Helsinki : planifier l’innovation et la résilience
Au cours de notre dernière expédition urbaine à Helsinki rassemblant La Fabrique de la Cité et Leonard, nous avons pu découvrir deux aspects caractéristiques de cette ville : ses bâtiments en bois et ses constructions souterraines.
L’industrie du bois représente l’un des secteurs clés de l’industrie finlandaise, les forêts couvrant les trois-quarts du pays. La production de bois et de papier constitue la deuxième source d’exportation, tandis qu’une longue tradition de construction en bois se perpétue à Helsinki et et dans toute la Finlande. Cette industrie reste cependant confrontée à de nombreux obstacles, malgré la place des géants mondiaux finlandais dans ce secteur. L’évolution de la production de bois est désormais contrainte, sur le plan technique, par la nécessité de protéger les ressources et de gérer les forêts de manière durable. Malgré les obstacles à la fois économiques et politiques qui rendent parfois difficile les transpositions d’un État à un autre des meilleures pratiques, nous avons tenté de mettre en perspectives nos approches respectives de la filière bois. Cette expédition urbaine était l’occasion de comprendre comment l’État finlandais structure l’industrie de la construction bois, en partenariat avec les constructeurs. De la plantation de forêts jusqu’à la construction de bâtiments, toute la chaine est impliquée.
Quelques questions ont structuré nos échanges avec nos homologues finlandais : quelles leçons tirer de l’industrialisation du secteur de la construction en bois ? Qu’est-ce qui rend un bâtiment en bois si innovant en Finlande ? De l’exploitation de la forêt à la construction en bois : comment garantir le développement durable d’un secteur international très exigeant ?
Si la ville souterraine est un champ d’étude plus récent que les constructions en bois, il n’en est pas pour autant moins structuré en Finlande. Ainsi, Helsinki a été l’une des premières villes au monde à avoir élaboré un plan d’utilisation des espaces souterrains. Souvent destinées à l’origine à des usages militaires, les installations souterraines à Helsinki ne sont pas de simples coulisses urbaines, destinées à cacher les infrastructures liées aux transports, aux déchets, à l’eau ou à l’énergie. Elles abritent aussi des lieux de culte et de loisirs, des bureaux et même des logements, qui peuvent très souvent être transformés en abris anti-bombes. La ville est emblématique de cette transition vers un aménagement urbain, dans lequel les sous-sols, auparavant relégués à des fonctionnalités techniques, ont acquis une véritable valeur lors de la densification, quand l’espace est devenu rare en ville. L’observation de ces constructions souterraines nous a aussi rappelé que les luttes géopolitiques contemporaines persistent à la fois en surface et en sous-sol à Helsinki.
En observant comment une ville aménage et protège ses espaces souterrains, plusieurs questions se sont posées.
Comment les sous-sols peuvent-ils contribuer à la mise en place d’un projet urbain de métropole durable ? Comment un projet d’aménagement souterrain peut-il servir la résilience de la ville ? Enfin, les enjeux de gouvernance et de gestion politique de l’espace souterrain nous ont intéressés : le sous-sol peut-il être développé comme un espace urbain normal ou a-t-il besoin de règles spécifiques et d’une organisation politique ? Comment peut-on garantir le lien entre sol et sous-sol ?
Helsinki, témoin des différentes étapes de l’histoire de la Finlande
Une courte histoire du développement et de la construction d’Helsinki
La majeure partie de l’histoire de la Finlande est étroitement liée à la Suède et à la Russie : un héritage dont l’architecture d’Helsinki garde la trace. Le pays a été occupé par la Suède entre les XIVème et XIXème siècles, avant d’être conquis par la Russie en 1808-1809, puis annexé par l’Empire russe de l’Empereur Alexandre 1er, qui lui a donné son statut de Grand-Duché indépendant.
Durant l’occupation russe, la Finlande a connu une période de prospérité ponctuée de conflits avec la Suède. C’est sous l’hégémonie russe que la ville d’Helsinki, alors appelée Helsingfors, est devenue la capitale de la Finlande, remplaçant Turku, située sur la côte occidentale du Grand-Duché et considérée comme trop proche de la Suède, géographiquement mais aussi culturellement. C’est aussi à cette époque que la ville a connu une expansion considérable : le centre-ville a été reconstruit selon les plans de Carl Ludwig Engel et les infrastructures, telles l’Université de Turku, qui allait devenir l’Université d’Helsinki, ont été transférées vers la nouvelle capitale.
Né le 3 juillet 1778 à Berlin et mort le 14 mai 1840 à Helsinki, Carl Ludwig Engel était un architecte allemand. Son œuvre la plus notable est la reconstruction de la ville d’Helsinki, et notamment sa cathédrale, sa place du Sénat et tous les bâtiments environnants, son hôtel de ville ainsi que de nombreux autres bâtiments majeurs du centre-ville d’Helsinki. Plus tard,
il a également été chargé du nouvel aménagement urbain de la ville de Turku, dans l’ouest de la Finlande, après sa destruction presque totale par un grand incendie en 1827.
C’est au cours des nombreux conflits entre la Russie et la Suède que s’est forgée une forte identité nationale finlandaise. En 1917, tirant profit de la révolution bolchévique qui faisait rage en Russie, la Finlande a gagné son indépendance, tout comme les autres territoires qui deviendront les pays baltes. C’est à cette occasion qu’Helskingfors a pris le nom d’Helsinki. Cependant, en 1918, une guerre civile sanglante a éclaté dans le pays, aboutissant à la victoire des « Blancs », soutenus par les Allemands, contre les « Rouges », soutenus par les Soviétiques. Au cours de cette période, l’Allemagne et l’URSS ont fait d’Helsinki l’objet d’une lutte d’influence. En 1939, à l’apogée de l’alliance entre les deux puissances, la Finlande et sa capitale ont été assignées à la sphère d’influence soviétique jusqu’à l’effondrement du pacte germano-soviétique, puis ont combattu aux côtés de l’Allemagne nazie.
Au cours de la guerre, Helsinki a été régulièrement ciblée par des bombardements massifs des forces aériennes soviétiques. Heureusement, ces bombardements n’ont fait qu’une centaine de victimes et n’ont mis à terre qu’une centaine de bâtiments. Helsinki comptait alors une population de 275 000 habitants. Cette période de guerre a entraîné de nombreux déplacements de population et Helsinki a vu sa population croître de plus de 50 000 habitants tandis que sa superficie a été multipliée par cinq.
La Finlande et l’URSS se sont ensuite affrontées durant la difficile « Guerre d’hiver » (1939-1940), mais les deux pays ont conservé leurs relations politiques et commerciales après le conflit. Cependant, après la chute de l’URSS, la Finlande a connu une période de forte récession au début des années 1990, qui s’est achevée quelques années après, notamment lorsque le géant de la téléphonie mobile Nokia a atteint son âge d’or. La Finlande a rejoint l’Union européenne en 1995 et a aussi été l’un des premiers pays à adopter l’euro comme monnaie officielle.
Le contexte économique et institutionnel général d’Helsinki
Le développement de la ville d’Helsinki, qui est construite sur une péninsule entourée de plus de 330 îles, s’est essentiellement structuré autour de sa relation à l’eau (ports, docks, exportations commerciales, tourisme et pêche). Sur une superficie totale de 715,55 km², seulement 213 km² sont sur le continent. Cette caractéristique ainsi que l’ouverture d’Helsinki sur le Golfe de Finlande font de la ville l’un des principaux ports commerciaux de Finlande. Autre point notable, sur un autre registre, il s’agit de la deuxième capitale la plus septentrionale au monde, après Reykjavik.
La municipalité d’Helsinki est organisée autour du Conseil municipal, l’organe exécutif de la politique locale. Celui-ci est chargé de l’aménagement de la ville, du développement urbain, des écoles et des transports publics. Il dispose d’un pouvoir important en matière d’aménagement urbain et de planification. Il est composé de 85 membres élus tous les quatre ans lors des élections municipales. Une fois constitué, le Conseil municipal nomme son maire : ce poste est occupé par Juhana Vartiainen depuis le 2 août 2021, membre du Parti de la coalition nationale, un parti conservateur et libéral de centre-droit.
La ville d’Helsinki est divisée en 60 quartiers (kaupunginosa), dont le découpage répond à des objectifs d’aménagement urbain et 34 districts (peruspiiri), dont la délimitation vise à faciliter la coordination des services publics dans Helsinki. En outre, la zone métropolitaine du Grand Helsinki inclut les quatre municipalités qui constituent la Région-capitale (Helsinki, Espoo, Vantaa et Kauniainen), ainsi que dix autres municipalités, chacune comptant entre 5 000 et 50 000 habitants.
La démographie d’Helsinki est très différente de celle du reste de la Finlande. La population de la ville a fortement augmenté depuis les années 1800, atteignant 658 457 en 2021, avec des projections de croissance allant jusqu’à 730 098 en 2040 selon l’Institut de statistiques finlandais. Au total, la région du Grand Helsinki comptait 1 488 236 habitants au 31 août 2018, soit un tout petit plus que 25 % de la population finlandaise totale en 2018.
La population de la ville est composée d’environ 80 % de Finlandais et 20 % d’étrangers. Les plus fortes minorités sont russes, somaliennes et estoniennes. En raison de l’étroitesse de ses liens passés avec la Suède, la Finlande, et par extension Helsinki, comptent une importante minorité parlant suédois, représentant entre 5 et 7 % de la population. Le finnois et le suédois sont les deux langues officielles du pays.
Helsinki, vitrine des techniques de construction de la Finlande
Intégrer du bois dans la ville
L’industrie du bois
L’industrie du bois constitue l’un des principaux secteurs d’activité de la Finlande. Ses véritables débuts remontent au XIXème siècle, lorsque la forêt a été massivement exploitée et a contribué non seulement à construire des bâtiments mais aussi à fabriquer du papier et des produits de chauffage. Plus tard, au XXème siècle, la production n’a pas pu être maintenue à ce rythme élevé en raison des deux guerres et du fait que l’URSS, autrefois un bon client du bois finlandais, se tournait vers le pétrole. Après la guerre froide, la Finlande a petit à petit géré sa forêt comme un capital à protéger, investissant progressivement dans d’autres sortes d’innovations en bois, produites à moindre échelle.
Au cours de notre expédition urbaine, nous avons rencontré Laura Berger et Kristo Vesikansa, architectes et commissaires de l’exposition New Standards, portée par la Finlande lors de la Biennale de l’architecture à Venise en 2021. Leur pavillon présentait l’histoire de Puutalo Oy (Timber Houses Ltd.), une entreprise industrielle créée en 1940 pour répondre à la crise nationale des réfugiés, au moment où la guerre a entraîné le déplacement de près de 420 000 citoyens finlandais. À cette époque, architectes et industriels s’étaient rassemblés pour mettre au point un nouveau modèle de logement préfabriqué en bois. Celui-ci a non seulement modernisé l’industrie de la construction en Finlande mais a aussi été exporté dans le monde entier. Depuis la première commande (10 000 m² de casernes construites pour abriter les troupes allemandes en Norvège) jusqu’aux constructions actuelles (essentiellement des maisons individuelles), cette histoire industrielle illustre la façon dont la Finlande a su développer un modèle innovant et modulable de constructions en bois. Les maisons Puutalo se retrouvent désormais partout dans le monde, de la Finlande à l’Amérique latine. Après la guerre, en 1946, la Finlande a en effet commencé à exporter ces maisons en échange de matériaux bruts, de machines et autres biens essentiels. Un système d’échange direct apparenté au troc, assez inspirant à l’heure où l’on se penche sur les modèles de l’économie circulaire. Puutalo a produit près de 120 000 maisons dans plus de 30 pays, contribuant à la définition d’une nouvelle référence en matière de logement, lors de la période de reconstruction d’après-guerre, jusqu’en 1955.
« En tant que pionnier mondial des structures préfabriquées en bois, l’entreprise Puutalo a exporté le bois des forêts finlandaises dans le monde entier, sous forme d’écoles, d’hôpitaux, de dortoirs et de maisons individuelles, des milliers de ces structures étant encore utilisées. »
Encourager la construction en bois
Dans les années 1990, pour maintenir le rythme de la production industrielle de bois tout en protégeant les ressources, la Finlande a décidé d’investir dans la recherche et développement dans le secteur de la construction. La Finlande a longtemps été célèbre pour la bonne qualité de ses bâtiments en bois, mais uniquement à petite échelle ou très localement. Ainsi Puutalo Oy constitue un très bon exemple de ces savoir-faire innovants restés cantonnés à l’échelle locale : ce n’est qu’aujourd’hui que les maisons préfabriquées sont de retour, y compris dans le cadre de constructions modulaires pour des bureaux, des gares ou des entrepôts notamment.
Miikka Pesonen, responsable des ventes de Stora Enso, leader mondial finlandais de la production de bois, insiste d’ailleurs sur la grande variété de produits en bois développés spécifiquement pour la construction. Depuis les outils numériques d’analyse des constructions jusqu’aux matériaux en bois bas-carbone, l’entreprise Stora Enso intervient sur toute la chaîne de valeur et dispose d’un réel ancrage sur le marché des produits à base de bois. Elle illustre le dynamisme de l’industrie du bois en Finlande, industrie qui prospère grâce à la diversification des produits dérivés du bois.
La construction en bois est par ailleurs vivement encouragée par l’État, dans certains des documents nationaux d’aménagement tels que le Programme du gouvernement, le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat, le Programme forestier national et enfin la Stratégie bioéconomique finlandaise. Le principal document est le Programme national en faveur du bois (2016-2022), qui prévoit le développement de règles, d’une législation et de compétences régionales visant à soutenir le développement de la construction en bois. Il encourage et encadre les synergies entre le secteur public, les professionnels de l’industrie de la construction et la communauté académique. L’objectif est de faire passer la part de marché des constructions en bois dans les bâtiments publics de 31 % en 2022 à 45 % d’ici 2025. De fait, comme l’a montré Petri Heino, directeur du Programme national en faveur du bois au ministère de l’environnement, la construction en bois est un enjeu crucial pour la Finlande, qui s’est fixé un objectif très ambitieux, de neutralité carbone d’ici 2035 et de négativité carbone dans les années 2040.
La gestion durable des forêts et la durabilité du secteur
La gestion durable des forêts constitue une question clé pour la viabilité à long terme de l’industrie du bois. Le bois est un matériau particulièrement efficace pour le captage du CO2, mais son utilisation dans la construction peut aussi entraîner une mauvaise gestion des forêts, une perte de biodiversité via la destruction de l’habitat d’un certain nombre d’espèces ou la disparition de la fonction de captage de CO2 dans ces zones. Enfin, l’importation de bois étranger pour certains sites en construction augmente considérablement l’impact carbone de l’activité.
Il y a donc un enjeu important de formation et de régulation du système forestier pour gérer la ressource de manière durable. Pour y répondre, les producteurs de bois investissent considérablement dans le développement de nouveaux produits : les bio-carburants et combustibles, le bois de construction et les bio-plastiques, avec des normes très élevées de protection des ressources et d’excellents taux d’utilisation de matériaux. L’avenir et la force du secteur finlandais du bois reposent sur cette capacité à développer des solutions bas-carbone et des méthodes d’optimisation de l’utilisation de la ressource. A terme, pour limiter les pertes de la ressource en bois, chaque arbre devrait être intégralement exploité et intégré au processus de production.
Comme l’a montré Petri Heino durant cette expédition urbaine, la forêt finlandaise se porte bien. Le volume d’arbres en croissance a même augmenté en Finlande depuis les années 1960 et il est désormais presque deux fois supérieur à celui d’il y a 100 ans. Par ailleurs, l’augmentation annuelle du stock en croissance est supérieure aux coupes totales et à la mortalité naturelle.
Pour protéger la forêt tout en l’utilisant, le Programme national finlandais en faveur du bois repose sur de nombreux objectifs, qui répondent tous à un même principe : la coopération entre les industries, les régions et les pays. Petri Heino a donc vivement défendu la bio-économie basée sur le bois et rassemblé aux niveaux nationaux et régionaux les acteurs publics et privés du secteur du bois. Ce programme vise aussi à soutenir les investissements non seulement dans des solutions reposant sur le bio, mais aussi dans des chaînes de valeur s’appuyant sur le bois. D’ailleurs, le plus gros investissement de l’histoire de l’industrie forestière finlandaise (d’une valeur de 1,2 milliard d’euros) finance la nouvelle usine de bioproduits à Äänekoski, première usine de bioproduits nouvelle génération au monde, avec des produits bas-carbone et des méthodes de production dernière génération.
Cependant, selon une récente étude finlandaise, l’industrie du bois reste très dépendante des activités à forte intensité énergétique et des combustibles fossiles (tourbe, chaudières à charbon, pétrole et gaz). La même étude montre que ce secteur pourrait limiter ses émissions par une forte réduction du recours aux combustibles fossiles.
Cependant, malgré les nombreuses initiatives et entreprises innovantes, qui témoignent de l’engagement de la Finlande en faveur du cleantech et de la bioéconomie, les résultats
commerciaux restent faibles. En résumé, l’utilisation du bois dans les logements semble être ralentie par un certain nombre d’obstacles opérationnels, comme l’a résumé le think tank finlandais Demos Helsinki.
Par comparaison, en France, la forêt couvre 31 % de la surface nationale et croît à la vitesse de 85 000 hectares par an (10 000 terrains de football). L’industrie française du bois est dynamique mais une simplification du système pourrait lui être bénéfique. En tant que président de l’Union des industriels et constructeurs bois, Frédéric Carteret a expliqué aux participants de l’expédition urbaine à quel point une simplification pourrait profiter à l’industrie française du bois. Il regrettait en effet que le secteur soit encore segmenté entre la gestion des forêts d’une part, et les constructions en bois d’autre part. Si cette segmentation n’est pas décrite comme conflictuelle, elle n’aide sûrement pas l’industrie française à changer d’échelle pour que la production de bois et son processus industriel soient intégrés dans davantage de projets de construction.
Cependant, une nouvelle réglementation adoptée en France en janvier 2022, appelée « RE2020 », donne une impulsion radicale à la construction en bois. Comme l’a montré Armelle Langlois, directrice du Pôle Performance durable chez VINCI Construction, cette règlementation devrait permettre une baisse de la consommation énergétique des bâtiments et soutenir l’usage d’énergie décarbonée et une meilleure adaptation à des températures élevées. Pour réduire l’impact de la construction sur le climat, la réglementation va ensuite encourager les méthodes de construction qui émettent peu de gaz à effet de serre, ce qui implique une meilleure utilisation du bois et des matériaux biosourcés qui ont l’avantage de stocker le carbone tout au long de la vie du bâtiment. Le secteur français du bois s’est donc vu attribuer un rôle majeur avec la RE2020. Pour accompagner l’entrée en vigueur de la loi, le secteur a lancé un « Plan Ambition Bois-Construction 2030 » en février 2021 visant à soutenir la rénovation de bâtiments. Afin de satisfaire l’ambition du gouvernement et les objectifs climatiques, les professionnels du secteur ont défini dix engagements relatifs à la formation des professionnels, au développement de l’emploi, à la recherche et au développement, au soutien de l’économie régionale, au développement de l’approvisionnement en bois français et au recyclage du bois en fin de vie.
La construction en bois à Helsinki
En tant que capitale de la Finlande, Helsinki abrite de nombreux bâtiments en bois et les constructions en bois dans la ville témoignent des différentes époques de l’architecture et de la gestion du bois.
Le quartier de Puu-Käpylä est probablement l’un des plus célèbres et des mieux préservés d’Helsinki. Construit dans les années 1920 pour les classes ouvrières pauvres et les travailleurs du secteur de la construction, il fonctionne comme une ville en soi, avec une organisation très spécifique des maisons en bois.
A l’origine, les maisons étaient partagées par plusieurs familles, avec parfois plus de 3-4 personnes dans la même chambre. Chaque maison dispose d’un jardin intérieur autour duquel s’organise la vie sociale, directement inspiré par le modèle de la cité-jardin, originaire d’Angleterre et d’Allemagne dans les années 1920. Menacées de démolition dans les années 1960, ces maisons ont fait l’objet d’une loi de protection qui organise leur réhabilitation. La loi de protection votée en 1970 a permis d’engager leur protection et leur réhabilitation générale.
Depuis les années 1990, la démolition des quartiers en bois est désormais interdite. La ville soutient même vivement la construction de bâtiments innovants et modernes. Elle abrite désormais plusieurs projets innovants pour promouvoir la construction finlandaise en bois, le programme phare étant Wood City.
Ce nouveau symbole d’Helsinki avec des espaces verts, des aires de jeux et des bâtiments bas-carbone abrite aussi la plus grande construction en bois de Finlande, qui capture l’équivalent carbone des émissions annuelles de 600 voitures de 4 personnes et qui abrite Supercell, le studio finlandais de jeux vidéo mondialement connu. Le bâtiment de la bibliothèque centrale, qui a obtenu le label Bibliothèque publique de l’année (2019), relève également d’une architecture en bois. Construit pour célébrer le centenaire de l’indépendance finlandaise, le bâtiment, appelé Oodi, est une belle carte de visite internationale pour l’architecture finlandaise en bois. La bibliothèque Oodi est d’un nouveau type, proposant différentes sortes d’activités au public. Le rez-de-chaussée se situe dans la continuité de la place Kansalaistori. L’espace public semble se poursuivre dans le bâtiment, au-delà de la grande arche d’entrée. La principale façade de la bibliothèque est entièrement réalisée en bois de sapin rouge et consiste en modules préfabriqués réalisés grâce à une conception paramétrique en 3D. Le premier étage est organisé autour de petits espaces fermés répartis sur l’étage qui constituent des zones de travail destinées à de petits groupes des personnes. Les usagers de la bibliothèque ont accès à des studios d’enregistrement, des salles de conférences ou à de projections vidéo, à une zone de jeux, à une zone d’impression. Le deuxième et dernier étage du bâtiment est quant à lui consacré à la bibliothèque. Ce bâtiment en bois, conçu pour améliorer la vie quotidienne des riverains (recherche, expériences, musique, activités des enfants, etc.) est une première à Helsinki.
Mais que pensent réellement les riverains de l’utilisation du bois ? Comment décrivent-ils et acceptent-ils les bâtiments en bois dans leur quartier ? Une étude unique a été publiée dans le Canadian Journal of Forest Research 5. Elle a porté sur la perception par la population des bâtiments en bois dans un environnement urbain, en questionnant sur plusieurs thématiques : l’impact sur l’industrie nationale, l’esthétique urbaine, l’environnement et les émissions carbone ainsi que la vie sociale. Cette étude montre qu’en Finlande, la population est généralement favorable aux constructions en bois (bien plus que la majorité des autres pays d’Europe), et que le premier argument avancé est la défense de la tradition et des valeurs esthétiques. Les avantages environnementaux ne sont cités que bien après dans les réponses.
Le mouvement des cités-jardins était un mouvement d’aménagement urbain du XXème siècle promouvant des communautés-satellites autour d’un centre-ville, séparées par des ceintures vertes. Ces cités-jardins devaient comporter des zones résidentielles, industrielles et agricoles proportionnelles. En 1898, Ebenezer Howard avait émis pour la première fois l’idée de profiter des principaux avantages de la campagne et de la ville tout en évitant les inconvénients des deux.
La construction de la ville souterraine
Aujourd’hui, la valeur patrimoniale des sous-sols et bâtiments souterrains est peu reconnue. L’enterrement des activités urbaines relevant d’un usage industriel ou technique a été un pis-aller pour cacher le côté « laid » de la ville, ses coulisses (égouts, traitement de l’eau, production électrique, transports souterrains). Cependant, plusieurs exemples, nombreux à Helsinki, montrent l’importance de l’espace souterrain. Au XIXème siècle, les romans et récits journalistiques sur l’expansion des villes (avec les premiers métros) avaient nourri l’imaginaire social selon lequel les sous-sols étaient le lieu de l’anti-capitalisme urbain, dans lequel les victimes de ce nouveau mode d’organisation sociale étaient rejetées.
Les deux guerres mondiales ont plutôt favorisé une vision du sous-sol protecteur, lieu de repli en cas de guerre, tandis que la menace nucléaire des années suivantes conduit à réfléchir à la survie de l’humanité, de ses villes et de ses fonctions, même en cas d’attaque. Les premiers espaces souterrains à grande échelle ont alors vu le jour.
La construction d’un vaste réseau souterrain a commencé dans les années 1980 et se poursuivra dans les années à venir. Selon la ville d’Helsinki, il existe désormais 10 millions de mètres carrés d’espaces souterrains sous la ville dont les usages sont étonnamment diversifiés : une église, un musée d’art, des piscines, des pistes de karting, des boutiques et même quelques abris de protection civile en cas d’attaque. Selon Ilkka Vähäaho, chef de la division géotechnique de la ville d’Helsinki, la vie souterraine compte plus de 400 locaux, 220 kilomètres de tunnels techniques, 24 kilomètres de tunnels d’eau non traitée et 60 kilomètres de tunnels pour des services « tout-en-un » (chauffage et climatisation des quartiers, câbles électriques et de télécommunication, eau). L’un des exemples notables est la célèbre piscine souterraine Itäkeskus, qui peut accueillir jusqu’à 1 000 personnes et être convertie en abri d’urgence pour 3 800 personnes.
L’usine de traitement des eaux usées Viikinmaki, qui traite la totalité des eaux usées de la ville d’Helsinki, et au-delà, constitue un autre exemple non moins remarquable. L’expédition urbaine nous a menés au cœur de cette usine souterraine, après une présentation de son origine et de son fonctionnement. L’usine est essentiellement construite dans la roche et reste l’une des principales usines de traitement des eaux usées de Finlande et des pays nordiques. Elle est très innovante : grâce à un système d’écoulement qui profite de la gravité (la station d’épuration se trouve parfois à 25 mètres en-dessous du niveau de la mer avec des pentes variées). Elle utilise très peu d’énergie pour faire circuler l’eau dans les tunnels. Encore plus intelligent : le traitement biologique de l’eau pour l’assainir produit un gaz, réutilisé pour le chauffage et l’électricité. La majorité des déchets récupérés est alors convertie en boues, qui sont ensuite épandues dans tout le pays à des fins agricoles.
Dans cet exemple, le fonctionnement souterrain n’était pas seulement une solution visant à cacher l’usine et à préserver le calme des alentours. Il s’agissait aussi d’une solution pour améliorer radicalement la consommation d’énergie et de chauffage, en atteignant presque l’auto-suffisance. Bien sûr, de nombreuses villes disposent de leurs propres espaces souterrains connectés aux systèmes de transports ou de transfert d’énergie. La spécificité d’Helsinki tient à sa localisation sur un socle granitique : les excavations se font sans soutènement. Par ailleurs, le sous-sol fait l’objet d’une stratégie, fixée dans un schéma directeur du sous-sol à l’échelle de la ville. Ce document constitue la base de toute utilisation de l’espace souterrain et fait souvent l’objet d’actualisations pour tenir compte des nouveaux besoins et des nouvelles évolutions. Le premier objectif de ce document est de préserver quelques espaces souterrains, afin de s’adapter à de futures évolutions concernant par exemple des tunnels ou des systèmes d’eau et de déchets. Comme nous l’a expliqué Jarmo Roinisto, qui a travaillé pour le département Espaces souterrains de la ville d’Helsinki, il existe environ 40 espaces rocheux réservés, n’ayant pour l’instant aucune affectation. Les travaux souterrains étant souvent ponctuels (il est très coûteux et difficile de resceller un espace exploité), la totalité du schéma souterrain s’appuie sur les ressources existantes et est conçue de manière à s’assurer qu’un aménagement se situe au bon endroit et ne peut être déplacé.
Enfin, ce document souterrain témoigne des efforts consentis afin que certains espaces souterrains soient développés en dehors de l’espace souterrain du centre ville, la quantité d’espace disponible y étant limitée.
Cette nouvelle approche de l’aménagement souterrain a non seulement révolutionné le développement de la ville et la protection de l’environnement. Mais elle a aussi modifié la règlementation relative au cadastre et à la propriété, en créant un document tri-dimensionnel. Une propriété est désormais définie non seulement par son emprise en surface mais aussi par son potentiel souterrain. Cela contribuera à empêcher tout abus et à déterminer de nouveaux espaces souterrains.
En se fondant sur une approche méthodologique très précise, qui préserve mais aussi développe les espaces souterrains, la ville d’Helsinki a vu de nombreux usages faire leur apparition dans ses sous-sols.
Certains d’entre eux sont célèbres dans le monde entier et faisaient partie du programme de l’expédition urbaine, tels que l’église Temppeliaukio, la piscine Itäkeskus ou les nombreuses galeries commerciales. Cependant, un projet surpasse tous les autres : celui du tunnel de 100 kilomètres destiné à relier Helsinki à Tallin, dans le golfe de Finlande. Ce tunnel souterrain doit même comporter la construction d’une île artificielle entre les deux villes, et assurer une liaison en 30 minutes, contre 2 heures en ferry actuellement. Le projet a désormais reçu 15 milliards d’euros de la part d’une entreprise chinoise, ce qui couvre pratiquement l’intégralité des coûts de construction. Il est prévu qu’il n’ouvre pas avant fin 2024, au plus tôt, si le processus de validation se poursuit sans problème.
L’étude d’impact environnemental entraîne des retards, le gouvernement estonien refusant toujours de signer l’accord. Ayant signé un partenariat avec la China Railway Engineering Corporation (entreprise d’ingénierie ferroviaire chinoise), Peter Vesterbacka, fondateur du projet Finnest, estime que les travaux d’excavation pour ce tunnel ferroviaire souterrain le plus long au monde pourraient être très rapides (environ 2 ans) et profite largement de l’expérience de la Finlande en termes de construction souterraine.
Actuellement, près de 50 000 Estoniens vivent en Finlande, 20 000 autres travaillent en Finlande et environ 5 000 Finlandais vivent du côté estonien. Ce tunnel pourraient favoriser les relations entre ces deux pays.
Helsinki dispose de nombreuses particularités, à la fois comme capitale et comme port. Les célèbres compétences finlandaises dans les secteurs des forêts et du bois sont inscrites dans l’évolution de la ville, les bâtiments et quartiers étant la preuve de compétences locales et de l’innovation. De la bibliothèque, récompensée par un prix national, au plus grand bâtiment européen de bureaux en bois, Helsinki joue un rôle important dans le développement de la tradition finlandaise du bois à l’échelle mondiale.
La ville est également très célèbre pour ses couloirs souterrains, ses halls et ses installations énergétiques ou de transport. Une ville entière occupe le sous-sol, avec ses propres églises, ses activités de loisir et même des piscines. En partie héritée des guerres auxquelles Helsinki a dû faire face au cours de sa construction, la ville souterraine est désormais une source précieuse de solutions et d’innovations pour s’adapter au développement urbain et au changement climatique.
De manière générale, Helsinki dispose d’un grand potentiel de résilience urbaine et de bâtiments intelligents. De la forêt à ses sous-sols, la ville est source de nombreuses inspirations. Les infrastructures géothermiques, les bâtiments bas-carbone et les constructions souterraines de pointe sont toutes prévues, construites et utilisées dans le cadre de partenariats public-privé intelligents et efficaces. L’industrie du bois en est peut-être le meilleur exemple, avec son programme public national, encourageant les entreprises locales mais aussi les grandes entreprises finlandaises à l’international. Les urgences climatiques auxquelles nous devons tous faire face, et les objectifs ambitieux de réduction des empreintes carbone, imposent également de trouver, en France, des cadres de travail partenariaux stables associant le meilleur du public, le meilleur du privé, et les représentants des usagers.
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.