L’écologie : fourre-tout ou catalyseur ? Entretien avec Lucile Schmid
Le 17 décembre 2018, La Fabrique de la Cité recevait Lucile Schmid, vice-présidente du think tank La Fabrique écologique, dans le cadre d’un débat intitulé « Grands projets et démocratie » à Leonard:Paris. Avec cet événement, La Fabrique de la Cité inaugure en 2019 un nouveau projet d’étude visant à interroger le lien entre grands projets d’infrastructure et démocratie. L’écologie peut-elle permettre de simplifier l’approche de ces projets en structurant l’évaluation de leur bien-fondé et de leur utilité ? Dialogue entre Lucile Schmid et Cécile Maisonneuve, présidente de La Fabrique de la Cité.
Lucile Schmid : Le terme de fourre-tout me pose problème en raison de sa connotation négative. Mais il est vrai que chacun d’entre nous entre dans l’écologie par son monde, et de cette manière, plusieurs angles d’approches sont possibles, techniques, esthétiques, sensibles etc. On pourrait ainsi qualifier l’écologie de fourre-tout dans la mesure où chacun est différent et c’est d’ailleurs l’une des difficultés du projet écologiste : chacun dit qu’il est écologiste car aujourd’hui cela fait partie d’une forme de politiquement correct. Mais je parierais volontiers que chacun l’est d’une manière qui correspond à son histoire, à ses compétences professionnelles, et souvent en esquivant les conflits que cela peut poser à chacun au plan professionnel, au plan intime, dans ses habitudes de consommation, etc. Si l’écologie est un fourre-tout, c’est un fourre-tout qui peut être unifié.
Cécile Maisonneuve : Pour rebondir sur le sujet du sensible, je plaiderais au contraire pour que l’écologie rappelle qu’elle est une science. Il faut créer des ponts de dialogue et, souvent, dans le cadre d’un grand projet, celui qui est en face est l’ingénieur d’une grande entreprise qui porte le projet qu’il a défini et conçu. Il y a un problème d’harmonie des champs lexicaux et de la grammaire utilisés par les uns et les autres. Dans cette absence de dialogue, il n’y a pas de mauvaise volonté mais on ne parle pas la même langue. L’une des autres raisons pour lesquelles il serait intéressant de revenir à cette approche scientifique, c’est que la démocratie, pour exister, « a besoin d’une réalité factuelle à laquelle on se réfère pour débattre dans un espace public. L’élaboration du raisonnable doit se faire collectivement mais il n’y a pas de raisonnable si on ne s’appuie pas sur la réalité des faits » (Myriam Revault d’Allonnes). Cette réalité des faits, comment mieux la dire si ce n’est en passant par la science ? Est-ce qu’il ne serait pas temps de remettre l’écologie, surtout dans une France qui en a une vision politique mais qui ne la voit pas tellement comme une science, à ce niveau-là pour pouvoir établir ce dialogue autour de ces grands projets ?
Lucile Schmid : Aujourd’hui, lorsque vous organisez des débats sur les questions écologiques, certaines personnes vous disent « moi, je ne m’occupe pas de politique, je suis écologue ». Il ne faut pas imaginer que la science a lâché par rapport au politique ; au contraire, il y a une forte tentation de ne pas traiter l’écologie comme une question politique, ni même comme une question démocratique, il y a l’idée que ce serait une erreur. La place à donner à la science est grande mais en même temps très limitée dans le champ de nos institutions démocratiques puisque parmi les députés, les sénateurs ou les maires, sans doute seule une minorité a les connaissances scientifiques lui permettant de comprendre sous cet angle ce qui nous menace sur le plan du climat ou de la biodiversité. La question de notre culture scientifique et de la manière dont on peut comprendre les enjeux écologiques est posée et se pose encore plus fortement à ceux qui sont en situation de pouvoir. Le questionnement écologique devrait changer la sociologie du pouvoir en France ; quand on fait de la politique, on devrait pouvoir prendre le temps de lire. Le questionnement écologique implique un changement des relations de pouvoir et de savoir.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut imaginer que les réponses scientifiques vont arriver toutes armées et en verticalité. Pour connaître des professeurs et spécialistes de l’écologie scientifique, je sais combien leur combat est aussi politique. Quand on a créé le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) en 1988, il n’avait pas du tout la place qu’il a prise maintenant dans les négociations climatiques. Lorsque, cet automne, le GIEC a publié un rapport qui porte sur la possibilité d’imaginer un réchauffement climatique limité à 1,5°C, au départ, en tant que scientifiques, ils n’étaient pas convaincus qu’il fallait le faire parce qu’ils pensaient que ce scénario n’était pas atteignable. L’un des rédacteurs du rapport me confiait qu’ils avaient été ravis de le faire parce qu’ils s’étaient aperçus que cela impliquait de transférer la responsabilité des citoyens vers ceux qui ont le pouvoir. Les scientifiques du GIEC pensaient que ce scénario pouvait être atteint mais que cela signifiait qu’il revenait aux grandes entreprises, aux gouvernants, à tous ceux qui organisent aujourd’hui notre modèle de développement, de rendre possible, au moyen d’une réelle remise en cause, ce scénario du 1,5°C. Il y a aujourd’hui un consensus scientifique sur la question climatique mais il n’y a pas de consensus sur la manière d’aboutir à ce résultat à 1,5°C ; il reste à construire au niveau global.
Le questionnement écologique implique un changement des relations de pouvoir et de savoir.
Ce qui peut résoudre les choses, c’est de faire entrer dans les mœurs, par le droit sans doute, des contraintes liées à la lutte contre le réchauffement climatique ou encore à la préservation de la biodiversité. J’assume de dire qu’il faut de nouvelles contraintes. Il y a aussi la question de la responsabilité : aujourd’hui, nombre d’opposants à des projets ne se placent pas en position de responsabilité. Ils ne développent pas suffisamment de propositions alternatives. Cela veut-il dire qu’il faut faire un projet noir et un projet blanc et créer ensuite un nouveau clivage ? Je crois au choix si le choix est entre deux projets également vertueux sur le plan de la contrainte écologique et de la nécessité de fixer un cahier des charges qui inclut la préservation de la biodiversité et la lutte contre le changement climatique.
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.