Édito

Le guépard, le hamster, le ver de terre, le chien-loup et le poisson rouge : bestiaire de bureau

La crise et ses effets d’accélération vont-ils tuer le bureau ? S’il est une expression que l’année 2020 aura rendue largement obsolète, c’est bien celle « d’aller au bureau ». Télétravail, contraintes massives sur les mobilités : le bureau sortira transformé de la pandémie. Dans ce secteur, la question n’est pas tant de savoir quand aura lieu la reprise mais se décline en quatre interrogations : faut-il construire ? Que faut-il construire ? Combien de mètres carrés faut-il construire ? Jusqu’à quel point faut-il transformer l’existant ? Quatre interrogations qui sont une autre manière de dire que parler du marché de l’immobilier de bureau aujourd’hui, c’est parler des dynamiques urbaines, technologiques, sociales en cours et de leur perturbation par la crise sanitaire.

Face à l’incertitude, les prospectivistes raisonnent avec des scénarios. Plusieurs ont été élaborés sur le sujet de l’immobilier de bureau, dont un jeu de cinq scénarios assez inspirant suggéré par Colliers International – auquel nous prenons la liberté d’ajouter un bestiaire :

  1. Le premier est celui du statu quo, que je qualifierais de « scénario du guépard» – « il faut que tout change pour que rien ne change ». Les uns y verront le fruit du volontarisme des professionnels qui préfèrent se raccrocher à ce qu’ils connaissent, faute de vouloir se mesurer au mur d’incertitudes auquel le secteur fait face. D’autres y verront une lecture historique du sujet : après la grippe espagnole de 1919-1920 au sortir de la guerre, le monde occidental s’est empressé d’oublier les épreuves pour se jeter à bras ouverts dans les « Roaring Twenties ». Pourquoi pas un bis repetita pour les années 2020 ?
  2. Le deuxième scénario est celui du « grand hamster d’Alsace » (les lecteurs assidus de La Fabrique comprendront ; pour les autres, hâtez-vous de lire l’abécédaire sur les grands projets récemment publié par La Fabrique de la Cité sous la plume de Marie Baléo, à l’entrée éponyme !). À l’inverse, ce scénario postule de multiples transformations, nées de la crise sanitaire et portées par la transition écologique. On réglemente, oui, mais on se concerte, on écoute les salariés : bref, le monde entier devient suédois, les technologies sont mises au service du confort des travailleurs, l’emploi reste majoritairement salarié mais les travailleurs trouvent d’autres sources de développement personnel en réduisant leur temps de travail. La région parisienne reste très attractive pour les sièges sociaux, mais on assiste à la multiplication de tiers lieux, à proximité des domiciles, servant au télétravail, dans une logique de préservation de l’environnement.
  3. Avec le troisième scénario, on entre dans le monde du ver de terre, dont chacun se réjouira d’apprendre qu’il est de loin l’animal le plus présent, partout, dans le monde. On entre dans l’ère de l’exode urbain où prime la recherche de la meilleure qualité de vie. Les travailleurs s’éloignent des centres métropolitains ; à l’instar des vers de terre, salariés et entreprises se répartissent beaucoup plus sur le territoire, le salariat se dilue sous l’effet de l’intelligence artificielle qui détruit beaucoup d’emplois et favorise l’émergence d’un monde de travailleurs indépendants et flexibles. Il n’y a plus de siège social à proprement parler, plutôt des hubs, le cas échéant multi-entreprises.
  4. Gare au quatrième scénario, dystopique (du moins faut-il l’espérer…), celui du chien-loup. Tout y est contrainte : l’État impose une transition écologique qui oublie l’innovation, le marché et la créativité…, bref l’histoire de l’humanité ; les entreprises, mues par la performance et portées par la révolution de l’intelligence artificielle, détruisent les emplois. Insiders contre outsiders: les premiers, chouchoutés, se réunissent surtout virtuellement avec leurs collègues et les autres sont relégués. Dans ce monde hobbesien, rien moins que des chiens-loups peuvent contenir les antagonismes sociaux et les révoltes qui s’ensuivront.
  5. Enfin, le dernier scénario est largement localiste : chacun dans son bocal, version poisson rouge. « Dépendance technologique » et « indépendance professionnelle » : écoquartiers, PME, petites unités de travail, dispersion, travail indépendant se cumulent, avec toutefois une persistance des grandes entreprises dans les centres urbains.

2021 contribuera à nous dire si, comme il est probable, la réalité s’émancipera du cadre des scénarios et conduira à une hybridation des espèces. Reste que, après une année 2020 monopolisée par le pangolin, on ne peut que se réjouir de ce retour de la biodiversité.


Pas le temps de lire ? Chaque semaine, La Fabrique de la Cité s’occupe de vous et vous propose une revue de liens.  Consulter la revue de lien #59 ici.

Pour rester informés de nos prochaines publications, ne manquez pas de  vous abonner à notre newsletter et de suivre nos comptes Twitter et LinkedIn.

Ces autres publications peuvent aussi vous intéresser :

Barcelona

Virage à 180°

La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

Recevez notre newsletter

Restez informé des études et de l’actualité de La Fabrique de la Cité en vous inscrivant à notre publication hebdomadaire.

Inscription validée ! Vous recevrez bientôt votre première newsletter.