IV. Créer un nouvel imaginaire industriel et répondre au défi de la transition écologique, nouveaux paris pour le territoire
Revaloriser l’image du secteur industriel
Le tissu industriel est diversifié et il existe un écosystème économique solide, néanmoins de nombreux défis attendent le territoire du Creusot aujourd’hui. En effet, plusieurs indicateurs, comme la décroissance démographique, la baisse du nombre d’emplois ou un important taux de chômage, révèlent des problèmes d’attractivité du territoire et du secteur industriel en particulier. La collectivité est ainsi confrontée à des enjeux qui peuvent paraître contradictoires : l’augmentation du nombre d’entreprises sur le territoire mais une baisse du nombre d’emplois, un important taux de chômage mais des entreprises industrielles qui ne parviennent pas à recruter, un recul des emplois sur le territoire mais une augmentation des emplois qualifiés.
Les entreprises industrielles du territoire connaissent aujourd’hui des difficultés de recrutement, liées à des problèmes d’ordre structurel (emplois industriels dévalorisés, manque de compétences, etc.). Cela peut même conduire à une certaine compétition entre les entreprises pour le recrutement, qu’il s’agisse du recrutement des cadres comme des métiers plus techniques (soudeurs, chaudronniers, etc.). Or, comme partout en France, les industriels du Creusot ne peuvent que déplorer que leur secteur, en particulier l’industrie traditionnelle, soit si peu valorisée chez les jeunes. François Bost, chercheur en géographie économique et industrielle, le confirme quand il déclare qu’ « il n’y a pas d’imaginaire industriel en France », resté bloqué selon lui sur les “images de Charlie Chaplin et du travail à la chaîne” et incapable de véhiculer une image de modernité. De plus, l’industrie est perçue pour beaucoup comme particulièrement polluante et certains secteurs oeuvrant pour des domaines fortement émetteurs (c’est le cas de Thermodyn par exemple qui intervient dans le processus de production de gaz et pétrole) sont disqualifiés, notamment auprès des jeunes 16.Dans un contexte où la réindustrialisation a été réaffirmée comme une priorité du gouvernement, ce déficit d’image et de compétences pose question. Sascha Kettler, directeur du site Michelin de Blanzy et d’origine allemande, souligne d’ailleurs les liens forts existants entre le secteur industriel et le système scolaire (primaire et secondaire) en Allemagne, qui peut expliquer en partie l’appétence de l’industrie dans ce pays. Cela peut notamment se traduire par le fait que les entreprises aillent davantage vers les élèves et ouvrent leurs portes pour faire découvrir leur secteur. Par ailleurs, la formation continue et les formations professionnelles qui favorisent les reconversions sont un autre enjeu pour le territoire, sachant que le taux de chômage chez les 25-64 ans est autour de 13 % en 2019. La connexion de l’offre d’emploi et de la formation avec les besoins des entreprises est d’ailleurs une des 4 priorités de la stratégie issue des « Assises de la relance économique » en 2020.
Changer l’imaginaire autour du Creusot-Montceau
Outre les enjeux industriels, la CUCM pâtit également de son manque d’attractivité et peine à faire venir de nouvelles compétences extérieures au territoire. Cela tient tout d’abord à une image dévalorisée, soulignée par tous les acteurs auditionnés, mais aussi par un déficit de certaines aménités, à commencer par le logement. Laurent Bouquin, DGS de la CUCM, souligne maintenant la nécessité de « faire un vrai travail sur l’aspect qualité de l’habitat et du logement », car, il l’affirme, « le choix politique a été de croire d’abord au projet industriel du territoire comme vecteur de développement ». D’autres acteurs soulignent cependant le déficit de l’offre de transports en commun au sein du territoire, à commencer par l’absence d’une navette régulière entre la gare TGV et le Creusot. 86 % des actifs se déplacent aujourd’hui en voiture pour leurs trajets domicile-travail. Or, il est très difficile d’instaurer une offre de transports en commun abondante sur la collectivité : le territoire est peu dense et cela pèse sur la rentabilité du service, par ailleurs la collectivité souligne des habitudes autour du transport individuel très enracinées chez les habitants. Y compris chez les nombreux salariés qui vivent en dehors de la CUCM.
La communauté peut pourtant compter sur la qualité du patrimoine naturel, industriel, humain ou architectural, qui apporte une vraie qualité de vie au territoire. « Il y a un patrimoine industriel incroyable et atypique » selon Philippe Rouballay, P.-D.G. de Symbiose Technologies et non originaire du territoire.
Aussi, une campagne active de marketing territorial va être prochainement lancée pour améliorer cette image. C’est une des priorités de la communauté urbaine pour ce nouveau mandat et un des quatre axes définis dans la stratégie issue des « Assises de la relance économique ».
Le programme Action Coeur de Ville, duquel Le Creusot et Montceau-Les-Mines ont tous deux été lauréats en 2018, peut être un levier pour revaloriser les centres et améliorer l’image de ces deux villes. Ainsi, des projets permettant la création (écoquartier) ou la réhabilitation (Opération Programmée d’Améioration de l’Habitat ou OPAH) de logements, la rénovation d’équipements publics, ou encore la facilitation des mobilités douces dans les centres (signalétique, pistes cyclables) sont en cours de réalisation.
Relever le défi d’une révolution industrielle autour de la transition écologique
La transition énergétique et écologique va nécessairement faire évoluer les pratiques de consommation et de production, tout en amenant de nouvelles opportunités. Cependant, si les grandes entreprises ont plus facilement les moyens d’être motrices sur ce sujet, le tissu de PME et TPE aura besoin d’accompagnement, notamment par les pouvoirs publics locaux en s’appuyant sur les grands programmes nationaux, pour relever ce défi. Par ailleurs, le secteur industriel, par les impératifs techniques de ses procédés de production, peut être tributaire de paris technologiques encore non-matures pour relever le défi de sa décarbonation.
Aujourd’hui, il existe effectivement des entreprises, plutôt de grands groupes ou des sociétés spécialisées dans le secteur environnemental, qui entreprennent de nombreuses actions afin de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et l’utilisation des ressources. Par exemple, au sein de l’usine Michelin, l’autonomie en eau est visée pour 2030 et de nombreux investissements sont faits dans la production d’énergie au sein du site (via la biomasse, l’installation de pompes à chaleur et de panneaux solaires notamment sur les parkings d’ici 2023-2024). Thermodyn vise une réduction de 50 % des émissions de CO2 d’ici 2030, en développant notamment la géothermie sur son site. L’entreprise Symbiose Technologies, spécialisée dans la conception et réalisation de systèmes de stockage ou de traitement des liquides, a mis en place sur son site un système de récupération des eaux de pluie, a travaillé sur l’isolation de ses locaux et compte prochainement installer des panneaux solaires sur une partie du bâti. Cette PME explique que si les coûts d’investissement sont importants, ils sont vite rentabilisés du fait des économies générées.
La transition écologique est également perçue par ces entreprises comme une opportunité, susceptible de créer de nouveaux marchés ou de modifier les facteurs de compétitivité. Plusieurs chefs d’entreprises du territoire ont souligné que les attentes des clients avaient beaucoup changé ces dernières années, l’empreinte carbone d’un produit devenant un facteur clef de compétitivité. De son côté, Thermodyn, qui conçoit et fabrique des compresseurs centrifuges et des turbines à vapeur pour la production de pétrole et de gaz, va adapter le format des pipelines qu’il produit pour pouvoir acheminer du gaz hydrogène.
Cependant, les coûts d’adaptation des process et de réorientation de certaines activités peuvent constituer un frein pour les plus petites entreprises. Par ailleurs, la décarbonation des process rencontre des difficultés techniques : l’électrification des moyens de production n’est pas toujours possible avec les technologies disponibles. En effet, comme le démontre l’étude « Les futurs énergétiques 2050 » produite par RTE, l’électricité pourrait passer de 40 % à 70 % de la consommation finale dans l’industrie. Pour le reste, l’hydrogène, à condition d’être décarboné, pourrait être aujourd’hui une solution de stockage de l’énergie, mais elle est encore très coûteuse et non disponible pour certains secteurs. Enfin, certaines industries ne peuvent que difficilement changer leur processus de production, car elles sont soumises à des normes de sécurité très strictes sur lesquelles elles n’ont pas la main. C’est par exemple le cas de Framatome, spécialisée dans la conception et réalisation de cuves pour le secteur nucléaire.
Depuis 2020, la CUCM s’est donné pour mission d’accompagner les entreprises dans leurs démarches de transition. Parmi les premières étapes : identifier les capacités d’accueil de panneaux solaires, notamment sur les toitures des sites industriels afin d’éviter toute nouvelle consommation de foncier. Un potentiel qui a été révélé dans son plan climat-énergie territorial (PCAET) de 2020. Par ailleurs, le territoire cherche à favoriser l’usage du fret ferroviaire, moins énergivore que le transport routier : la CCI de Saône-et-Loire a acquis une licence d’exploitation ferroviaire afin de proposer un service financièrement intéressant aux entreprises.
Enfin, au vu de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols (ZAN) pour 2050, la CUCM peut jouer un rôle essentiel pour accompagner les entreprises dans leur implantation : identifier l’immobilier disponible, mettre en relation vendeurs et acquéreurs, favoriser le rapprochement entre l’offre et la demande, gérer au mieux ses zones d’activités pour optimiser leur utilisation, favoriser la reconversion de friches. La collectivité, en articulation avec les autres échelons territoriaux, peut donc avoir un rôle d’autant plus essentiel à jouer, d’autant qu’elle dispose de grandes réserves foncières (plus de 200 hectares) fléchées pour l’activité économique dans le plan local d’urbanisme (PLU), en particulier dans la ZAE de Coriolis. Si le ZAN peut être un frein dans le développement de grands sites comme les gigafactories 17, il ne fait que renforcer l’intérêt des réseaux et des pouvoirs publics locaux.
Ce portrait confirme résolument l’image industrielle du Creusot, tout en révélant l’atypisme d’un territoire riche sur le plan patrimonial, culturel et naturel. S’il affirme son dynamisme et sa résilience économique, il soulève également de nouveaux enjeux auxquels le Creusot-Montceau va devoir faire face. Une mutation importante des activités, si ce n’est une révolution, commence à s’opérer et devra nécessairement s’intensifier au vu des impératifs de la transition écologique et énergétique, qui mobiliseront l’ensemble des forces vives locales. Or, la décarbonation pourrait être un moyen de redonner de l’attractivité à l’industrie et constituer un levier pour réinventer l’image du territoire. Et si Le Creusot-Montceau devenait un laboratoire de ce nouvel imaginaire industriel ?
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