Édito

Les autoroutes urbaines, un futur à inventer

Pendant de nombreuses années, développements urbain et autoroutier sont allés de pair. Le modèle fordiste sur lequel nos villes se sont construites est fondé sur le développement de la grande industrie intégrée dans la seconde moitié du XXesiècle. La périurbanisation en est l’une des conséquences immédiates, ce phénomène satisfaisant un besoin important de foncier abordable. Cette redistribution spatiale a inspiré la construction de grandes infrastructures de transport (routes, autoroutes, chemins de fer) pour approvisionner en matières premières, ressources humaines et énergie les industries nouvellement installées aux marges de la ville.

Symboles du développement économique des métropoles par le passé, les autoroutes sont de plus en plus considérées à l’aune de leurs externalités négatives. À tel que point que le futur des villes semble vouloir s’émanciper des autoroutes et voies rapides. De nombreux exemples internationaux de déconstruction d’autoroutes semblent en attester : à Séoul, la conversion de la Cheonggyecheon Expressway a permis de retrouver la rivière jusque-là enfouie tandis que Portland a transformé son Harbor Drive freeway en parc…Faut-il y voir le symbole de la désunion entre ville et autoroutes ou plutôt les signes d’un système montrant ses limites et devant être repensé ?

À Paris, les experts et les autorités publiques parient sur l’optimisation des autoroutes ainsi que sur des solutions innovantes visant à les désengorger plutôt que sur la destruction d’un réseau aujourd’hui indispensable aux déplacements quotidiens de 4 millions d’actifs. À l’occasion du festival Building Beyond, La Fabrique de la Cité a exploré le futur des autoroutes urbaines franciliennes aux côtés de l’écrivain et chroniqueur Aurélien Bellanger, de Sylvain Cognet (Forum métropolitain du Grand Paris) et du consortium New Deal représenté par David Mangin (architecte), André Broto (VINCI Autoroutes), Carles Llop (architecte) et Jean Coldefy (expert indépendant). Une exploration complétée d’un aperçu des services nécessaires au fonctionnement optimal de ces infrastructures, avec Emmanuel Daubricourt (Cyclope.ai) et Marc-Antoine Ducas (Netlift).

Ces autoroutes, Aurélien Bellanger les définit comme des « cartes truquées du territoire, mêlant hostilité et grandeur de la ville ». Les emprunter procure souvent la sensation de s’y perdre. Elles contournent les métropoles, les fendent parfois. Haïes pour la pollution visuelle, sonore et sanitaire que génère le trafic automobile, les autoroutes urbaines n’en demeurent pas moins indispensables à beaucoup. « 80% des usagers du périphérique parisien ne sont pas des Parisiens », rappelle l’ingénieur et expert de la mobilité Jean Coldefy. « Comment pourraient-ils faire autrement ? Paris a perdu 400 000 habitants en cinquante ans au profit de sa périphérie, mais la capitale concentre à elle seule 40% des emplois régionaux ».

Ce rappel pose la difficile équation de l’avenir de ces infrastructures, débattu au cours du deuxième festival Building Beyond. L’avenir de la mobilité passe par la résorption, à l’échelle de la région capitale, des 400 km d’embouteillages quotidiens de voitures ne transportant dans leur grande majorité qu’un unique passager. La polémique, surgie de la fermeture des voies sur berges, a relancé le débat et suscité une consultation internationale sous l’égide du Forum métropolitain du Grand Paris. Penser ce « réseau magistral, dont le périphérique n’est qu’un maillon », souligne le directeur général du Forum Sylvain Cognet, soulève quatre enjeux majeurs : « le traitement des flux, la lutte contre les externalités négatives, l’insertion de ces infrastructures routières dans le paysage urbain et enfin la faisabilité temporelle et financière ».

Un « New Deal » pour repenser les voies urbaines du Grand Paris

Répartie sur deux échéances – 2030 et 2050 –, la temporalité de cet exercice de prospective est à l’image de la méthode : graduelle. « De nouvelles mobilités apparaissent mais les pouvoirs publics n’y sont pas préparés, poursuit Sylvain Cognet. Il s’agit pour nous de les anticiper et de se doter d’une culture commune ». Cette approche est également celle des promoteurs du New Deal pour les voies rapides du Grand Paris, l’un des quatre projets en lice pour le réaménagement du réseau routier francilien, dont Leonard est partenaire. « Rénover et adapter mais sans démolir ni rajouter », insiste l’architecte-urbaniste David Mangin, associé au projet. Ce New Deal ambitionne de réduire de 50% le trafic routier sur les axes tout en apportant de nouvelles solutions de mobilité à ceux qui n’ont pas d’autre option que la voiture particulière. Des « bus autoroutiers à haut niveau de service, à l’image de ceux déployés à Madrid » pourront transporter dès 2030 quelque 8 000 passagers par heure, puis 16 000 en 2050 sur des voies réservées, contre à peine plus de 2 000 aujourd’hui.

New Deal : les routes du futur du Grand Paris

Les voies rapides elles-mêmes prendraient un nouveau visage, grâce à la mise en place de files réservées aux transports collectifs voire au covoiturage. Ce nouveau réseau de voies dédiées, support de transport collectif à grande capacité, permettra de diminuer progressivement le trafic « autosoliste » jusqu’à 50% d’ici 2050. À terme, l’espace libéré pourra être récupéré et alloué à d’autres usages.

Des nœuds multimodaux au cœur de nouvelles centralités 

André Broto, directeur de la stratégie et de la prospective de VINCI Autoroutes, souligne l’importance de « faire arriver les gens sur de nouvelles ‘places centrales’, où se trouvent les points d’entrée des transports en commun assortis de nombreux services ». Ces nouveaux lieux d’échange articuleront les territoires de la grande région métropolitaine et faciliteront la mobilité quotidienne. André Broto précise que ces espaces « seront déterminants dans la conception du réseau urbain du futur ». Ils constitueront de « nouveaux quartiers du Grand Paris Express ou les centres commerciaux de grande couronne » selon l’architecte-urbaniste Carles Llop.

Le succès de ces stations d’interconnexion dépend du renforcement de l’armature en parc relais. Pour Jean Coldefy, « une révolution est nécessaire, quand on sait que les parcs-relais n’offrent actuellement que 15 000 places de stationnement pour les véhicules et à peine 5 000 pour les vélos».

La gestion et densification des flux, autre révolution annoncée

La révolution de l’infrastructure pourrait bientôt se doubler de celle de la gestion des flux grâce au concours de l’intelligence artificielle. Des algorithmes autonomes tels que ceux développés par la startup Cyclope.ai permettent d’utiliser les flux vidéos des caméras de vidéosurveillance des axes routiers pour repérer les types de véhicules en circulation, de détecter les incidents et de mesurer les flux. « Ces outils offrent des perspectives pour assister la navigation des véhicules autonomes mais aussi assurer la gestion des flux de covoiturage par la détection du nombre de passagers », fait valoir Emmanuel Daubricourt, responsable de l’innovation et du business development de Cyclope.ai.

En attendant le véhicule autonome, l’optimisation de la circulation sur les voies à haute capacité passe par la réduction de l’autosolisme. Les voies New Deal entendent ainsi promouvoir la démocratisation et la pérennisation du covoiturage en rendant prioritaires les véhicules à occupation multiple. Ce procédé incitatif n’est pas négligeable puisqu’il permettrait aux covoitureurs de réduire leurs temps de parcours. Devant les échecs et l’incapacité des solutions de covoiturage courte-distance à réellement réduire le trafic autoroutier périurbain, Marc-Antoine Ducas précise que la solution ne saurait être seulement infrastructurelle : elle est d’abord foncière, et tient à la capacité des villes à garantir des places de parking, de surcroît à coûts privilégiés, aux co-voitureurs au fort taux de remplissage des véhicules.

Le futur des autoroutes urbaines ne saurait se réduire à l’unique sujet de l’infrastructure. Il est indissociable de la question des usages et des services de mobilité.

Quel avenir pour les autoroutes urbaines ?

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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