télétravail
Derrière les mots : l’espace public
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.