Point de vue d'expert

Les métropoles allemandes face à la crise du logement

Autrefois réputée pour son caractère abordable, Berlin a vu son loyer moyen du mètre carré augmenter de 40% entre 2012 et 2018 ; dans le même temps, Munich détient le titre peu enviable de ville la plus chère d’Allemagne sur le plan immobilier, incitant un nombre croissant de ménages à revenus faibles et moyens à quitter la ville pour s’installer dans sa périphérie. La Fabrique de la Cité a interrogé l’économiste allemand Michael Voigtländer quant aux principales causes de la pénurie de logement abordable que traversent aujourd’hui les métropoles allemandes et aux pistes de résolution qu’elles pourraient mettre en œuvre.

LFDLC : Quels sont, selon vous, les principaux facteurs explicatifs de la pénurie de logement abordable que rencontrent de grandes villes allemandes telles Berlin ou Munich ?

MV : Dans les années 2000, les marchés immobiliers des grandes villes allemandes étaient relativement stables, avec une augmentation très lente et progressive des loyers et prix de l’immobilier. Néanmoins, ces villes ont depuis lors considérablement gagné en attractivité, notamment grâce à la création de très nombreux emplois à haut niveau de rémunération. Le nombre d’étudiants vivant dans ces villes a lui aussi fortement augmenté, engendrant une hausse significative de la demande de logement. Berlin et Munich accueillent respectivement 40 000 et 15 000 nouveaux habitants chaque année. Mais la construction de logements peine à maintenir le rythme : Berlin ne construit que 15 000 nouveaux logements par an. Le marché est dès lors sujet à une forte tension et les prix augmentent rapidement. En outre, ces villes font face à un obstacle majeur : la rareté du foncier, particulièrement à Munich, qui fait l’expérience d’une croissance continue depuis maintenant 30 ans. Un autre problème, pour Munich, est celui de la réticence des municipalités environnantes (à majorité CSU) à investir dans le logement, de peur de recevoir un afflux de population en provenance de Munich (à majorité SPD) et d’en voir leurs équilibres électoraux altérés.

Berlin est dans une tout autre situation, avec beaucoup de foncier disponible, notamment le Tempelhofer Feld, ancien aérodrome situé en plein cœur de la ville. Mais un fort courant « NIMBY » [« Not in my backyard »]a entraîné l’abandon des projets de construction de logement sur le Feld. Un autre problème spécifique à Berlin réside dans le fait que l’aménagement n’y est pas centralisé ; la plupart des projets de logement doivent en effet être attribués par les Bezirksregierung, les administrations des arrondissements berlinois, ce qui complique grandement la situation.

Enfin, la plupart des nouveaux logements construits à Berlin sont des logements de luxe, en raison notamment de la considérable augmentation des coûts de construction liée aux exigences en matière d’efficacité énergétique et de protection contre le risque incendie. De plus, certaines municipalités requièrent des promoteurs qu’ils financent des aménités et équipements supplémentaires (crèches, écoles…), ce qui incite ces promoteurs à rentrer dans leurs frais en construisant des logements destinés à des ménages à revenus élevés plutôt qu’à des ménages à revenus faibles ou moyens.

LFDLC : Un défi particulier, à Munich, semble être celui de la coopération entre la ville de Munich et les municipalités environnantes pour co-construire une stratégie de logement abordable cohérente à l’échelle métropolitaine.

MV : Effectivement, il s’agit d’un vrai défi. La capacité des municipalités à prendre leurs propres décisions en matière de zonage, qui était autrefois l’une des forces du système allemand, devient aujourd’hui un obstacle, alors que des conflits voient le jour entre municipalités et que le consensus s’avère de plus en plus difficile à atteindre. On assiste aujourd’hui à un débat sur la nécessité d’un aménagement interrégional et de la création d’un aménageur unique qui réunirait les différentes parties prenantes pour identifier des solutions.

LFDLC : Comment les villes peuvent-elles encourager les acteurs privés et les investisseurs à produire du logement abordable ?

MC : Cette question fait l’objet d’un vif débat en Allemagne. Pour l’instant, les municipalités semblent avoir la main. Plutôt que de céder leur foncier au plus offrant, elles devraient user de leur influence pour imposer aux promoteurs privés des restrictions spécifiques, comme l’a récemment fait Hambourg en attribuant un projet de logement à un promoteur dont la vision était celle qui se rapprochait le plus de la sienne (à savoir, la construction de logements à deux ou trois chambres avec un niveau de loyer prédéterminé), plutôt que de retenir la proposition la plus avantageuse sur le plan financier. Une autre solution consiste à définir un ensemble de critères auxquels les investisseurs devront satisfaire. C’est ce qu’a fait Munich, où 30% des logements nouvellement construits doivent être réservés au logement social et où les investisseurs doivent contribuer au financement d’infrastructures publiques.

Tempelhofer Feld, Berlin – Credit: Sebastian Michalke CC BY 2.0

LFDLC : À Munich, plus de 50% des ménages sont unipersonnels. Pour autant, le parc résidentiel est majoritairement constitué d’appartements à la superficie élevée et comprenant plusieurs chambres. Considérez-vous qu’il existe à Munich une inadéquation entre l’offre et la demande ?  

MV : Oui, une étude menée par l’IW a révélé une inadéquation frappante entre les besoins actuels et les logements que l’on construit aujourd’hui, qui engendre une pénurie de studios et d’appartements à deux ou trois chambres. Contraints par de nombreuses restrictions et peinant à contrôler leurs coûts, les promoteurs choisissent souvent de construire des appartements de luxe à la superficie élevée, qui produiront une marge plus élevée que de plus petits logements. Pour remédier à cette inadéquation, les villes devront négocier avec les investisseurs et choisir les offres les plus cohérentes avec leur vision et leur stratégie.

LFDLC : La construction de logement est parfois considérée comme la seule solution viable à la pénurie de logement abordable. Quelles sont d’autres façons de produire du logement abordable ?

MV : Nous avons besoin de plus de logements et ce dans tous les segments. Je suis convaincu qu’accroître le nombre de logements tirera les prix vers le bas. L’IW a réalisé une étude sur le logement urbain qui a montré que de nombreux ménages allemands habitent des logements à la superficie très élevée ; de nombreuses personnes âgées occupent ainsi des logements à 5 ou 6 pièces. Il pourrait être très bénéfique de fractionner ces logements ou d’encourager ces ménages à se reporter vers des logements plus petits. Dans les années 1960 et 1970, l’Allemagne a déployé un important programme de subventions visant à développer la construction d’« Einlieger Wohnungen », logements contenant un appartement séparé. Je pense que nous gagnerions à réactiver ce programme : pour quelqu’un qui possède un grand logement mais ne souhaite pas s’en séparer, il pourrait être intéressant de fractionner son logement et d’en louer une partie. Une autre alternative à la construction est la densification à travers l’ajout de nouveaux étages à des bâtiments existants ; une étude menée à Berlin a montré qu’investir dans l’ajout d’étages à des bâtiments édifiés dans les années 1920 et 1930 pourrait permettre de produire 50 000 logements supplémentaires.

La réversibilité est aussi une réelle opportunité. Il existe aujourd’hui une demande élevée d’espaces de bureaux mais les projections démographiques montrent que cette demande devrait décroître dans les années 2020 et 2030. La demande de logements, elle, demeurera élevée et l’idée d’investir aujourd’hui pour faciliter un changement de structure de locative dans le futur me paraît particulièrement intéressante.

Enfin, la mutualisation est un sujet pertinent, en particulier à Munich où l’on observe une diminution de la consommation de logement par tête, malgré une tendance inverse à l’échelle nationale. C’est une réaction normale aux prix élevés, qui empêchent aujourd’hui les habitants de louer des appartements plus grands. De nombreux investisseurs allemands tentent de développer le concept des micro-appartements mais je doute que cela fonctionne, car la plupart de ces micro-appartements sont extrêmement chers. Un appartement de 20 m2 pourrait coûter 600 à 700 euros de loyer par mois ; quand le marché se détendra, de nombreux ménages quitteront ces logements très coûteux. Mais l’idée est excellente : de petits appartements abordables aideraient effectivement les ménages à s’installer en ville.

LFDLC : Quelle est, selon vous, la piste la plus prometteuse de résorption de la pénurie de logement abordable dans les villes allemandes ?  

MV : Je pense que nous avons besoin d’investir davantage dans les transports publics. Un trajet facilité vers le centre de la ville signifie que les ménages peuvent s’installer en-dehors du centre urbain. Ceci allègerait de façon significative la tension qui pèse aujourd’hui sur des villes comme Munich, Hambourg ou Berlin. Une autre solution, pour Berlin, serait de tirer profit de la rapide décroissance démographique de l’État voisin du Brandebourg. Les problèmes que rencontrent aujourd’hui ces deux États, à savoir respectivement la hausse des prix immobiliers et la hausse des vacances de logements, pourraient se résoudre mutuellement à travers un investissement accru dans le transport public et les infrastructures.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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