Lens, mettre le passé à la bonne distance pour dessiner le futur
Décrites comme des havres de paix et de qualité de vie ou au contraire à travers ce qu’elles ne sont plus et ne sont pas (des villes qui comptent, des hubs d’innovation, des lieux d’opportunités et d’ouverture au monde etc.), les villes moyennes font l’objet de représentations contradictoires. « La » ville moyenne existe-t-elle ? La réponse à cette question ne peut faire l’économie du terrain. La Fabrique de la Cité part donc à la rencontre des acteurs locaux de ces villes dites « moyennes » pour, derrière les représentations toutes faites, en saisir la diversité, la complexité ainsi que les dynamiques en cours.
En 2015, Sylvain Robert, maire de la commune de Lens depuis 2013, préfaçait l’ouvrage L’Archipel d’un monde nouveau de la façon suivante : « ce territoire n’est pas banal. Il a tout connu : les révolutions industrielles successives, les luttes ouvrières, la puissance économique, les guerres, les destructions, les mutations et, inlassablement, la renaissance ».
L’histoire du bassin lensois se raconte en couleurs.
NOIR
« Au nord, c’étaient les corons
La terre c’était le charbon
Le ciel c’était l’horizon
Les hommes des mineurs de fondEt c’était mon enfance, et elle était heureuse
Dans la buée des lessiveuses
Et j’avais des terrils à défaut de montagnes
D’en haut je voyais la campagne
Mon père était ‘gueule noire’ comme l’étaient ses parents
Ma mère avait les cheveux blancs
Ils étaient de la fosse, comme on est d’un pays
Grâce à eux je sais qui je suis »
La première couleur associée à Lens est le noir, celui du charbon et des terrils évoqués par Pierre Bachelet dans sa célèbre chanson « Les corons ». Les terrils surplombent, tutélaires, le bassin minier historique du Pas-de-Calais et offrent une vue en relief de la plaine de l’Artois, où se trouve Lens. Mais si les anciennes mines sont inscrites dans le paysage, elles le sont également dans les mémoires, dans les corps : les habitants l’ont « dans la peau ». Georges Bernanos peignait, dans Journal d’un curé de campagne (1936), une scène de vie du bassin : « elle tenait un petit estaminet tout près de Lens, une affreuse baraque de planches où l’on débitait du genièvre aux mineurs trop pauvres pour aller ailleurs dans un vrai café. »
Cette histoire minière est encore bien présente aujourd’hui. Le club de football RC Lens a fait de la chanson de Pierre Bachelet son second hymne, même si le club a, au départ, plutôt été créé par des membres de la classe moyenne et que les liens avec les mineurs se sont édifiés progressivement, remarque Marion Fontaine, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université d’Avignon et directrice adjointe du Centre Norbert Elias. Cette réappropriation récente de l’histoire de la mine permet toutefois de construire une vision positive de la ville et de perpétuer des valeurs et des images forgées par un monde en voie de disparition. L’inscription du Bassin minier du Nord-Pas-de-Calais sur la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2012 en tant que « Paysage culturel évolutif vivant », au même titre que la baie de Rio de Janeiro ou le Val de Loire, joue un rôle similaire. Placer les gueules noires au même rang que les rois… une belle revanche pour ce territoire servant qui a longtemps vécu à travers son sous-sol. Le Louvre Lens a inauguré en mars 2020 une exposition baptisée « Soleils Noirs » : « inspirée du terril plat sur lequel repose le [musée, elle] rend aussi hommage au passé minier dont les images sont dominées par le charbon et ses traces aux infinies nuances [1]».
En raison de l’empreinte forte et multiforme du charbon – et du noir – dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, la disparition progressive des activités minières, des années 1960 aux années 1990, y a provoqué des changements profonds : grèves, destruction de 220 000 emplois[2], cycles de désindustrialisation, crise économique et sociale aiguë et fin d’un système paternaliste qui prenait en charge la vie des mineurs, leur logement, leurs loisirs « du berceau à la tombe ». Après leur fermeture, la municipalité de Lens, qui n’exerçait jusqu’alors son autorité que sur un dixième du territoire, a récupéré dans les années 1970 tous les terrains des Houillères : le pouvoir est alors passé des patrons des mines à la Ville… de même que la responsabilité de la gestion et de la maintenance de la voirie, des infrastructures et des cités minières, très diverses sur le plan morphologique (corons, cités jardins, chalets…) mais aussi très dégradées.
ROUGE
À Lens, le rouge se mêle volontiers au noir. On le retrouve dans les briques des cités minières, bâties autour des puits de mines comme autant de petites unités autonomes. En accord avec la politique sociale paternaliste développée par la Société des Mines de Lens, chacune d’entre elles disposait ainsi de sa propre église, d’une école, d’une salle des fêtes et d’un dispensaire, contribuant à la formation d’une communauté soudée et dépendante de la mine. Aujourd’hui, la ville de Lens veut voir dans ce patrimoine une chance : 90% de la ville est inclus dans une zone d’influence et de protection liée au classement à l’UNESCO, précise Hélène Corre, adjointe au maire de Lens en charge de la culture, du patrimoine, de l’attractivité et du tourisme. Et de souligner la richesse du patrimoine lensois, à rebours de l’image triste du coron, qui occulte la diversité des formes architecturales des cités minières.
Cette richesse ne se limite pas aux cités et cavaliers miniers inscrits : Lens compte également des bâtiments de style art déco, parmi lesquels la gare d’Urbain Cassan, blanche et rouge, aux airs de locomotive à vapeur. La valorisation de ce patrimoine constitue toutefois un enjeu majeur pour la commune. Elle implique la mise en relation des sites entre eux et avec le reste de la ville : « ce patrimoine demande du lien et de la lisibilité, notamment par de la signalétique », affirme ainsi Hélène Corre.
Autre enjeu majeur, celui de la rénovation thermique et énergétique de ce patrimoine. Édifiés à l’ère du chauffage gratuit, de nombreux logements sont en effet de véritables passoires thermiques. Aboutissement du rapport Subileau (2017) dont le but était de proposer des actions d’amélioration des conditions de vie et de logement dans le bassin minier, l’Engagement pour le Renouveau du Bassin Minier (ERBM) prévoit la réhabilitation et la restructuration de 28 cités dans la communauté d’agglomération de Lens-Liévin, dont quatre à Lens (Îlot Parmentier ; Cité N°4 ; Cités N°14 Est et N°2) qui appartiennent à Maisons et Cités. Ce bailleur, premier des Hauts-de-France, possède non moins de 64 000 logements, dont 94% de maisons individuelles ; 47.6% des résidents de son parc reçoivent des aides au logement. Maisons et Cités a joué un rôle majeur dans la négociation des fonds à débloquer pour l’ERBM et s’est lui-même engagé à investir 330 millions d’euros par an sur dix ans pour la rénovation de son patrimoine. « Il faut ramener à un niveau de performance énergétique décent les logements miniers pour sortir de la précarité énergétique l’ensemble de ce territoire », souligne à cet égard Gilles Huchette, directeur du forum Euralens. Selon lui, ces mesures nécessaires n’épuisent toutefois pas tous les enjeux urbains auxquels font face les cités, parmi lesquels l’assainissement dans les maisons, l’aménagement des espaces publics, l’amélioration de la desserte en transports, le renforcement des services de proximité et de l’armature commerciale. Face à ces enjeux, les financements sont encore trop rares.
Le rouge se décline aussi à Lens en « sang et or », les couleurs du Racing Club de Lens, fondé en janvier 1906 et dont le stade peut accueillir jusqu’à 38 000 spectateurs. Marion Fontaine explique que « l’équipe de football de Lens est surtout un élément identifiant de la ville et de ses habitants depuis les années 1970, à un moment où les cadres de la ville minière se sont dissous. Il y a un réel attachement au Racing Club ». Le retour du club en Ligue 1 a replacé la ville sur la carte de France : comme le souligne Gilles Huchette, Lens fait à nouveau partie des villes dont on parle le samedi soir. « Néanmoins, aujourd’hui, l’équipe renvoie également les habitants de Lens à une identité, une image qui ne leur correspond plus nécessairement ». Car le rapport que Lens entretient avec cet héritage est complexe, et pour cause : si la récente valorisation dont il fait l’objet est une source de fierté pour les Lensois, elle peut aussi donner l’impression de faire de la ville une caricature d’elle-même. Aussi Marion Fontaine rappelle-t-elle qu’« il n’y a pas ici que le ballon ou des descendants de mineurs[3] ».
VERT
Il n’échappera pas à l’observateur attentif que la palette du paysage lensois est en pleine métamorphose : Xavier Houix, directeur délégué à l’Aménagement et au Développement de la Ville de Lens, explique ainsi que « le territoire s’est tourné vers l’avenir en s’appuyant sur les forces du passé. Il s’agit de passer du ‘noir au vert’ », la transition du territoire est enclenchée. Mais vers quoi ?
Créer un territoire de coopérations
Les défis sont nombreux ; le premier d’entre eux consiste à créer un territoire de coopérations. Un regard sur la carte, une balade dans le territoire suffisent à observer la continuité territoriale de cette nappe urbaine qui s’étend autour de Lens suivant la géographie de l’extraction minière. Le passage d’une commune à l’autre peut être imperceptible, comme lorsque l’avenue Alfred Maes de Lens devient l’avenue Jean Jaurès de Liévin sans aucun effet de rupture paysagère. Lens, ville moyenne d’un peu plus de 31 000 habitants, est le centre d’une conurbation rassemblant des villes de différentes tailles : Liévin, Mazingarbe, Bully-les-Mines, Loos-en-Gohelle, Billy-Montigny, Hénin-Beaumont… L’agglomération de Lens-Liévin, plus importante que la conurbation stricto sensu, compte 244 561 habitants. À une telle échelle, le niveau d’équipement et de services se rapproche de celui d’une métropole, relève Xavier Houix : « Lens possède d’importants services administratifs et des associations à la fois nombreuses et variées, en plus de toutes les activités et équipements métropolitains déjà présents. À part l’opéra, vous avez tout à proximité ». Paradoxe : alors que ce territoire fonctionne de toute évidence comme un tout, il ne se perçoit pas comme tel. Ariella Masboungi, Grand Prix de l’Urbanisme, membre du cercle de qualité d’Euralens depuis 10 ans, parle ainsi à son propos d’inventer une forme de « métropole inhabituelle », à construire autour d’une vision et d’un projet pour continuer à faire renaître ce territoire.
Comme celles des anciennes cités ouvrières, les identités communales, héritées de l’Histoire, sont très marquées : Gilles Huchette explique ainsi que « le territoire était découpé en compagnies privées, comme la Compagnie des mines de Lens ou celle de Liévin, le tout tiré à la règle. Ces périmètres ont façonné l’identité de chaque secteur, par des directions de mines qui imposent leur vision politique et culturelle, mais en créant également une continuité paysagère, fonctionnelle, économique très forte ». Aujourd’hui encore, on est de Lens ou de Liévin, de la cité du 12/14 ou de celle du 9. À l’instar de Yann Fouant, responsable projets chez Gazonor, et d’Emmanuel Bertin, directeur du Centre Ressource du Développement Durable (CERDD), de nombreux acteurs du territoire soulignent la multiplicité des identités et appartenances individuelles. Ce paradoxe a longtemps nourri les rivalités politiques et entravé la mise en œuvre, dans ce territoire, de politiques développées sur le fondement de coopérations intercommunales. En dépit de la continuité du tissu urbain, le territoire reste ainsi marqué par des ruptures, un manque de d’accessibilité entre communes et par des actions dont le potentiel demeure inexploité, mises en œuvre à une échelle trop locale.
Face à ce constat, plusieurs initiatives ont vu le jour pour faire émerger une pensée du territoire et développer des coopérations entre les différentes parties prenantes, à l’image de la communauté d’agglomération de Lens-Liévin (la CALL), qui a pris de l’ampleur dans les années 1990, mais aussi du Pôle Métropolitain de l’Artois, créé en 2016 et rassemblant le Département du Pas-de-Calais et les communautés d’agglomération de Lens-Liévin, d’Hénin-Carvin et de Béthune-Bruay Artois Lys Romane. Son but ? « Faire converger l’action de ses membres dans différents domaines comme l’aménagement urbain et paysager, le développement économique et la formation, le développement culturel et social»[4], créer une maîtrise d’œuvre unique pour des projets d’envergure communautaire où la cohérence à l’échelle du territoire doit primer, et se doter d’un espace de contractualisation cohérent, notamment avec la région. Aujourd’hui, la CALL existe bien : Alain Grisval, qui dirige Citeos Nord Ingénierie, explique qu’elle est désormais devenue « un important donneur d’ordres, notamment en coordonnant le Nouveau Programme de Renouvellement Urbain (NPRU) ».
Mais le véritable « choc de coopération » advint avec la création du Louvre-Lens, véritable projet intercommunal porté aussi bien par Lens que par Liévin et Loos-en-Gohelle. Les acteurs locaux se sont mobilisés : « si c’est pour le musée, on y va ! ». Qualifié « d’accélérateur », de « catalyseur », ce musée, dont la construction a été décidée en 2004, a ouvert ses portes le 4 décembre 2012, jour de la Sainte-Barbe, patronne des mineurs. Afin de capitaliser sur cette dynamique nouvelle et de relever les défis de développement urbain que soulève l’accueil d’un tel équipement de rayonnement international, Daniel Percheron, alors président du Conseil régional du Nord-Pas-De-Calais, a créé Euralens, forum d’acteurs issus du Bassin Minier, dans le but d’activer les ressources locales de développement. Gilles Huchette note que cette initiative « a créé un premier symbole de coopération qui est le groupement de commandes dit « Euralens Centralité », regroupant les villes de Lens, Liévin, Loos-en-Gohelle et la communauté d’agglomération de Lens-Liévin. Au sein de ce groupement, les trois directeurs généraux des services de ces villes se voient régulièrement pour mettre au point une stratégie urbaine. Euralens a créé les conditions requises pour abattre des silos et penser cette coopération, les transports, les chaînes d’équipement, les liaisons de transports en commun, les premières intuitions de rénovation de cités minières, de tourisme… »
La démarche portée par Euralens consiste à mettre en œuvre et soutenir une dynamique de coopération en encourageant les projets innovants et en se faisant chambre d’écho pour les acteurs engagés du territoire, à la manière des Internationale Bauaustellungen (IBA) allemandes. La méthode ? « Se parler, se parler, se parler et encore se parler ! », sourit Gilles Huchette. Mais là se trouve bien l’ADN d’Euralens : partager les constats et les freins à la mise en œuvre d’une action et élaborer ensemble des solutions adaptées aux enjeux locaux. Ainsi, la structure a financé en 2015 une étude de définition d’un schéma stratégique pour la Chaîne des Parcs, un « archipel vert » que le paysagiste Michel Desvignes avait contribué à révéler au territoire en 2013. Elle relie à présent des espaces naturels par une boucle d’une longueur de 420 kilomètres et a permis aux habitants de découvrir des paysages, pourtant quotidiens, qu’ils ne connaissaient pas et qui leur apportent une nouvelle qualité de vie. Gilles Huchette indique qu’il a été décliné dans des agglomérations et inscrit dans leurs Schémas de Cohérence Territoriale et contribue à « faire territoire » car il est « pleinement opérationnel et efficient en termes d’appropriation politique micro-locale et de la capacité de portage ministériel. Les élus peuvent revendiquer la Chaîne des Parcs à un échelon régional ou européen. » Gilles Huchette salue également les résultats obtenus par l’opération ODYSSÉE, festival culturel de six mois porté par Euralens en 2019. ODYSSÉE entendait « faire travailler les acteurs de la culture et du tourisme ensemble, car l’offre culturelle est ici extrêmement forte mais dispersée. Nous avons souhaité donner de la lisibilité à cette offre auprès des habitants mais aussi au-delà du bassin lensois et mettre en scène les transformations du territoire. L’opération a permis un rapprochement entre les acteurs de la culture et ceux du tourisme ». Toutefois, si des dynamiques de coopération effective et de création d’un récit commun et fédérateur ont vu le jour, les habitants ne se projettent pas encore dans cette vision et ne s’identifient pas encore à l’échelle métropolitaine, nuance Ariella Masboungi, qui a conduit en 2019 l’atelier projet urbain « Territoires phœnix » consacré à Lens [5]. À ce jour, les identités communales de villes petites et moyennes peinent à se fondre dans une identité transterritoriale forte.
Lens, un centre ?
« La ville n’existe pas, Lens n’est pas une ville moyenne, Lens n’est pas une ville » a-t-on pu entendre. Que signifie ce constat ? Des représentations contradictoires sont attachées à Lens, considérée tantôt au prisme de ses insuffisances (pas assez de commerces, pas assez d’activités, pas assez de monde dans les rues…), tantôt à celui de ses équipements, qui la distinguent des autres villes de la conurbation. Elle est ainsi la porte d’entrée des TGV reliant Paris à Lille et accueille de grands équipements de rayonnement régional, national voire international, parmi lesquels le Louvre Lens et le stade Bollaert-Delelis, résidence du RC Lens. Deux tendances coexistent : l’une de renforcement de la centralité, l’autre de développement du réseau. Ces deux tendances sont-elles contradictoires ? Pas nécessairement, affirme le rapport Subileau : un réseau peut tout à fait assumer une tête de pont forte et facilement identifiable. Cela ne signifie pas concentrer tous les équipements sur Lens – le centre de conservation des œuvres est par exemple à Liévin – mais il faut atteindre un effet de seuil.
Aujourd’hui, il ne l’est pas encore, et les différents éléments fondateurs de la centralité sont encore trop faiblement reliés entre eux et se voient fragilisés par des logiques de concurrence avec la périphérie directe. Les grands centres commerciaux (Cora Lens 2, Noyelles Godault), notamment, sont accusés d’affaiblir la centralité du cœur de ville de Lens en entretenant une dynamique centrifuge. L’enjeu est donc double : il s’agit à la fois d’interconnecter ces éléments de centralité et d’en développer de nouveaux. C’est tout le sens de la Zone d’Aménagement Concerté (ZAC) Lens Centralité, fondée en 2015 dans le but d’« assurer une continuité urbaine »[1] de la gare au Louvre Lens, en passant par le stade Bollaert. Cette ZAC comprend différents projets, dont le premier, le programme Apollo, accueille le voyageur dès la sortie de la gare : il comprendra un rez-de-chaussée commercial, des logements et un hôtel trois étoiles. De là, le tracé du bus à haut niveau de service, dont le réseau baptisé « TADAO » est géré par le syndicat mixte des transports Artois-Gohelle, mène au stade Bollaert. La coupure urbaine entre le quartier des gares et le stade doit être recousue grâce à la récente réalisation d’un pont-rail et la future création d’un pôle sportif et de loisirs.
D’autres projets voient le jour : le Pôle Numérique Culturel « Louvre-Lens Vallée » ou encore l’îlot Parmentier, qui se veut un démonstrateur de la « transformation urbaine et paysagère, accompagnée d’une ‘transition énergétique’ des cités minières et de leurs logements, [et] s’inscrit à l’échelle régionale dans la démarche dite de ‘Troisième Révolution Industrielle’ »[7].
Quitter Lens pour mieux y revenir ?
David Desablence, directeur commercial, communication et RSE de VINCI Énergies France Tertiaire Nord Est & Sécurité incendie, voit dans le bassin lensois « un territoire attaché aux hommes et aux femmes ». L’inverse est également vrai : ces hommes et femmes ont souvent un lien très fort, un attachement profond à leur lieu de vie qui constitue une véritable ressource pour des acteurs engagés.
Pour autant, cet attachement peut parfois se retourner contre le territoire en devenant facteur d’inertie et entrave à la mobilité. « Il faut rétablir le mouvement et le brassage sur le territoire, encourager et permettre aux jeunes Lensois de partir », note Natasha Lacroix, ancienne directrice de l’IUT de Lens et maître de conférences en psychologie. 19,5% des 15-64 ans de la commune de Lens étaient au chômage en 2017, selon l’INSEE ; le décrochage scolaire concerne 30% des élèves avant le baccalauréat. Mettre à nouveau en marche la mobilité sociale n’est pas un vain mot sur le territoire. L’enjeu premier, note Natasha Lacroix, est d’inciter les étudiants à ne pas choisir leur cursus en fonction directe de la proximité de leur lieu d’étude à leur domicile. Pour cela, il faut soutenir le développement du réseau de transports en commun, qui reste insuffisant au regard de la morphologie du territoire et de la population qu’il accueille. Il faut également développer des résidences universitaires pour favoriser l’autonomie des étudiants, mais aussi faciliter le départ de Lens, pour permettre à une importante fraction des étudiants de découvrir d’autres horizons en étudiant ailleurs. Promouvoir la mobilité sociale grâce à la mobilité physique est ainsi tout autant un enjeu d’infrastructures et d’aménagement du territoire que de politique sociale (60% des étudiants sont boursiers) et de culture de l’ailleurs. Ce dernier point a été central pour Natasha Lacroix dans ses fonctions de direction de l’IUT. Elle s’est employée à faire de ce dernier un tremplin vers un ailleurs, en acceptant le fait que tous ces jeunes ne reviendront pas. Cette ouverture vers l’extérieur est fondamentale pour innover et permet de jeter un regard nouveau sur les problématiques et enjeux du territoire. C’est par exemple le positionnement d’un acteur tel que La Française de l’Énergie qui valorise le gaz de mine (le célèbre grisou), très émetteur de gaz à effet de serre, pour le réinjecter sous forme de chaleur dans un réseau de chaleur local pouvant alimenter les habitants en chauffage urbain : un gaz autrefois craint pour les accidents dramatiques qu’il provoqua dans les mines devient ainsi une source d’énergie capable d’améliorer la qualité de vie des habitants des cités minières.
Ouvrir Lens et brasser de nouvelles populations nécessitent aussi d’attirer davantage de visiteurs. En cela, l’ouverture du Louvre Lens en 2012 a marqué un tournant. « Lens s’est découvert une vocation touristique qu’elle n’avait pas auparavant mis à part les sites de mémoire liés aux Guerres mondiales », explique Hélène Corre.
La directrice du musée, Marie Lavandier a su, selon Ariella Masboungi, « percevoir l’énergie du territoire et sa capacité à provoquer le changement ». Emilie Nemeth, en charge de la communication à la mission ALL-Autour du Louvre-Lens de Pas-de-Calais Tourisme, ajoute que l’inscription du Bassin minier au Patrimoine mondial de l’UNESCO et l’arrivée du musée en 2012 ont donné lieu à de courts séjours touristiques qui dépassent les frontières de Lens. Elle explique qu’en 2017, 56% des visiteurs du musée étaient Français et que la moitié de ceux-ci venaient de la région. La part des visiteurs étrangers atteignait donc 44% : il s’agissait principalement de touristes belges mais aussi de visiteurs néerlandais, britanniques, allemands et japonais. Depuis l’ouverture du musée, les retombées économiques du tourisme ont été estimées à 134,6 millions d’euros par les études TCI RESEARCH de 2017 conduites pour la mission ALL. L’enjeu pour cette dernière et ses partenaires est à présent de réussir à allonger les séjours dans l’ensemble du bassin minier, de proposer des offres touristiques innovantes au sein duquel « Lens a tous les atouts pour réussir » et de poursuivre l’élaboration d’un marketing territorial ambitieux.
Enfin, où se trouve, dans l’horizon lensois, la Métropole européenne de Lille, éloignée d’une quarantaine de kilomètres seulement au nord-est ? Lille est, à certains égards, rapprochée de Lens par les liaisons ferroviaires et routières, par son desserrement vers Lens et par l’intérêt de certains investisseurs et promoteurs immobiliers lillois pour Lens, note Sébastien Humez, directeur de cabinet du maire de Lens, qui ajoute que « le dernier sondage sur l’attrait des villes moyennes conforte leur image en France en matière de qualité de vie et de service, d’accessibilité, de logement… ». Mais Lille est également lointaine : les formes de coopération avec Lens et l’ensemble du bassin minier restent à penser et à construire. À ce jour, les acteurs privés, par leurs choix d’investissement, ont commencé de tisser des liens entre ces deux espaces ; ils précèdent en cela les acteurs politiques. Pourtant, une logique de coopération entre Lille et le bassin lensois pourrait permettre de créer une dynamique positive collective en matière de développement économique et touristique et pourrait s’avérer clé pour l’allongement des séjours touristiques. Gilles Huchette indique que « les marges de développement de la métropole lilloise se jouent dans la coopération avec ses territoires voisins. Parmi les exemples fructueux, Dunkerque, qui est devenue l’interface maritime de Lille, ou encore Valenciennes, qui a construit sa relation avec Lille via son université et ses laboratoires de recherche. Des coopérations gagnant-gagnant peuvent donc exister. Avec la périurbanisation et la métropolisation, le développement entre Lens et Lille est pour le moment moins conjoint que subi. Pour inverser cette tendance, nous espérons que la politique de contractualisation engagée par la Métropole européenne de Lille se poursuivra ».
Donner à l’action sa pleine mesure
« Les Lensois sont très demandeurs d’action ». Ce constat d’Emilie Nemeth est partagé par de nombreux acteurs locaux. Ces derniers se distinguent par leur dynamisme et leur engagement pour le territoire. Souvent qualifiée de trop rapide ou de trop ambitieuse, Marie Forquet, la très énergique directrice de l’association Porte-Mine, fait partie de ces Lensois engagés pour la transformation du bassin urbain. Afin de participer au développement du territoire, elle souhaite « provoquer la rencontre et l’échange », « maintenir le lien entre les gens » et redonner du sens à un territoire encore éclaté, grâce au café citoyen qui se trouve actuellement à la Maison des Projets mais aussi à des animations et ateliers autour de la culture, du développement durable et de l’économie sociale et solidaire. Toutefois, pour certains de ces acteurs, la transformation et les dynamiques de coopération ne sont pas suffisamment profondes et rapides.
Marie Forquet souligne « l’ambiguïté de ce territoire, pris entre passé, présent et futur », marqué par la nostalgie de la période minière et par l’envie de jouer un rôle dans les transformations en cours. Il apparaît qu’afin de déployer son plein potentiel, Lens doit encore réussir à trouver la bonne distance à son passé. L’héritage issu de sa riche histoire peut s’avérer lourd à porter, empêchant ses habitants de s’acheminer vers une histoire qui, quant à elle, reste à écrire. L’enjeu est de se départir de l’image de territoire sinistré et immobile qui lui colle encore à la peau pour ne conserver du passé que ce qui la projette dans le futur et l’aide à se construire : la solidarité, l’attachement au territoire, l’engagement des acteurs. Se départir d’une logique d’autocensure, que regrettent plusieurs acteurs économiques et issus de la société civile, et dépasser le « ce n’est pas pour nous » : tel est le défi pour Lens, qui s’autoriserait alors réellement à devenir une « ville moyenne ». Non pas « moyenne » au sens de « médiocre » mais au sens d’une ville dont la taille peut présenter un atout pour conduire et donner toute leur envergure aux projets innovants en cours et à venir.
[1] Page de présentation de l’exposition « Soleils Noirs » sur le site du Louvre Lens, consultée le 25 septembre 2020. https://www.louvrelens.fr/exhibition/noir/
[2] Archive de l’Institut national de l’audiovisuel sur le bilan du plan de fermeture des Houillères datée du 12 mars 1991, consultée le 25 septembre 2020. URL https://fresques.ina.fr/memoires-de-mines/fiche-media/Mineur00202/bilan-du-plan-de-fermeture-des-houilleres.html
[3] https://www.lemonde.fr/football/article/2017/10/13/lens-espere-enrayer-le-declin-des-sang-et-or_5200524_1616938.html
[4] Site du Pôle Métropolitain de l’Artois, consulté le 30 septembre 2020. URL : http://polemetropolitainartois.fr/
[5] Revue Urbanise, « Territoires phœnix – La preuve par Euralens », hors-série n°68, mai 2019. URL : https://www.urbanisme.fr/territoires-phoenix-la-preuve-par-euralens/sommaire-68
[6] Site de la Ville de Lens, consulté le 25 septembre 2020. URL : https://villedelens.fr/mes-services/urbanisme/zac-lens-centralité/
[7] https://villedelens.fr/mes-services/urbanisme/zac-lens-centralité/
Retrouvez cette publication dans le projet :
Ces autres publications peuvent aussi vous intéresser :
Bourges : un avenir entre nature et culture
« On passe tant de temps sur la route que l’on arrive à l’habiter » Luc Gwiazdzinski
La réindustrialisation au défi du zéro artificialisation nette des sols
Épinal, pionnier de l’urbanisme circulaire
Accélérer la transition énergétique : comment territorialiser ?
Saint-Dizier : Vers une nouvelle forme de prospérité ?
Le Creusot-Montceau : une remarquable résilience industrielle
Cahors : innover pour une qualité de vie remarquable
Le regard d’Étienne Achille sur Cahors
La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.