Le 5e élément
Houston sous les eaux, coupures d’eau imposées à Rome à cause d’une sécheresse sans précédent depuis 200 ans : l’impact médiatique des catastrophes provoquées par les 4 éléments est d’autant plus fort qu’elles touchent des villes. L’imaginaire collectif est frappé au point de ne pas s’interroger sur la véracité d’images choc telles que celles de requins nageant sur ce qui était la veille une autoroute ou de fuselages d’avions émergeant d’un aéroport transformé en lac. Aux images succèderont les chiffres astronomiques : ces catastrophes, plus fréquentes et puissantes du fait du changement climatique, représentent un coût de reconstruction très élevé pour les villes et les gouvernements (les estimations chiffrent déjà les dégâts d’Harvey à plusieurs dizaines de milliards de dollars), sans compter leur coût indirect. Elles perturbent des industries locales et nationales clés, elles mettent à mal durablement l’attractivité des villes touchées, elles perturbent fortement le marché de l’immobilier, du foncier, des assurances et exacerbent les différences sociales en mettant en évidence les inégalités face au risque. Preuve, s’il en faut, de la place grandissante que ces désastres occupent dans nos sociétés, la spéculation financière des compagnies d’assurance via les catastrophe bonds bat des records depuis une dizaine d’années.
Le fait que ces événements climatiques extrêmes aient un prénom (Katrina, Harvey) ne doit rien au hasard : ils impactent des villes et des sociétés humaines, alors même que ces villes sont volontiers associées à l’idée de refuges protecteurs face aux forces de la nature. Et pourtant ! C’est vite oublier le fait que les villes participent activement à la construction du risque défini comme la conjugaison d’un aléa (un phénomène naturel ou technologique plus ou moins probable sur un espace donné) et d’une vulnérabilité (le degré d’endommagement prévisible par ce phénomène d’une ville, d’un environnement…) : d’abord en raison de leur concentration en hommes et en activités stratégiques qui fait d’elles des zones à enjeux. Ensuite, en raison d’erreurs humaines : l’imperméabilisation des sols due à l’étalement urbain et à des modes de construction qui intègrent mal les contraintes climatiques, des normes de construction peu exigeantes, le sous-dimensionnement des réseaux d’évacuation d’eau et l’insuffisance récurrente des défenses contre la montée des eaux démultiplient leur vulnérabilité.
Les villes peuvent-elles reprendre la main, soit en limitant l’impact de l’aléa — comme le Japon le fait de longue date avec des normes sismiques telles que la plupart des séismes ont un impact minimal, soit en développant des stratégies de gestion de la catastrophe lorsque celle-ci se produit ? Leur réponse tient aujourd’hui en un mot : résilience. Un mot unique pour un problème complexe… Ne serait-on pas en face d’un mot-valise ?
La résilience est définie comme la capacité à rebondir après un choc ou une perturbation (resilere) et s’oppose à la résistance définie comme la capacité à tenir face à un choc (stare). Ce changement de paradigme dans la prise en compte des risques a un effet salutaire : l’ambition d’atteindre le risque zéro est abandonnée tout comme l’objectif de faire perdurer un système territorial ou social à l’identique. Leur sont préférés la notion de risque acceptable ainsi qu’une ambition de développement de la capacité de rebond, d’organisation et d’adaptation. La ville est ainsi envisagée comme un système tout à la fois complexe, souple et agile, bref comme un système en recherche d’un état d’équilibre dynamique. La résilience introduit une véritable complexité dans la prise en compte de différentes temporalités (l’avant et l’après-crise, le temps long et le temps court…) et spatialités : les villes étant des systèmes interconnectés, l’onde de choc peut facilement se propager et perturber l’ensemble du système (la fameuse crainte du big one).
La résilience présente ainsi une véritable vertu mobilisatrice et potentiellement coordinatrice d’acteurs aux intérêts très divers. Pourquoi seulement potentiellement ? Parce que tout le monde n’entend pas la même chose sous le terme de résilience et ne poursuit donc pas forcément le même but : quels sont les critères qui permettent d’évaluer si une ville est résiliente ou pas ? Au bout de combien de temps doit-on avoir surmonté une crise pour pouvoir être déclaré résilient ? Qu’est-ce qui — ou plutôt qui — définit l’état d’équilibre ? La résilience est le support de normes. L’action des différentes parties prenantes ne pourra être coordonnée efficacement que si ces questions sont posées. Et une ville ne pourra assurément être résiliente que si un consensus émerge sur la nature du risque que la société accepte de porter. La résilience, ce cinquième élément devant permettre l’équilibre avec les quatre autres, est donc avant tout affaire de débat public.
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La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.