Les autonautes de la cosmoroute : rouler pour prendre l’aire
En septembre 2023, La Fabrique de la Cité était partenaire d’un colloque consacré à la route, co-organisé à Cerisy par Mathieu Flonneau et Frédéric Monlouis-Félicité.
Ce texte a pour vocation de donner un rapide aperçu des présentations des différentes intervenants et des échanges qui ont eu lieu dans le cadre du Colloque. Il sera suivi de la publication d’actes, complets, rassemblant les contributions universitaires et expertes ainsi que les différentes sources et références mentionnées au cours de ces journées de réflexion.
La Fabrique de la Cité tient à remercier Angèle Le Prigent, doctorante en Science Politique au Laboratoire Arènes à l’université de Rennes, Roman Solé-Pomies, en thèse de doctorat au Centre de sociologie de l’innovation (Mines Paris-PSL), Emma-Sophie Mouret, docteure en histoire de l’aménagement du territoire et de l’environnement, LARHRA, Université Grenoble Alpes, et Jean-Clément Ullès, doctorant au Laboratoire de Géographie et d’Aménagement de Montpellier (LAGAM) pour ce travail de synthèse.
La Fabrique de la Cité remercie également le Centre culturel international de Cerisy et l’Association des amis de Pontigny-Cerisy, ainsi que l’ensemble des co-partenaires de ce colloque « Comprendre la route » : l’association P2M, le laboratoire Sirice et l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, le Syndicat des équipements de la route, la Fédération nationale des Travaux publics, l’Union routière de France, et Route de France.
Le couple d’écrivains, Julio Cortazar et Carol Dunlop, décident en 1982 de parcourir le trajet Paris-Marseille en minibus. Dormant sur des aires d’autoroutes, ils se savent chacun menacés d’une maladie incurable et ce voyage prend des airs de dernier souffle, dernière aventure, dernier regard. Conscients de cette transgression, face à la mort qui guette, à l’interdit de dormir sur les aires d’autoroute, ils tiennent un journal de bord. Un premier temps factuel, il s’enrichit progressivement de photographies, dessins et rencontres. Le but ? Suspendre le temps malgré les voies rapides et faire face au danger…
Plusieurs lectures et interprétations peuvent commenter cet ouvrage.
Il fallait d’abord montrer le rapport intime qu’entretiennent les personnages avec l’autoroute qu’ils parcourent. Sur le lieu de la vitesse par excellence, ils souhaitent y redécouvrir une temporalité oubliée, une matérialité pratique, facile, approchée. Dès lors, l’aire d’autoroute n’est plus le simple lieu d’une halte, et l’autoroute n’est plus l’axe de passage express. Dans un esprit carnavalesque bakhtinien, celui du renversement des valeurs, les protagonistes vivent et s’installent sur l’aire. Y manger, y dormir, voir le jour se coucher et revenir : voilà une pratique de l’autoroute inédite. C’est via cette matérialité retrouvée (comment vivre sur une aire ? où s’asseoir ? dormir ?) que le duo de voyageur complètera sa mue, de voyageurs de la route à voyageurs du temps, tandis qu’au loin, l’autoroute et son bruissement permanent disparaitront doucement pour n’être plus remarqués, au point que le retour sur la voie rapide, d’une aire l’autre, ravivera son lot de vertiges et d’angoisse que la vitesse dut, un jour, susciter chez nos ancêtres. Fallait-il que tout change, pour que rien ne change ?
En plus d’ouvrir cette réflexion sur la vitesse et l’impression que l’homme en a, et au-delà d’une peinture en creux de l’autoroute — moyen, décor voire personnage secondaire, ce récit d’aventure (faut-il l’appeler roman ?) montre l’attachement progressif d’un être à l’autre, de Julio et Carol. Lovés dans leur combi Volkswagen, habitacle d’aventure désormais mythique, syndrome d’un désir d’alternatif et d’échappée, les deux héros redécouvrent leur histoire d’amour déjà vieille de 30 ans. Braconniers du temps, ils en viennent à le figer pour mieux saisir la force de ce voyage, menacé par le destin final. Extraits du réel, n’ayant pour référent que leur aventure, ils écrivent un conte et s’y ajoutent ensuite. Aussi se donnent-ils des noms d’enfance éternelle : Le Loup (lui), l’Oursine (elle), et Fafner (le Combi).
Nous avons conclu le commentaire en révélant l’instinct dévorant et puissant que la route révèle chez eux. Photographies, dessins, récits, anecdotes, analyses : les 75 aires parcourues ponctuent leur échappée et dressent un portait inédit de la route. En somme, le livre porte un regard ontologique sur cette route dont la « fonctionnalité insipide et presque abstraite fait soudain place à une présence pleine de vie et de richesse. Dans la course implacable de l’autoroute, les hommes n’existent qu’en théorie. »
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La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.