Elon Musk, Mark Zuckerberg et Rabelais
La controverse entre Elon Musk, le flamboyant patron de Tesla et Space X, et Mark Zuckerberg, le fondateur et CEO de Facebook, au sujet des dangers et opportunités de l’intelligence artificielle, a quelque chose de bienvenu. Elle signale que les géants de la nouvelle économie ne forment pas un bloc monolithique dont la seule préoccupation serait de faire naître au forceps une nouvelle société digitale, sans qu’on s’arrête un instant sur le sens de cette révolution en cours.
Elle pose au fond une question politique : comment contrôler le monde numérique ? Dans l’espace urbain, cette question se pose avec acuité, alors que la ville forme l’échelon premier de la décision politique et que la révolution digitale perturbe les fonctions vitales de la ville — pensons à l’impact du transport à la demande sur le système de mobilité urbain.
Ce débat est déjà à l’œuvre s’agissant du rôle du big data : dans un jeu d’acteurs perturbé par l’arrivée des plateformes numériques, qui possède ou a accès aux données et, plus encore aux algorithmes qui créent le sens ? S’agissant de l’intelligence artificielle, le débat se complexifie. Les données sont un outil, pas un acteur. Mais quid de l’intelligence artificielle : s’agit-il d’un outil au service de la prise de décision — celle des citadins dans l’intimité de leur logement ou celle de la ville, confrontée à des choix cruciaux en matière d’infrastructures ? Ou bien faut-il voir dans l’IA un acteur qui décidera en lieu et place de, ce qui implique de réfléchir à sa place dans la gouvernance urbaine ?
Ces questions sont majeures car elles touchent à la capacité des citadins à évaluer l’action publique : devrons-nous tous être experts en code ou en algorithmique pour être des citoyens éclairés ? Autre manière de se demander si ce ne seront pas les mathématiciens qui finalement seront les piliers de la démocratie de l’ère numérique.
Que les maths aient envahi l’espace urbain est déjà un fait, comme tel ni regrettable ni souhaitable. La vraie question est la suivante : sommes-nous prêts à accepter et à travailler avec la complexité ? Tel est bien l’enjeu qui se situe au cœur des débats parfois confus sur cette fameuse « intelligence collective » dont on parle tout autant que de l’intelligence artificielle. Il faut voir derrière ce terme une réalité très concrète : pour faire avancer les projets urbains, que ce soit en matière de mobilité ou de transition énergétique, l’approche en silo, technique, descendante du donneur d’ordre vers l’exécutant, n’est plus de mise. Prenons l’exemple des projets prometteurs d’autoconsommation collective : aucun ne verra le jour si ne travaillent pas main dans la main la collectivité publique, les consommateurs, les ingénieurs, les informaticiens, les juristes, etc. L’intelligence artificielle sera peut-être celle qui nous permettra de mieux consommer mais elle jouera le rôle pour lequel elle a vraiment été conçue si elle est placée dans la perspective plus large de la transition écologique.
Revenir au sens, n’est-ce pas ce que proposait Rabelais dès le XVIème siècle, lorsqu’il rappelait que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ? Profitons donc de l’été pour faire lire Pantagruel à Elon Musk et Mark Zuckerberg !
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.