La nature dans les villes : points de vue de Philippe Clergeau, Lim Liang Jim et Michèle Larüe Charlus
Du 10 au 12 juillet 2019, La Fabrique de la Cité organisait une expédition urbaine à Singapour durant laquelle elle accueillait Philippe Clergeau, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris, Lim Liang Jim, directeur du Centre national pour la Biodiversité au sein du Conseil national des parcs à Singapour, ainsi que Michèle Larüe Charlus, responsable de la mission Bordeaux 2050 auprès de la Métropole de Bordeaux, pour un débat sur la place de la nature en ville. Comment la nature et la biodiversité peuvent-elles être intégrées dans l’environnement urbain ? Restaurer la biodiversité permet d’améliorer la résilience d’un territoire et d’optimiser la gestion de ses ressources. Dès lors, comment encourager la production de services écosystémiques ? Et, enfin, puisque Singapour poursuit l’objectif de devenir « une ville biophile au sein d’un jardin », la ville peut-elle vraiment devenir un lieu de conservation des écosystèmes ?
Comment définissez-vous les notions de nature et de biodiversité ?
Philippe Clergeau : La nature est un terme large qui englobe aussi bien le vivant que les minéraux ou les différents habitats. La biodiversité, quant à elle, désigne la diversité naturelle des organismes vivants. Ce n’est pas tant une histoire de richesse que du fonctionnement qu’induit la biodiversité et des relations entre les espèces. Par exemple, un pot de fleurs sur un balcon n’est pas de la biodiversité. Si une abeille vient la butiner et jouer son rôle de polinisateur, alors on constate du fonctionnement. La caractéristique de la biodiversité est qu’elle fournit de la stabilité et permet la durabilité. Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas de verdir ; cela, nous savons le faire. Passer à la biodiversité ce n’est pas seulement planter pour que le hérisson s’installe en ville, mais s’assurer que cela peut durer. Une approche biodiversitaire implique une prise en compte forte des espèces locales. Par durabilité, j’entends une gestion efficace et vertueuse impliquant des types d’acteurs et des technicités spécifiques, sans oublier des gouvernances revisitées, capables de prévoir les événements probables.
En plus de tous ces dispositifs, la nature est inscrite dans l’environnement urbain à travers le verdissement des façades et des toits. En effet, nous nous sommes rapidement aperçus que nous n’avions pas d’arrière-pays sur lequel nous pouvons jouer. Ainsi, nous avons très tôt décidé d’innover pour s’assurer que la verdure est présente à tous les niveaux des infrastructures humaines. Nous disposons à présent de plus de 100 hectares de gratte-ciels verdis à différents niveaux, afin d’attirer des animaux de tous types, et nous verdissons également les ponts et d’autres sortes d’infrastructures.
Lim Liang Jim : La nature et la biodiversité sont des questions différentes, bien que connexes. La nature ne comprend pas uniquement les plantes, les animaux et ce qui en est issu, mais aussi le paysage, enjeu significatif. Par conséquent, un lieu peut être très naturel tout en ayant une faible biodiversité. L’Alaska en est un parfait exemple : il s’agit de l’un des endroits les plus naturels du monde si l’on considère son paysage – les montagnes, les vallées, les rivières et les glaciers – mais sa biodiversité n’est pas comparable avec celle de Singapour. En effet, la biodiversité est intimement liée au climat, la plus riche étant indéniablement concentrée dans les tropiques. La biodiversité, à savoir la faune, la flore ou les écosystèmes dans lesquels ils sont intégrés, rend une large palette de services écosystémiques qui incluent la protection côtière, le stockage du carbone, le refroidissement microclimatique, la purification de l’air, la régulation de l’eau, la gestion des déchets, le cycle de la nourriture et des éléments nutritifs, la santé physique et mentale et enfin les loisirs. Cela dit, nous considérons toujours la biodiversité et les services écosystémiques de manière très anthropocentrique en nous demandant ce que la biodiversité peut faire pour nous, plutôt que d’envisager les êtres humains comme faisant partie d’un écosystème plus large où la nature et les individus se rendent mutuellement service.
Quelle est la stratégie de Singapour pour promouvoir la biodiversité et la nature en ville ?
Lim Liang Jim : Singapour possède un contexte historique et géopolitique très spécifique. À l’origine, l’île était une grande forêt tropicale. Mais, comme vous le savez, Singapour a été colonisé pendant le XIXe siècle et ses forêts ont été transformées en terres agricoles pour y cultiver des épices. Par conséquent, environ 90% de nos forêts sont devenues des terres cultivables et notamment des plantations de poivre et de gambier au début des années 1900. Depuis l’indépendance de Singapour en 1965, nous disposons d’un régime politique stable qui fait preuve d’une forte volonté politique de verdir la ville. Lee Kuan Yew, le premier chef du gouvernement de la cité-État, avait fait une déclaration emblématique à propos d’une ville de Singapour propre et verte. Cette vision a changé au fil des années. Aujourd’hui, nous cherchons à donner vie à « une ville biophile au sein d’un jardin » ; la nature et l’accès à la nature sont importants mais l’accent devrait être mis sur la communauté, l’implication et la connexion. Toutefois, la référence à un « jardin » implique un contrôle et une gestion des espaces verts, des plantes et des animaux. Les apports anthropiques sont encore nombreux dans l’entretien d’un jardin. Nous voulons fondamentalement nous diriger vers « une ville dans la nature », dans laquelle les éléments naturels, matériels et humains sont en harmonie et en équilibre.
Au-delà de la stabilité politique et d’une vision cohérente, nous avons besoin d’un schéma directeur. Notre Schéma directeur pour la préservation de la nature comprend quatre catégories d’actions.
La première est la préservation d’habitats clés. Cela a à voir avec la création de réserves naturelles : la Bukit Timah Nature Reserve, la Central Catchment Nature Reserve, la Sungei Buloh Wetland Reserve et la Labrador Nature Reserve. Nous avons également la gestion du parc marin de la Sister’s Island, dans les îles méridionales. Toutes ces réserves renferment nos écosystèmes essentiels. Dans le but de garder les activités anthropiques à la marge de ces domaines clés, des zones tampons ont été mises en place sous la forme de parcs naturels.
Nous complétons ces réserves naturelles avec un réseau intégré d’espaces verts qui permettent aux animaux d’aller d’un lieu à l’autre, en particulier les espèces volantes comme les oiseaux, les abeilles, les papillons et d’autres animaux pollinisateurs. Nous les appelons des Nature Ways. Elles servent de corridors et de réseaux écologiques, et fournissent une palette naturaliste de plantations pour intégrer les espaces verts dans la ville. Nos corridors écologiques sont conçus grâce à des modèles informatiques basés sur les exigences écologiques de certains espèces ciblées.
La deuxième catégorie comprend l’amélioration et la restauration des habitats et la récupération des espèces. L’amélioration et la restauration des habitats impliquent le sarclage d’espèces végétales invasives introduites et la transformation de terres arables abandonnées en zones boisées. Nous conjuguons cela à la récupération des espèces, dans le cadre de laquelle nous visons à rétablir les populations de 100 espèces rares et menacées. Parmi nos récents succès, le calao pie (oriental pied hornbill) : jadis disparu de Singapour, il est revenu dans les années 2000 et l’on compte aujourd’hui plus de 100 individus à Singapour.
La troisième catégorie d’actions est celle de la recherche appliquée en biologie et planification de la conservation. Une recherche crédible est le fondement qui soutient nos efforts de préservation. Le Centre National pour la Biodiversité a un programme de recherche et d’élevage pour le Johora singaporensis, un crabe d’eau douce endémique de Singapour, qui est très menacé. Le programme a réussi à élever en captivité presque 300 jeunes crabes, soit presque 50% de la population en liberté à Singapour. Nous avons découvert des comportements très intéressants de certaines espèces d’oiseaux grâce au suivi par satellite. Nous savons à présent qu’ils vont et viennent de Singapour. La prochaine étape est d’utiliser l’ADN environnemental, les drones et les capteurs acoustiques. Associés aux modèles démographiques, hydrologiques et basés sur les agents, ces outils nous permettront de mener nos recherches de manière beaucoup plus efficace.
Le dernier pilier est la gestion par la communauté et la sensibilisation à la nature. Impliquer les enfants est primordial afin de conduire les habitants à apprécier la nature dès le plus jeune âge et de leur faire comprendre que la nature fait partie de l’ADN de Singapour. Nos projets n’incluent pas que des enfants mais également des familles, des scientifiques issus de la société civile, des entreprises et des universitaires. La population doit être impliquée : l’élan social continuera à compléter la volonté politique d’avoir une ville dans la nature.
Philippe Clergeau : Le cas de Singapour est très spécifique. Il sort du cadre urbain puisqu’il s’agit bien d’une cité-État. L’originalité de Singapour est donc de gérer sa ville, son périurbain et plus encore, puisque nous avons parlé de réserves forestières et marines. Or la protection de ces habitats dépend d’une approche et d’une gestion différentes.
Ensuite, les situations géographiques et climatiques de Singapour et des villes européennes ne sont pas comparables, puisque, comme l’a souligné Jim plus tôt, plus nous allons vers les tropiques et plus les espèces sont nombreuses. Et puis le climat humide favorise énormément toute plantation : n’importe quelle graine plantée y pousse. En Europe, il faut arroser, arroser souvent et beaucoup. Mais il est certain que nous n’avons pas la même approche de la biodiversité !
La population doit être impliquée : l’élan social continuera à compléter la volonté politique d’avoir une ville dans la nature.
– Lim Liang Jim
La notion de jardin implique des apports anthropiques et anthropocentriques. Malgré cela, quelles sont les responsabilités des villes dans la lutte contre la perte de biodiversité ?
Philippe Clergeau : En France, 20 % de l’espace est considéré comme urbain. Il est donc évident que la ville a un devoir de protection de la nature. Pourtant nous en sommes au tout début de la nature en ville. Celle-ci n’a jamais ouvertement accueilli la nature. Nous avons toujours eu des pigeons et des rats mais c’est un phénomène assez nouveau, remontant, avec l’hygiénisme, à la fin du XIXème siècle, que de faire rentrer la nature dans la ville pour des fonctions de service très anthropocentrées. Il est vrai que les services écosystémiques ainsi que la santé deviennent des arguments très forts. Mais comment aller plus loin pour nous diriger vers l’éco-centrisme ?
Nous avons commencé à végétaliser nos villes mais passer à la biodiversité nécessite une approche plus complexe du fonctionnement écosystémique de la nature. En permettant à certaines espèces de s’installer, on va les protéger. Mais quelles espèces veut-on favoriser ? Il ne faut non plus oublier qu’il y a de nombreuses espèces rares qui ne s’installeront jamais en ville. Sans compter toutes les espèces dont l’Homme ne veut pas – des gros mammifères ou des insectes – et qui effectivement n’y ont pas leur place. Il est donc certain que la ville n’est pas l’avenir de la biodiversité.
Il y a également dans cette question de responsabilité une histoire d’échelles. Comment accueillir certaines espèces et en éviter d’autres (moustiques, etc.) ? Nous savons planter mais accueillir les végétaux locaux et les intégrer dans un fonctionnement régional est plus compliqué. J’insiste sur la notion de régional car les villes ne doivent pas se concevoir comme intramuros. Je pense que l’avenir de l’environnement urbain se joue avant tout dans le périurbain car c’est là que se gère l’étalement de la ville.
Enfin, comment la géographie et l’écologie peuvent-elles structurer l’urbanisme ? En Europe, quand on construit un lotissement, on rase tout puis on bâtit nos maisons et nos voiries en gardant trois arbres. Je caricature à peine. Aujourd’hui, certains urbanistes commencent à regarder les pentes, les flux, les réservoirs naturels et où sont installées les espèces avant d’aménager. C’est un changement complet de paradigme mais cela demeure encore une utopie pour beaucoup.
Michèle Larüe-Charlus : Cette question des échelles est effectivement très pertinente. Nous avons demandé à EDF si Bordeaux pouvait être neutre en carbone à l’horizon 2050. EDF nous a répondu que ce n’était pas réaliste, puisqu’aujourd’hui nous ne savons même pas compenser la hausse des émissions de CO2. Il nous faudrait annexer un sixième de la forêt des Landes – la plus grande forêt d’Europe, plantée au XIXème siècle. Donc, au-delà des limites administratives, quelles échelles doit-on prendre en compte ? Celle de la région est trop vaste, mais une échelle qui engloberait les départements limitrophes et qui nous permettrait de travailler sur la neutralité carbone avec les villes moyennes voisines, avec les réservoirs forestiers et agricoles, est envisageable. Je pense que les politiques ont compris que la métropole ne pouvait pas être autarcique. À l’avenir, la ville-centre aura davantage besoin de son arrière-pays que l’arrière-pays de la ville-centre. Sans cette prise en compte, nous n’y arriverons pas.
Lim Liang Jim : Je crois qu’au-delà des bienfaits que la nature fournit, nous avons la responsabilité d’au moins préserver la valeur de notre patrimoine naturel. Les êtres humains sont toujours indignés quand un bâtiment est menacé de démolition. Mais contrairement à ces structures qui peuvent être reconstruites à l’identique, Mère Nature est une ingénieure très patiente. Lorsque l’on rase une jungle, des millions d’années sont nécessaires pour qu’elle repousse.
Quel est le projet politique sous-tendu par l’idée de nature dans les villes ?
Lim Liang Jim : à Singapour, le contexte est simple : une gouvernance efficace et une forte implication de la communauté. Auparavant, la gestion des animaux en dehors des limites des réserves naturelles n’incombait pas à mon agence. Nous avons récemment fusionné deux entités afin d’avoir une approche plus intégrée de la préservation de la biodiversité. Notre premier défi a été de faire en sorte que tout le monde comprenne que le verdissement de notre ville est important, même si elle est densément peuplée. Je pense que Singapour est l’un des seuls endroits où l’on peut trouver six millions d’habitants qui se répartissent sur 721 km², avec l’un des PIB les plus hauts du monde, et cependant si vert et luxuriant. Oui, Singapour est limité par son territoire. Néanmoins, malgré cette contrainte, nous avons compris que nous devons fournir un environnement sain afin que les gens puissent vivre et notre économie progresser. Je crois que les engagements à intégrer la nature dans les infrastructures et l’espace urbain, tout comme la compréhension des résultats positifs que de tels engagements produisent, vous bénéficieront ainsi qu’aux générations futures.
Nous avons à présent appris à accorder de la valeur à la nature. Un exercice d’évaluation au sujet des services écosystémiques a été récemment lancé avec le projet Future Cities Laboraty’s Nature Capital. Cet angle est très intéressant et aidera à renforcer la proposition de valeur des espaces verts et de la nature vis-à-vis de la ville. Par exemple, la ville d’Atlanta a estimé que ses arbres avaient permis d’économiser 883 millions de dollars en construction d’infrastructures de rétention des eau pluviales car ils absorbent l’eau et la rejettent progressivement, régulant par-là le système hydrologique.
Philippe Clergeau : Le projet politique se nourrit des éléments que nous lui fournissons. Pourquoi passer à une végétalisation ? Parce que la demande existe. Je pense qu’aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de son utilité, ne serait-ce que pour atténuer les îlots de chaleur urbains. Le rapport de l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services) publié en mai 2019 a permis de sensibiliser le grand public à la perte de biodiversité. En ville, nous n’allons pas protéger les sangliers mais d’autres espèces comme les écureuils et les hérissons ou bien encore les habitats. Conserver nos lignes de platanes et nos toitures de sédum qui relèvent de la monoculture, ce n’est pas réduire notre vulnérabilité face au climat et aux accidents sanitaires.
Ces objectifs sont certes dans l’air du temps mais ils ne constituent pas un projet politique. Si nous allons vers la complexité – qui me semble être le contraire de la politique, qui recherche au contraire le simplisme – nous aurons une chance d’atteindre un objectif de fonctionnement sur le temps long. Si quelque chose disparaît, le reste continuera de fonctionner. Des chaînes alimentaires qui fonctionnent, c’est un besoin réduit en arrosage, en désherbage et en lutte contre les espèces invasives. J’aime le mot « durabilité » car il est porteur d’un objectif politique très fort. C’est en se rapprochant le plus possible des processus écologiques qui ont montré leur évolution et leur durabilité que nous pourrons limiter la gestion demandée par la présence de la nature. Un système complexe est un système dont les besoins de gestion sont réduits.
Michèle Larüe-Charlus : Les annonces politiques sont souvent schizophrènes. Elles promettent toujours davantage de vert, mais les promesses sont rarement suivies d’effets pour de multiples raisons, la raison financière n’étant qu’une parmi d’autres : l’anarchie des réseaux, la réticence des directions des espaces verts à planter les rues et à planter des arbres à hautes tiges, la véritable phobie des feuilles qui tombent pour certains, tout concourt à faussement verdir avec des arbustes, des arbres en pots, des roses trémières le long des façades… Pourtant l’opération BM2050 a montré que la demande d’arbres dans les rues, d’ombre dans la ville et de fraîcheur était la demande première.
Mais la question du projet politique va plus loin ; elle englobe la question économique. Nous avons en effet réalisé que les arbres plantés à Bordeaux proviennent du nord de l’Italie. Il s’agit donc désormais d’encourager le développement d’une filière pépiniériste afin d’avoir, d’ici dix à quinze ans, un circuit court opérationnel.
Singapour est très avancée dans son plan de naturalisation grâce à une approche intégrée. A quelles difficultés de gouvernance est confrontée la France lorsqu’il s’agit de nature et de protection de la biodiversité en ville ?
Philippe Clergeau : Nous avons en France des Directeurs généraux des services (DGS) qui gèrent l’administration de nos communes. Le rôle du DGS est souvent plus important que celui du maire car il est la mémoire des villes. Or c’est avec une connaissance superficielle de tous les services qu’il décide des montants alloués à chacun d’entre eux. Le problème de la gouvernance urbaine réside dans le fonctionnement en silo. C’est là un frein à toute transversalité. À Plaine Commune, nous sommes parvenus à regrouper tous les services municipaux autour de la table. Nous avons même invité le service de la jeunesse et des sports. Tout le monde était présent car tout le monde avait quelque chose à dire : sur la pratique d’un espace public qui allait peut-être être verdi différemment, sur ce qui allait bloquer ou non les constructions… Il est évident qu’il y a un sérieux problème de gouvernance en France. À Paris, nous en sommes à sept niveaux de décision !
Michèle Larüe-Charlus : Le DGS occupe effectivement un rôle central. Sachant que Londres voudrait planter 50 millions d’arbres d’ici 2050, nous nous sommes demandé combien nous pouvions planter d’arbres à Bordeaux. Le groupe de travail, composé de paysagistes, d’urbanistes et d’ingénieurs connaissant bien Bordeaux, a estimé que planter 10000 arbres par an jusqu’en 2050 serait légitime. Le groupe a calculé que planter 10000 arbres correspondait à une dépense de 10 millions d’euros. A partir de là, il s’agit de volonté politique, mais également de volonté administrative, et le DGS a un rôle essentiel de ce point de vue.
Les citoyens réclament davantage d’espaces verts, mais la présence de nature n’apporte pas que plaisir et santé. Apporte-t-elle également des externalités négatives ?
Philippe Clergeau : C’est un débat que l’on évite d’aborder. Il est déjà très difficile d’expliquer que c’est positif, alors si on commence à parler du négatif… Nous avons récemment rendu un rapport au ministère, qui s’est empressé de le mettre dans ses tiroirs : si l’on dit à tout le monde que les allergies au pollen vont continuer parce qu’il fait plus chaud et qu’on pollue toujours autant, que la biodiversité c’est également la présence de moustiques… Je suis en ce moment en train de freiner l’installation de mares en milieu urbain car nous ne savons pas gérer correctement les moustiques. L’écologue propose alors d’introduire des grenouilles mais c’est sans compter sur le citadin, qui, in fine, a le dernier mot et que les coassements agacent. Il y a aussi la question sanitaire avec les maladies ou les phobies, sans oublier le nettoyage comme le ramassage des feuilles et le coût que cela engendre. En d’autres termes, nous n’arriverons pas à introduire de la biodiversité sans sensibilisation publique, car les araignées et les pollinisateurs sont indispensables.
Lim Liang Jim : Une large adhésion est en effet un sujet d’une grande importance. Si nous voulons vivre en harmonie avec la nature et la biodiversité, nous devons accepter qu’il y aura des défis à relever de temps en temps. Nous avons travaillé sur la gestion et l’atténuation des interactions entre êtres humains et la faune, mais il est nécessaire de comprendre que, même si nous avons pu récolter les fruits de notre vision d’une « ville dans un jardin », il existe un risque que des arbres tombent, que des guêpes nous piquent, etc. Nous avons enregistré en 2019 un nombre élevé de cas de dengue. Peut-être en raison du réchauffement climatique, des températures anormalement chaudes et des fortes précipitations ont provoqué un changement dans le cycle de vie du moustique porteur du dengue, entraînant un défi continuel. Nous travaillons sur le sujet, mais l’éducation du public doit prendre cela en compte, de manière à ce que les gens comprennent que la nature est englobante et qu’il y aura des épreuves en cours de route.
Nous n’arriverons pas à introduire de la biodiversité sans sensibilisation publique.
– Philippe Clergeau
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La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.