Note

Natures urbaines : Histoire et actualité d’une question politique et technique

Un enjeu majeur de la ville contemporaine

Corridors de biodiversité, forêts urbaines, désartificialisation des sols, agriculture urbaine : il ne se passe pas de semaine sans que ces sujets ne soient abordés par la presse et ne fassent l’objet de débats animés. L’urbanisme contemporain accorde une place beaucoup plus grande à la nature que la planification traditionnelle. Cette importance renvoie à deux dimensions que cette note se propose d’explorer.

La première tient à la multiplicité des questions techniques que soulève la présence des éléments naturels en ville. La seconde réside dans le caractère profondément politique que revêt cette présence. Faire vivre et prospérer des espèces végétales et animales en milieu urbain a toujours représenté un défi technique. Il faut par exemple préparer les sols et gérer les ressources en eau. Cette dimension a pris un tour plus urgent avec le changement climatique et la nécessité de trouver des solutions permettant d’éviter que ses effets rendent invivables de nombreux territoires urbanisés. Le renforcement de la présence d’éléments naturels apparaît, sinon comme la panacée, du moins comme une composante essentielle de l’adaptation des villes au réchauffement des températures et aux évènements météorologiques extrêmes dont il s’accompagne. Cette évolution vient renforcer les aspects techniques de la présence de la nature en milieu urbain.

 

Le caractère politique de la nature en ville se révèle un peu plus complexe à démêler. Il s’exprime au travers d’aspirations, de projets et d’expérimentations que viennent cristalliser des pratiques investies d’un caractère fortement symbolique comme l’agriculture urbaine et les jardins partagés. En se proposant de contribuer à la restauration de relations sociales compromises par les divisions sociales et les divergences idéologiques, ces dernières suggèrent que le vivre ensemble dans la grande ville contemporaine est inséparable de la place à donner aux éléments naturels. Un nouveau contrat social incluant à la fois les humains et les non-humains se recherche de la sorte.

 

Le vivre ensemble dans la grande ville contemporaine est inséparable de la place à donner aux éléments naturels.

De l’histoire à l’actualité

En même temps qu’elle a pris un relief nouveau, la relation entre ville et nature possède une longue histoire. Cela n’empêche pas cette relation d’être souvent abordée sans tenir compte de cette histoire. L’avènement de l’Anthropocène, cette ère qui a vu l’influence de l’homme sur la planète devenir commensurable avec les phénomènes géologiques, s’accompagne d’une tendance à l’amnésie historique qualifiée de « présentisme » par l’historien François Hartog 1 . Notre propos entend prendre le contrepied de cette tendance. L’histoire permet en effet d’éclairer les deux dimensions constitutives de la relation entre ville et nature que constituent son caractère technique et sa dimension politique. Ces deux dimensions se sont certes accentuées au cours des dernières décennies, mais elles imprègnent depuis longtemps les réflexions et les pratiques relatives à l’introduction et au maintien d’éléments naturels en ville.

 

Sans prétendre à l’exhaustivité et en se limitant à la ville occidentale, un choix partiellement justifié par l’importance que revêt cette dernière dans l’émergence de modèles d’urbanisation destinés à connaître une diffusion planétaire, on commencera par évoquer certains moments clefs des rapports entre l’urbain et les éléments naturels, à commencer par le XVIIIe siècle qui les rapporte pour la première fois à la question du lien social 2 . C’est à l’époque des Lumières, on le verra, qu’émerge dans des termes annonçant partiellement ceux d’aujourd’hui le caractère politique de la nature en ville.

 

Une autre leçon de l’histoire, notamment lorsqu’on se penche sur des épisodes comme les plantations de Paris sous le Second Empire ou encore la réalisation de Central Park, à New York à partir de 1857, tient à l’association étroite entre la question de la nature dans la ville et la dimension technologique qui constitue l’autre fil conducteur de nos réflexions. L’établissement et l’entretien des plantations d’alignement, des jardins et des arcs ne soulèvent pas seulement de nombreux défis techniques. Ils sont souvent associés, comme à Central Park à des infrastructures majeures de la ville. Dans le cas du Paris d’Haussmann, ils font eux-mêmes figure d’infrastructures à part entière. Cette assimilation entre nature et infrastructure annonce, on le verra, l’un des traits clefs de la situation qui prévaut à l’heure où sols désartificialisés, forêts urbaines et zones humides semblent seuls en mesure de constituer un rempart efficace contre certains des effets majeurs du réchauffement climatique.

 

Une rapide évocation des relations entre la modernité urbaine et la question de la nature dans les villes révèle quant à elle à quel point nous sommes encore, par bien des aspects, des héritiers de ce moment controversé de l’évolution de l’urbanisme et de l’architecture, et cela malgré l’insistance de Bruno Latour à pro-clamer que « nous n’avons jamais été modernes » 3 . On retrouve d’ailleurs aujourd’hui des échos de la conception moderne de la cité-jardin dans des démarches comme celle de Singapour, qui se veut une « ville dans la nature » 4 .

 

Ce qui paraît se dessiner par-delà la diversité des attitudes, des projets et des réalisations contemporaines, c’est une nouvelle conception de l’urbain.

 

Ce regard historique permet de mieux saisir ce qui, dans les débats actuels sur la présence de la nature en ville, renvoie à des valeurs et à des pratiques sédimentées de longue date par opposition à des éléments indéniablement neufs, comme ceux qui se rapportent au changement climatique. Notons d’emblée que la nouveauté ne provient pas seulement de l’urgence environnementale. Elle réside dans une conception inédite du contrat social qui tente de se faire jour ainsi que dans toute une série de dispositifs sans véritable équivalent dans le passé, qui conduisent à reposer la question des rapports entre nature urbaine et technologie. Ce qui paraît se dessiner par-delà la diversité des attitudes, des projets et des réalisations contemporaines, c’est une nouvelle conception de l’urbain. Succédant à l’engouement provoqué par la ville intelligente dans les années 2010, la ville verte pourrait bien contribuer de manière peut-être encore plus décisive à l’avènement d’un nouvel idéal urbain. Il est d’ailleurs probable que les technologies numériques et la nature dans son acception urbaine soient appelées à converger dans un avenir proche, même si cette convergence demeure, dans une large mesure, à organiser. Le numérique peut, par exemple, contribuer à une meilleure prise en compte des espèces végétales et des populations animales présentes dans les villes. Il peut permettre de gérer plus efficacement les ressources en eau et de préserver des écologies urbaines fragiles.

 

Au terme de ce parcours qui nous aura menés de l’histoire à l’actualité, il restera à aborder de front l’un des paradoxes de notre relation contemporaine aux éléments naturels, qui veut que l’on parle constamment de la nature alors que des philosophes, des anthropologues et des sociologues influents critiquent l’usage d’une notion devenue, selon eux, inadaptée à la nécessité de repenser profondément les liens entre humains et non-humains. Que faut-il penser de cette apparente contradiction ? Tout dépend de ce que l’on entend par nature. À la nature à la fois immuable et passive d’une certaine tradition occidentale, nature dont les traits dominants ont été durablement façonnés par les sciences et les techniques, peut-être convient-il de préférer un ensemble plus ouvert d’approches du non-humain, ensemble dont le contenu a fortement varié d’une époque et d’une société à une autre, des natures plutôt qu’une nature, d’où le pluriel utilisé dans le titre de cette note.

 

1.François Hartog, Régimes d’historicité, présentisme et expérience du temps, Paris, Le Seuil, 2003

2.Cette limitation s’atténue au fur et à mesure de l’entrée de nombreuses villes du monde dans la modernité au sens
occidental du terme. Les plantations, parcs et jardins de type européen ou nord-américain se diffusent par exemple
bien au-delà de leur aire d’origine à partir des dernières décennies du XIXe siècle

3.Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1997.

4.Peter Rowe, Limin Hee, A City in blue and green. The Singapore story, Singapore, Springer Nature Singapore, 2019.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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