Édito

La Convention citoyenne pour le climat : une fausse bonne idée ?

« À la limite du sabotage » : les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat n’ont pas de mots assez durs pour commenter les arbitrages du projet de loi issu de leurs travaux et présentés ce mardi 8 décembre par la Ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. La frustration des conventionnels, abondamment commandée dans la presse depuis la conclusion de leurs travaux en juin dernier, a pour origine un malentendu profond sur la nature de l’exercice, malentendu qui trouve lui-même sa source dans les choix de l’exécutif.

La Convention citoyenne pour le Climat constitue une expérience inédite, conçue dans le contexte d’une forte tension sociale doublée d’une demande de régénération de la relation du pouvoir politique aux citoyens. De fait, l’expérience est prometteuse : l’implication des citoyens est sincère, leur sérieux et leur application manifestes, et l’équilibre subtil trouvé par les experts dans leur appui aux membres de la Convention semble dessiner les contours d’un rapport renouvelé et apaisé du citoyen à l’expert. À cet égard, les enseignements de la Convention sont doubles, expliquait Thierry Pech il y a quelques mois lors d’une audition de l’Université de la ville de demain, co-organisée par La Fabrique de la Cité et l’Institut Palladio : « si [les experts] se présentent comme détenteurs de la vérité, leur discours est moins suivi, mais s’ils se présentent comme des professionnels de la recherche et expriment leur part de doute, ils sont écoutés ». Et les experts ont tout à gagner se présenter « comme étant au service de la société et comme les conseillers de la cité. Les experts qui sont venus en ayant cette attitude ont été mieux écoutés que d’autres qui venaient professer ». Deux leçons précieuses à retirer de cette Convention citoyenne, donc, dans une période marquée par une défiance sans précédent vis-à-vis de l’expertise et une dévalorisation croissante des faits et de la science au profit des opinions.

Pour autant, le dispositif institutionnel conçu par le pouvoir exécutif pour accompagner la Convention citoyenne place une démocratie représentative déjà en crise dans une situation plus délicate encore. Le trouble vient de ce que l’exécutif a choisi, en s’engageant ex ante à intégrer au corpus juridique et réglementaire français les propositions des citoyens, de conférer à ces derniers un pouvoir de décision qui revient légalement au Parlement. La promesse faite aux citoyens apparaît à cet égard difficilement tenable, voire simplement irréaliste ; comme le résume ainsi l’avocat Arnaud Gossement, « d’un point de vue juridique, il ne peut y avoir de reprise sans filtre, c’est impossible. D’abord parce que 80 % de ce qu’on appelle la loi, c’est-à-dire notre Code de l’environnement, est élaboré non pas en France mais à Bruxelles. […] Par ailleurs, [Emmanuel Macron] ne peut pas non plus imposer la loi au Parlement ». Car le procès en légitimité qu’intentent certains observateurs à la Convention n’aurait pas lieu d’être si le Parlement disposait de la marge de manœuvre qui lui revient dans l’examen et la transposition des propositions des 150 citoyens.

À cet égard, le dispositif institutionnel construit par le pouvoir exécutif autour de la Convention, qui s’apparente d’une certaine façon, du point de vue du pouvoir législatif, au vote bloqué prévu par l’article 44-3 de la Constitution, est révélateur de la nature singulière des rapports qu’entretiennent ces deux branches dans un régime qu’on ne peut qualifier de parlementaire. Cette disposition de l’exécutif à l’endroit du législatif et, partant, la façon dont fut conçue la Convention ont pu faire croire aux 150 citoyens qu’ils étaient investis d’une mission de décision. Cette perception explique certainement la frustration exprimée par certains d’entre eux lorsqu’Emmanuel Macron a annoncé, en septembre 2020, qu’il ignorerait la demande de moratoire sur la 5G formulée par les membres de la Convention. Chez d’autres observateurs, elle ouvre la voie à une critique de la Convention, fondée sur la représentativité discutable de ses membres et leur absence de légitimité pour exercer ce qui s’apparente, en apparence, à la faculté de légiférer. Aussi Mathieu Febvre-Issaly, spécialiste de droit public, écrivait-il il y a quelques mois dans la revue Esprit : « ce n’est pas ‘nous’ qui délibérons avec la Convention citoyenne, mais bien des représentants, et le choix aléatoire ne nous les rend pas nécessairement plus proches, tandis qu’il supprime le principe d’un contrôle qui s’impose aux élus professionnels.

→ Ce texte est extrait du rapport « Grands projets et démocratie : un guide pour l’action ».


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