Édito

La petite reine, nouveau tyran de l’espace public ?

« Des vélos comme s’il en pleuvait », « invasion », « le grand débarquement », le « déferlement »… les superlatifs ne manquent pas pour décrire les nouveaux services de vélos en free-floating qui se sont développés ou qui vont se développer très prochainement par exemple à Zurich, Paris, Bruxelles, Metz, Milan, Seattle ou encore San Francisco… Gobee-bike, Ofo, LimeBike, Indigo Wheel ou Bluegogo proposent des vélos connectés qui peuvent être loués et rendus à n’importe quel endroit de la ville par le seul intermédiaire d’un smartphone. Le vélo est géolocalisé grâce à une application qui permet aussi de le réserver, il est déverrouillé en scannant un QR-code ou en entrant un numéro.

Les avantages de ce système de partage de vélos affranchi des bornes physiques sont importants. Du côté des usagers : plus besoin de rendre son vélo à un endroit précis ; possibilité de faire du porte à porte et de trouver un vélo à côté de chez soi ; plus de problème de station pleine ; besoin de n’avoir qu’un smartphone et un compte bancaire pour pouvoir louer à tout moment un vélo pour la somme d’environ 50 centimes d’euros la première demi-heure et 50 euros de dépôt de garantie. Du côté du fournisseur de service : des vélos moins chers et pas de coût de construction et de maintenance de la station fixe ; possibilité de se développer à grande échelle à l’instar d’Ofo, start-up née en 2014 qui compte aujourd’hui plus de 10 millions de clients et plus d’un million de vélos dans 34 villes chinoises ; déploiement extrêmement rapide de la flotte de vélos puisqu’aucune station ne doit être construite et qu’a priori aucune autorisation préalable de la ville n’est nécessaire comme en a fait l’expérience Zurich cet été avec l’apparition soudaine de 300 puis de 900 vélos de la société O-Bike. Du côté des villes enfin : des vélos partagés sont mis à disposition des citadins sans coût pour la municipalité et le contribuable ; le fournisseur de services s’occupe d’équilibrer la répartition des vélos dans la ville et en assure la maintenance ; la mobilité douce est encouragée en offrant à l’usager un système souple et possiblement d’échelle métropolitaine, complémentaire de l’offre des stations adaptée à l’urbain dense: pour cela, il suffit d’un nombre suffisant de vélos pour couvrir le territoire, pouvant être proposés par différents fournisseurs de service.

Devant tant d’avantages, pourquoi tant de superlatifs inquiets ? Les photos de vélos en free-floating abandonnés s’amassant en tas dans les rues et sur les places des villes chinoises donnent une indication sur les craintes soulevées par ces nouveaux services : l’absence de stations où rendre et garer les vélos partagés aurait pour conséquence une occupation anarchique de l’espace public pouvant gêner les autres usagers et les riverains. Ces craintes posent en filigrane une question importante : celle de l’espace public, de son partage et de son aménagement. Affranchis des stations, les vélos en free-floating ne sont pour autant pas affranchis de l’espace public sur lequel la puissance publique a autorité. Elle doit en garantir l’accessibilité et assurer la sécurité de ses usagers. Les vélos partagés avec station font l’objet d’un contrat et d’un plan d’aménagement fixant les emplacements de ces stations et donc ceux des vélos immobilisés dans l’espace public. Les vélos en free-floating, déployés soudainement en grand nombre et pour la plupart sans discussion préalable avec la collectivité, doivent quant à eux s’insérer dans un espace public qui n’a pas été aménagé en conséquence — avec le risque d’une occupation inappropriée, et potentiellement dangereuse, de la chaussée et des trottoirs.

Conscients de ces problèmes et soucieux d’entretenir des bonnes relations avec les collectivités, les fournisseurs de service donnent des garanties à ces dernières en assurant que, grâce à la géolocalisation, il est facile de repérer les vélos mal garés et qu’ils s’engagent à les enlever. Mais la problématique de l’infrastructure physique reste. En effet, d’un côté, l’espace public accueille un nombre croissant de modes de déplacements différents qui sont autant de chances pour une mobilité centrée sur l’usager, plus flexible et moins carbonée, mais qui, pour beaucoup d’initiative privée, échappent à la puissance publique. De l’autre, l’espace public n’est que rarement extensible, contraint qu’il est par les immeubles qui le bordent, notamment dans les villes matures au tissu urbain majoritairement consolidé, et il est parfois quasi inexistant, notamment dans les périphéries qui ont été dévolues à la mobilité automobile. Le défi principal est donc le suivant : devant l’impossibilité d’aménager un espace propre pour chaque mode de déplacement et pour chaque usage (on en dénombre jusqu’à 150…), il faut pouvoir penser l’aménagement de l’espace public comme système dynamique permettant une régulation apaisée. Le numérique offre un potentiel d’action très intéressant en pouvant aussi servir d’interface de régulation entre usages et infrastructure physique. Dans le cas des vélos en free-floating, une carte virtuelle élaborée avec les collectivités pourrait ainsi dessiner des zones d’interdiction de stationner qui, reliée aux vélos, bloquerait le système de verrouillage dans ces zones… une manière de concilier nouveaux usages, régulation… et financement assumable.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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