La ville en mode sans échec
« Toutes les familles heureuses le sont de la même manière, les familles malheureuses le sont chacune à leur façon. » Il n’en va pas des villes comme de ces familles qu’évoque Tolstoï au début d’Anna Karénine : toutes se ressemblent dans le drame que nous vivons. Les photos des grandes métropoles qui tournent en boucle dans les médias ne nous montrent ni la place de la Concorde à Paris, ni Times Square à New York ni les autoroutes de Bogota : elles nous disent l’absence. L’absence de flux, l’absence de bruit, l’absence de pollution, l’absence d’êtres humains.
Cette promenade virtuelle à travers les villes en crise nous rappelle en creux ce que sont les villes. Ce que l’épidémie de COVID-19 casse dans les villes, c’est leur rôle de commutateur d’échelles. Le confinement, l’assignation forcée à résidence dans un périmètre limité au kilomètre ont fait disparaître les échelles multiples dans lesquelles nous exercions jusqu’alors nos activités quotidiennes. La ville, l’agglomération, l’aire urbaine ont disparu. Que dire des villes du pays voisin ou du reste du monde, qui sont devenues de simples récits auxquels on accède via les réseaux sociaux quand elles ne sont pas réduites à des courbes épidémiologiques ou de mortalité ? Une seule expérience concrète subsiste : le quartier, où je fais mes courses ou mon exercice physique, est devenu la seule échelle de nos vies, notre bassin de vie voire d’emploi pour ceux d’entre nous qui sont en télétravail. La ville, la ville concrète, la ville vécue n’est plus que ce que j’en vois ou j’en parcours : le lieu où j’habite et un cercle d’un kilomètre autour. Elle s’organise à l’échelle de notre corps, de nos besoins fondamentaux.
Ce faisant, la ville nous donne paradoxalement à voir son immense force. Comme nous, la ville est revenue, littéralement, à ses fondamentaux : faire fonctionner, quand ils existent, les réseaux d’adduction d’eau, d’électricité, de gaz, d’enlèvement et de traitement des ordures ménagères, la ville des câbles, de la fibre internet. La ville souterraine, invisible, la ville des infrastructures cachées, la ville essentielle est bien présente. Elle ne vacille pas. Un informaticien dirait qu’elle est passée en mode sans échec. La ville des réseaux est plus smart que jamais au sens où elle a su s’adapter d’une manière phénoménale à une situation qu’elle n’avait pas connue depuis les grandes épidémies de choléra au XIXè siècle : elle fait ce qu’on lui demande, fonctionner, soutenue par les services publics municipaux, ses délégués et ses concessionnaires. Public, privé : la summa divisio chère à nos vieux réflexes hexagonaux s’en est allée, tant mieux. Aujourd’hui, il y a l’essentiel, et le reste.
Et cet essentiel, ce sont aussi nos institutions politiques municipales, fortes malgré la confusion d’un premier tour organisé sur fond de dissonance cognitive maximale ( « restez chez vous mais allez voter »). Si nos villes ne ressemblent en rien à des villes en guerre, c’est parce que, comme les soignants et tous ces invisibles qui ont été chassés du cœur des villes faute de logement abordable, leurs maires sont, eux, sur tous les fronts.
Mesdames et messieurs les élus municipaux, merci ! Car cette ville essentielle qui continue de fonctionner est prête à redémarrer à tout moment. Et nous avec !
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.