Édito

La ville post-carbone sera-t-elle inclusive ? Réponses viennoises

Les accords de Paris ont réussi à entraîner les acteurs infra-étatiques dans la transition énergétique. Les villes sont devenues des acteurs essentiels de la lutte contre le réchauffement climatique et des centres de réflexion et d’innovation pour la transition énergétique. De problèmes – elles représentent environ trois quarts des émissions de gaz à effet de serre – les villes veulent devenir des territoires de solutions par l’innovation. En effet, les effets du réchauffement climatique et de la pollution se font fortement ressentir dans les milieux urbains. La mise en place des Agenda 21 au sommet de la Terre à Rio (1992) puis la signature de la charte d’Aalborg (1994) sur les villes durables ont inscrit les politiques de développement durable et de transition énergétique à l’échelle locale. Des politiques volontaristes sont depuis menées pour parvenir à des objectifs ambitieux : Vienne souhaite enregistrer une baisse d’émission de CO2 de 35% d’ici 2030 et de 80% en 2050 par rapport à 1990. Au cours de son séminaire international de 2018 à Vienne, La Fabrique de la Cité a rencontré plusieurs experts du domaine de l’énergie qui ont apporté leurs éclairages sur cette question : la ville post-carbone sera-t-elle inclusive ?

Le localisme énergétique, une solution pour la transition ?

L’émergence de modes de production individuelle de l’énergie et de la figure du « consommacteur » – celui qui produit et utilise sa propre énergie – invite à repenser l’échelle des réseaux énergétiques. Le développement du localisme énergétique permet en effet une certaine autonomie des villes par rapport aux réseaux énergétiques nationaux et supranationaux. À quelle échelle faut-il penser les politiques mises en place pour la transition énergétique ? Dans quelle mesure l’échelle locale et la création de réseaux locaux indépendants forment-elles une solution inclusive ?

« Les systèmes de production énergétique locaux doivent être principalement axés sur l’énergie thermique », affirme Cyril Roger-Lacan, président et directeur général de Tilia, société de conseil pour la transition énergétique ; « cette dernière permet en effet de valoriser toutes les formes d’énergies présentes sur un territoire (énergie issue du traitement des déchets, du fonctionnement des data centers, des différentes biomasses présentes sur un territoire…) ».

La création de ces réseaux locaux permet un ancrage local de la production d’énergie et de l’activité : création d’emplois, collaboration entre acteurs du territoire, limitation des pertes d’énergie… Les bénéfices territoriaux sont multiples. C’est en effet une solution pour favoriser la collaboration entre les acteurs, limiter les pertes d’énergies et optimiser la production d’électricité. Tout semble aller dans le sens non seulement de la transition énergétique mais aussi de la transition écologique, qui traduit une évolution vers un nouveau modèle social.

Des communautés énergétiques greffées au réseau énergétique principal mais indépendantes de celui-ci apparaissent. Cependant, le réseau principal demeure essentiel au fonctionnement de ces réseaux décentralisés. Dès lors, comment éviter que ces derniers se transforment en une dérivation du système principal, dont les coûts fixes seraient supportés par ceux qui n’ont pas les moyens de devenir des acteurs énergétiques, entraînant une hausse du coût de l’énergie pour les plus modestes ? Si ces systèmes apparaissent avec la promesse de davantage d’inclusion, qu’en est-il dans la réalité ? Comment éviter que la transition énergétique ne se joue aux dépens de certains ? Comment articuler les échelles de la production énergétique ? Si les initiatives municipales peuvent s’avérer de réels aiguillons pour les politiques nationales, des conflits peuvent apparaître entre les différentes échelles de gouvernance et leurs acteurs respectifs.

Les nouveaux systèmes énergétiques : holistiques et intégrés

Les nouveaux systèmes énergétiques doivent être pensés de façon holistique : il s’agit de concevoir les réseaux énergétiques depuis leur construction jusqu’à l’étape de la consommation énergétique comme des tout pour échapper aux approches en silo. Plus globalement encore, « les projets de transition énergétique ne peuvent pas être pensés uniquement en termes de technique », annonce Cyril Roger-Lacan. Celle-ci est certes nécessaire pour permettre, entre autres, la production de bâtiments à énergie positive ou encore le développement de la mobilité électrique. Cependant, elle n’est pas suffisante. Il est nécessaire de penser la transition énergétique de façon transversale. L’échelle locale est pour cela un véritable atout. Elle permet par exemple de penser le réseau énergétique en lien avec la planification urbaine et ce bien en amont du processus de construction. « À Vienne par exemple, dans le quartier de Seestadt Aspern, les liens entre le projet urbanistique et les systèmes énergétiques sont intrinsèques », explique Oliver Juli, chef de projet du groupe de recherche Aspern Smart City.

Comment toutefois parvenir à optimiser des réseaux, à changer de focale et à ne plus se concentrer sur des unités mais bien sur des réseaux globaux ? Quels investissements faut-il faire pour y parvenir ? « Il faut revoir les choix d’investissements qui sont faits et parvenir à repenser la production énergétique non plus sur le court terme et le retour sur investissement mais bien sur le long terme et les cycles de vie des systèmes », affirme Waltraud Schmidt, directrice du centre d’énergie que Vienne souhaite développer dans sa ville. Elle insiste sur le fait que les pouvoirs publics ont une position clef pour indiquer la marche à suivre dans ce domaine ; en effet, ils n’ont pas d’impératifs de rentabilité à court terme. Ils peuvent aussi mettre en place des politiques incitatives : à Vienne, des subventions sont accordées pour la rénovation du bâti ancien lorsque celle-ci inclut des mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique.

La ville post-carbone inclusive

Comment et pourquoi la ville post-carbone sera-t-elle davantage inclusive ?

« La réduction de la consommation d’énergie et de son coût doit se faire au bénéfice des plus modestes », affirme Waltraud Schmidt. Le défi est de taille : « si la tendance actuelle se poursuit, Vienne aura dans quelques années le climat de Naples et ce sont les plus pauvres qui en pâtiront le plus. La stratégie de Vienne est donc d’investir dans des énergies renouvelables qui, sur le long terme, ont des coûts de consommation moins élevés ».

La ville post-carbone sera inclusive par les pratiques qu’elle proposera – ce qui incite à passer de la stricte transition énergétique à la transition écologique, plus large, qui demande de repenser les modes de vie en profondeur et de développer de nouvelles formes de coopération entre les acteurs. Comment inclure les citoyens dans les processus de transition énergétique ? La ville de Vienne leur a par exemple proposé d’acheter des parts dans une usine de production photovoltaïque, proposition accueillie avec enthousiasme. À Copenhague, en 2000, une coopérative composée de citoyens, d’entreprises et d’associations, accompagnés par des acteurs publics, a œuvré à la construction d’un parc de 40 éoliennes offshore produisant plus de 90 millions de kWh d’électricité, soit environ 3% de l’électricité consommée à Copenhague. L’implication du tissu d’acteurs locaux est la clef de voûte de cette réussite : plus de 8 500 individus ont contribué au financement de ce projet[1].

L’information et la communication avec les citoyens sont aussi essentielles pour parvenir à les rendre acteurs de la transition énergétique et écologique. Celles-ci, pour être véritablement efficaces, doivent dépasser le simple champ de la transition énergétique et viser la création « de communautés sensibles », reposant sur le partage d’un espace – physique et de débat – commun, défend Cyril Roger-Lacan. Pour cela, la qualité des espaces, notamment publics, est centrale : les espaces publics, comme lieu privilégié d’expression de la conception du (bien) vivre-ensemble à travers la morphologie urbaine, peuvent créer le ferment de la communauté, de l’échange et de l’inclusion – tout comme celui de l’exclusion et de la fermeture à l’autre. À ce titre, l’île du Danube et les bains de Gänsenhaufel à Vienne sont emblématiques : ce sont des lieux communs, accessibles à tous, qui favorisent la rencontre entre les habitants et forgent le sentiment d’appartenir à une même communauté, de partager un espace sinon un destin commun, tout en valorisant l’importance du lien avec l’environnement naturel dont l’équilibre fragile à respecter est souligné.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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