Comme toute ville historiquement industrielle, Saint-Dizier a connu jusque dans les années 1970 une prospérité matérielle. Et pour cause : tout un pan de l’esthétique propre à l’espace public parisien a été forgé à Saint-Dizier. Des candélabres illuminant les Champs-Élysées (1834) aux statues de Pégase dressées fièrement sur le pont Alexandre III (1900), en passant par les fontaines Wallace (1872) et les mythiques entrées de métro Guimard (1900 – 1913), c’est dans la cité bragarde qu’ont été fondus bon nombre des motifs qui ornent encore aujourd’hui Paris. Le lien historique entre Saint-Dizier et Paris est renoué dans le cadre de la construction du métro du Grand Paris express, puisque les fonderies de la sous-préfecture de Haute-Marne sont mobilisées pour les futures entrées de ce nouveau réseau de transport en commun.
Saint-Dizier : Vers une nouvelle forme de prospérité ?
Saint-Dizier est une ville moyenne qui ne veut pas s’éteindre et qui incarne plus que jamais la résistance à la tentation du repli. Malgré une forte décroissance démographique et économique caractéristique d’une « shrinking city », Saint-Dizier travaille avec lucidité à son rebond en faveur d’un nouveau modèle de développement.
Au cœur de la Haute-Marne, Saint-Dizier est une ville moyenne qui ne veut pas s’éteindre et qui incarne plus que jamais la résistance à la tentation du repli. Malgré une forte décroissance démographique et économique caractéristique d’une « shrinking city » 1 , Saint-Dizier travaille avec lucidité à son rebond en faveur d’un nouveau modèle de développement. Élu pour la première fois en juin 2020, le maire Quentin Brière est signataire de la Charte pour une « Ville bas carbone pour tous » 2 formalisée de la première édition de l’Université de la Ville de Demain portée par la Fondation Palladio avec l’appui de La Fabrique de la Cité. Les 28 et 29 septembre 2022, c’est à Saint-Dizier que La Fabrique de la Cité a choisi d’organiser ses troisièmes « Rencontres des villes moyennes » 3 .
De retour de ces rencontres où furent débattues les questions de zéro artificialisation nette des sols, de changement de modèle, et de retour à la planification, une question se pose : dans quelle mesure une ville moyenne comme Saint-Dizier peut-elle renouer avec une nouvelle forme de prospérité ? Doit-elle chercher la croissance « à tout prix » ? L’hypothèse étudiée ici est la suivante : en s’appuyant sur son passé de laboratoire urbain — avec la création d’une des premières villes nouvelles sur son territoire portée par le préfet Edgard Pisani —, la sous-préfecture de Haute-Marne peut devenir un territoire pionnier d’une « prospérité sans croissance » tel que définie par l’économiste anglais Tim Jackson (2009).
“This materialistic vision of prosperity has to be dismantled. The idea of an economy whose task is to provide capabilities for flourishing with ecological limits offers the most credible vision to put in its place.”
I. L’histoire d’une prospérité fragile
Ce que Paris doit à Saint-Dizier
Toutefois, l’histoire de Saint-Dizier ne se limite pas à son passé métallurgique. Au XIIe siècle, la ville est armée de remparts pour défendre les portes du royaume de France et d’un château fortifié : Saint-Dizier devient une puissante place forte royale jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Le 8 juillet 1544, Charles Quint, dans ses campagnes l’opposant à François Ier, parvient, accompagné d’une imposante armée de 42 000 hommes, sous les murs de Saint-Dizier. Les 2 000 habitants font preuve d’une résistance remarquable et refusent catégoriquement de coopérer : la détermination de la population sera toutefois vaincue et le siège se soldera par une honorable capitulation. La légende raconte que François Ier, dans son éloge à la résistance de Saint-Dizier, a qualifié ses habitants de « Bragards », nom que portent toujours les habitants aujourd’hui. Ce terme, dont la véritable signification est encore largement débattue, pourrait souligner la fierté et la bravoure des habitants de la cité. L’héroïsme des Bragards sera récompensé par des armes « d’azur au château sommé de trois tours d’argent maçonnées de sable » portées par la ville et accompagnées de la devise « Regnum Sustinent » signifiant : « ils sont le soutien du Royaume ».
Le patrimoine médiéval en partie détruit par l’incendie de 1775
À la fin du XVIIIe siècle, alors que la cité parvient à s’inscrire dans les routes commerciales en émergence et bénéficie d’une fréquentation en constante augmentation, un incendie dévastateur ravage les deux tiers de la ville en août 1775 : quatre-vingt-cinq maisons, des écoles, l’hôtel de ville, la prison, la halle et l’ancienne église Notre-Dame sont détruits. Saint-Dizier est alors reconstruite sur de nouvelles bases et une architecture homogène s’impose aux habitations. La place Émile-Mauguet (jadis place du Petit-Bourg), épargnée par les flammes, est un témoin de l’architecture locale de cette époque.
Cet incendie a détourné les habitants de la tourmente révolutionnaire. En effet, en 1789, les Bragards s’activaient à reconstruire leur ville selon les plans de Coluel, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de la province de Champagne. Ce dernier a souhaité la destruction d’une grande majorité des fortifications ébranlées par les flammes et a fait perdre à la ville beaucoup de sa précieuse architecture. La ville fut désormais caractérisée par des rues plus larges, le percement d’une voie centrale et des bâtiments uniformisés. La mise en vente des terrains des fossés et fortifications permit la création d’habitations entre la ville et les faubourgs principaux. La route de Paris à Strasbourg fut construite. La ville commença à s’étendre et à gagner en modernité, en salubrité et en facilité de déplacement.
Une trajectoire industrielle remise en cause par le choc pétrolier de 1973
Au début du XIXe siècle, la vie économique bragarde est dominée par la métallurgie. C’est également à cette époque que sont fixés les cours du fer pour l’ensemble du pays. La croissance exponentielle de la population est un bon indicateur de son dynamisme : en 1836, 6 366 habitants sont recensés, contre 14 601 en 1901. Saint-Dizier étant entourée de forêts procurant le combustible, d’eaux vives donnant la force motrice, de gisements de minerai de fer fournissant la matière première, toutes les conditions étaient réunies pour que la métallurgie devienne la clé du développement de la ville. À la fin du XXe siècle, pas moins de 4 000 Bragards travaillent pour le secteur industriel local, dont environ 3 000 dans le secteur de la métallurgie.
L’histoire industrielle de Saint-Dizier est également marquée par l’émergence du secteur des biens d’équipement à destination de l’agriculture. Au début des années 1950, le Plan de modernisation porté par l’État visait à rattraper l’important retard français dans la mécanisation de son agriculture en incitant la construction de tracteurs sur le territoire. C’est dans ce contexte que la Compagnie internationale des machines agricoles (CIMA), filiale du constructeur américain de matériel agricole McCormick, développa une usine à Saint-Dizier. Au fil des années, l’usine fut rachetée par plusieurs constructeurs de machines agricoles et pendant des décennies, cette usine fut le principal employeur de Saint-Dizier et l’un des plus importants de Champagne-Ardenne jusqu’en 2011, où le site se déclara en faillite. L’entreprise chinoise Yto racheta l’usine la même année, mais annonça sa fermeture en 2020.
Des réussites industrielles perdurent. Saint-Dizier fut notamment le berceau d’une success story mondiale. Sans nécessairement le savoir, tout un chacun a déjà tenu entre ses mains une « glace bragarde ». C’est en s’installant à Saint-Dizier que l’entrepreneur d’origine espagnole Luis Ortiz créa les crèmes glacées Ortiz en 1921, rebaptisées Miko en 1951. Dès les années 1930, la sorbetière à manivelle céda sa place à une machine à turbines électriques. Puis arrivèrent les triporteurs à moteur Juery, permettant de quadriller la région. Le succès se mondialisa avec l’arrivée des G.I. américains en France, qui permirent de faire connaître la marque aux États-Unis.
Après les deux Guerres mondiales, durant lesquelles la ville subit de nombreux bombardements, Saint-Dizier accueillit sur son territoire la base aérienne 113. Construite en 1951, cette base aérienne fut la première de France à accueillir des avions de combat Rafale. Elle compte aujourd’hui près de 50 avions de chasse et génère près de 2 000 emplois.
II. Quelle(s) possibilité(s) de rebond pour une shrinking city ?
Ce que signifie être une shrinking city
La population bragarde s’élève en 1945 à près de 20 000 habitants et connaît une expansion continue pour atteindre près de 40 000 habitants en 1975. Aujourd’hui, Saint-Dizier compte 26 300 habitants, soit une baisse de plus de 35 % depuis le premier choc pétrolier. De ce fait, Saint-Dizier est une petite ville moyenne, le seuil inférieur étant défini à de 20 000 habitants. Elle se hisse au rang de cinquième ville de la région Grand Est et première du département de la Haute-Marne.
Son déclin démographique et économique est caractéristique de ce que les chercheurs en études urbaines décrivent sous le vocable de « shrinking city ». En perdant plus d’un tiers de sa population depuis le premier choc pétrolier, Saint-Dizier a connu une déprise démographique, toutes proportions gardées, aussi importante que certaines villes américaines comme Détroit, Cleveland, Pittsburgh et Buffalo.
Toutefois, le terme englobant de « shrinking city » rassemble des réalités différentes (Fol & Cunningham-Sabot, 2010) selon que la définition renvoie à un déclin démographique, économique, social ou multifactoriel. Dans le cas de Saint-Dizier, le déclin est bien multifactoriel, à la fois démographique et industriel.
Des travaux ont cherché à identifier des sous-catégories de « shrinking cities ». Manuel Wolff, Sylvie Fol, Hélène Roth et Emmanuèle Cunningham-Sabot (2013) ont par exemple proposé l’idée de villes en « décroissance discontinue » pour qualifier la situation des agglomérations de Saint-Dizier et de Vitry-le-François aux côtés de vingt-trois agglomérations, dont Épernay, Saumur, Flers, Chaumont, ou encore Langres. Le nom de cette catégorie décrit des territoires marqués par une tendance de long terme de décroissance interrompue par de courtes périodes de stagnation ou de faible croissance démographique depuis le premier choc pétrolier. Les mêmes chercheurs considèrent que Saint-Dizier peut également entrer dans la catégorie de « ville en mal d’activités », aux côtés de Tulle ou Sedan, en raison d’une forte diminution du taux d’activité et d’un taux de chômage en constante augmentation.
Fol & Cunningham-Sabot (2010) nous invitent également à ne plus concevoir le déclin comme une « parenthèse, la plus courte possible, dans une évolution où la reprise serait nécessairement au rendez-vous », mais « comme une composante structurelle et durable du développement urbain ». Et pour cause, le phénomène, loin d’être nouveau, se généralise et s’installe dans la durée : plus du quart des villes de plus de 100 000 habitants dans le monde sont en déclin depuis les années 1990. Il est très possible de sortir de l’incantation du rebond en abandonnant une conception « phasiste » du développement à la Rostow (1959). À présent, toute une nouvelle grammaire fleurit pour proposer des chemins de traverse : Pierre Veltz (2022) propose l’idée de « bifurcation », Sylvain Grizot (2020) appelle de ses vœux à un « urbanisme circulaire », Philippe Bihouix, Sophie Jeantet et Clémence de Selva (2022) décrivent l’horizon possible des « villes stationnaires », en référence aux travaux sur l’état stationnaire de l’économie de John Stuart Mill (1848).
Tout en restant lucide sur la réalité de la situation de Saint-Dizier, quelles sont les possibilités de rebond de cette agglomération ? À l’occasion de l’Université de la Ville de Demain 2021, le maire de Saint-Dizier, Quentin Brière, appelait de ses vœux à poser la question du « changement de modèle » pour son territoire. Selon nous, la question est de savoir sil faut envisager de se détourner d’un objectif de politique publique priorisant la croissance (démographique notamment), au profit d’un développement fondé sur un nouveau paradigme de prospérité. Autrement dit, l’hypothèse que nous souhaitons étudier est la suivante : en s’appuyant sur son passé de laboratoire urbain, la sous-préfecture de Haute-Marne peut incarner un territoire pionnier d’une « prospérité sans croissance ».
C’est à l’économiste anglais Tim Jackson que nous devons les premières esquisses de l’idée de « prosperity without growth » (Jackson, 2009), décrite dans son rapport remis dans le cadre de la Sustainable development commission créée par le premier ministre Tony Blair. Ce rapport a fait date et a inspiré de nombreux ouvrages, comme celui de Pierre Veltz (2022). Réfléchir à une nouvelle forme de prospérité sans croissance ne revient pas pour autant à défendre la « décroissance », ce mot-obus que Paul Ariès a forgé, non pour proposer une croissance négative, mais pour réinterroger l’idée même de croissance.
Tim Jackson est le premier à avoir tenté de poser les fondements d’une nouvelle macroéconomie compatible avec les limites planétaires. Ces idées peuvent nourrir des expérimentations en cours et surtout méritent d’être territorialisées. Cela représente un double défi, d’une part, d’un point de vue pratique pour l’action publique locale, et, d’autre part, d’un point de vue théorique pour les réflexions sur le développement local (Lipietz & Benko, 1992), qui tous deux sont encore trop focalisés sur le paradigme de la croissance.
La ville moyenne, la bonne échelle pour devenir laboratoire de transition ?
À l’heure où la planification écologique est devenue l’un des principaux mots d’ordre des politiques publiques, les villes moyennes font l’objet d’un regain d’intérêt : elles pourraient devenir les nouveaux laboratoires de la transition. Bien que très discuté sur le fond, l’ouvrage de Guillaume Faburel intitulé Les métropoles barbares (2018) a ouvert la voie à une réflexion critique sur le phénomène de métropolisation. À la suite de cette publication, les villes moyennes et territoires ruraux ont fait l’objet d’une attention particulière pour mener à bien l’indispensable transition écologique.
En l’occurrence, Saint-Dizier fait partie de ces quelques villes moyennes devenues de petits laboratoires urbains à ciel ouvert pour répondre au boom démographique de l’après-guerre. Edgard Pisani, alors préfet de la Haute-Marne, lance la construction de la deuxième ville nouvelle en France avec la création de Saint-Dizier Le Neuf, aussi appelé quartier du Vert-Bois. Construit entre 1950 et 1970 selon une vision fonctionnaliste de la ville, ce nouveau quartier devait initialement accueillir 10 000 nouveaux habitants. Au plus haut de son pic démographique, 15 000 personnes ont vécu dans ce quartier.
Dans le contexte de l’après-guerre, les premiers immeubles de ce nouveau morceau de ville présentaient des signes de modernité indéniables, en comparaison avec le vieux centre-ville où seul un logement sur deux était équipé de l’eau courante. Cette expérience de laboratoire urbain qu’a connu par le passé Saint-Dizier est sans doute un atout pour aider cette ville à retrouver une nouvelle forme de prospérité.
III. Les premières traductions opérationnelles d’un changement de modèle
Réinventer l’espace public pour un cœur de ville dynamique
Pour faire face à la perte d’attractivité du territoire, Saint-Dizier a engagé à l’initiative de Quentin Brière une stratégie de transformation urbaine visant à revitaliser la ville. Ce chantier intitulé « Révéler Saint-Dizier » se donne notamment pour objectif de réinventer des sites abandonnés, d’attirer des entrepreneurs et de mobiliser l’ensemble des acteurs du territoire.
Le programme de la municipalité a choisi de restaurer seize sites en transformant leurs usages. Les réserves foncières constituées de quatorze friches acquises par la ville de Saint-Dizier ont permis d’établir une stratégie de développement axée sur la rénovation. Parmi les sites sélectionnés, on peut citer l’ancien bâtiment France Télécom ou encore le château du XIIe siècle et son parc, inscrits aux monuments historiques. Tous ces sites ont une valeur significative pour le territoire. Dans cette perspective, la ville souhaite redonner vie à ces lieux grâce à un appel à des projets urbains permettant de développer l’attractivité économique, culturelle et sociale de Saint-Dizier. La réhabilitation s’accompagne d’objectifs de recyclage des matériaux structurels existants et d’économie des ressources tout en contribuant à limiter l’artificialisation des sols. Patrimoine riche, espaces naturels abondants, bâtiments historiques non exploités, le projet « Révéler Saint-Dizier » mise sur cet avantage du « déjà-là ». Certains sites ont déjà été transformés comme l’ancienne usine Miko, devenue cinéma multiplexe.
La ville a sollicité de nombreux acteurs afin qu’ils accompagnent la transformation de Saint-Dizier. Par exemple, la Réunion des Musées Nationaux et le Grand Palais viennent d’installer le premier projet MUSE-Grand Palais Immersif, dans la salle Aragon. Paris 2024 et l’Agence Nationale de Cohésion des Territoires (ANCT) ont choisi Saint-Dizier pour devenir ville pilote du design actif, après avoir pris connaissance du projet « Révéler Saint-Dizier ». Afin de désenclaver le territoire, les abords de la gare SNCF ont fait l’objet de réaménagements depuis l’automne 2021, dans le but de créer un véritable pôle d’échange multimodal. Par ailleurs, la SNCF s’est engagée dans l’élaboration d’un plan stratégique territorial pour participer à la transformation des mobilités. Enfin, des acteurs immobiliers, des architectes, des urbanistes, des acteurs de la transition urbaine, des opérateurs et des experts de la transition environnementale ont également exprimé leur souhait de s’inscrire dans ce projet.
La démarche de « Révéler Saint-Dizier » a mis l’accent sur la mobilisation et l’engagement de ses habitants. Les Bragards ont répondu à cette démarche de co-construction (150 participants au focus group et 225 personnes rassemblées à l’occasion de la journée de concertation) : cette dynamique a révélé l’importance qu’ils accordent à leur territoire. Le programme a fait des habitants des acteurs essentiels de cette construction collaborative de la ville, pour une économie locale plus forte et inclusive. Les processus participatifs ont contribué à créer un climat de confiance entre les habitants, et à donner aux Bragards une image plus complète de leur lieu de vie.
Vers un droit à la ville en milieu rural ?
Le maire de Saint-Dizier aspire à doter ce « centre d’un territoire rural » de nouvelles fonctions urbaines. Cela signifie enrichir l’espace urbain d’une offre culturelle, sociale et pratique faisant jeu égal avec celle de plus grandes villes : assurer un commerce essentiel dans le cœur de ville, développer une offre de logement attractive, créer des infrastructures pouvant accueillir des événements sociaux, culturels et sportifs, de nouvelles entreprises. Face à l’enclavement du territoire et en l’absence d’établissements d’enseignement supérieur sur le territoire, de nombreux jeunes quittent en effet la ville pour se former ailleurs. Sachant que le manque de main-d’œuvre qualifiée est la première difficulté rencontrée par le secteur industriel en France 4 , le développement d’offres de formation en adéquation avec l’évolution des compétences demandées par le secteur industriel peut constituer un levier important pour créer une nouvelle attractivité du territoire et structurer de nouvelles filières d’emplois.
Le baromètre des villes moyennes de La Fabrique de la Cité 5 confirme l’importance qu’accordent les Français habitant dans des villes moyennes à l’offre de loisirs ainsi qu’au dynamisme économique de leur lieu d’habitation. Les résultats du sondage révèlent également que les habitants des villes moyennes sont peu satisfaits par la présence d’écoles, collèges et lycées sur leur territoire et que l’offre d’infrastructures scolaires ne donne satisfaction qu’au sein des grandes villes. Les villes moyennes ont donc une carte à jouer dans le développement de l’offre culturelle, sociale et pratique ainsi que l’offre de formation.
Maîtrise foncière et zéro artificialisation nette des sols
Recréer de l’attractivité à Saint-Dizier passe nécessairement par une politique de maîtrise foncière. Celle-ci est déjà engagée depuis deux décennies à travers une politique constante d’acquisition d’importantes parcelles en centre-ville, offrant à l’actuel Maire d’importantes marges de manœuvre pour construire un nouveau projet urbain. Cette politique foncière a été menée dans une approche contracyclique permettant à la ville de mener ses acquisitions à moindres frais à mesure que la tension foncière s’amoindrissait. Cette ambitieuse politique foncière pour une ville moyenne comme Saint-Dizier n’est peut-être pas totalement étrangère à l’influence du préfet Edgard Pisani dans cette ville, qui signa en 1977 son ouvrage majeur, Utopie foncière.
À présent, le maire de Saint-Dizier est résolu à inscrire son projet urbain dans le cadre de l’objectif de zéro artificialisation nette des sols, défini par la loi Climat et résilience. Les débats des troisièmes Rencontres des villes moyennes à ce sujet ont mis en lumière les importantes marges de manœuvre existant sur ce territoire pour continuer un développement urbain, tout en faisant un usage sobre du foncier.
Le développement qualitatif du territoire passe également par une opération d’amélioration de l’habitat en cœur de ville à travers le projet d’Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat-Renouvellement Urbain (OPAH-RU). Ce programme d’accompagnement financier, de conseils et d’études urbaines pour rénover et investir s’étendra jusqu’en 2026 et sera financé à hauteur de 7, 7 millions d’euros. Afin de lutter contre la forte vacance de logements et la dégradation du bâti, le programme développera une offre d’habitat abordable pour les familles, traitera la question de l’habitat dégradé et du mal-logement, valorisera le patrimoine urbanistique et adaptera la ville aux nouvelles attentes. L’objectif de ce programme d’aides financières est de réhabiliter 1 235 logements sur cette période de cinq ans.
Recentrer la ville sur la qualité de vie, par le renforcement des infrastructures sanitaires et sportives
D’après le sondage commandé par La Fabrique de la Cité à Kantar Public, 91 % des Français estiment en 2022 que l’accès à la santé et aux soins de proximité est un critère important dans le choix de l’endroit où ils vivent. Sans surprise dans le contexte postpandémique, le chiffre est en hausse de 16 points par rapport à 2020. L’offre de santé est encore aujourd’hui une dimension jugée satisfaisante seulement au sein des grandes villes. Pour lutter contre la désertification médicale, la ville de Saint-Dizier a participé au financement d’une nouvelle maison de santé ouverte en septembre 2022.
La ville de Saint-Dizier prévoit également un volet dédié à l’esthétique, à la culture et au sport en ville. Elle souhaite développer des projets culturels accessibles à tous dans la ville et mettre en place des parcours ludiques ou sportifs et du mobilier urbain innovant. Saint-Dizier fait partie des six villes à avoir été désignées « territoires-pilotes du design actif » dans la perspective des JO 2024. Un parcours de design actif végétalisé reliant la ville du nord au sud ainsi que la création d’un spot d’activité sur le parvis de MUSE sont prévus à Saint-Dizier afin d’inciter l’activité physique pour tous. Dans le cadre de ce projet, Saint-Dizier voudra mettre en avant le savoir-faire des entreprises locales de mobilier urbain.
Valoriser le « consommer local » en renforçant l’artisanat
Le programme « Révéler Saint-Dizier » a également eu pour objectif de mettre en valeur les artisans et les formations des métiers artisanaux. La ville espère ainsi créer les conditions pour faire du cœur de ville un cadre dans lequel les commerces locaux et artisanaux se développent et entraînent l’attractivité touristique et l’économie locale. Cette stratégie devrait participer à la revitalisation du centre-ville et améliorer le cadre de vie. Cette dynamique, cohérente avec les aspirations contemporaines des Français à développer les commerces de centre-ville, fait toutefois face aux réalités observées dans la fréquentation des zones commerciales, toujours majoritaires aujourd’hui. Au-delà du projet de redynamiser Saint-Dizier et de revitaliser son cœur de ville, ce programme veut servir de modèle à d’autres villes moyennes fragilisées.
La stratégie de revitalisation engagée par Saint-Dizier a été de « révéler » le territoire. Ce choix a impliqué la mise en lumière d’un potentiel déjà présent et la valorisation des caractéristiques de la cité bragarde. Par cette démarche, Saint-Dizier a affirmé sa volonté de valoriser son caractère de ville moyenne, tout en intégrant certaines fonctions urbaines afin d’assurer une meilleure qualité de vie. L’objectif est donc d’exploiter le potentiel de Saint-Dizier en mettant en avant les forces vives et les facteurs contextuels distinctifs de ce territoire, tout en développant un espace public attractif, pratique, esthétique répondant à des attentes sociales, culturelles et environnementales.
IV. Les défis qui restent à accomplir
Surmonter l’enclavement à l’heure de l’impératif de décarbonation des mobilités
Sise loin des grandes villes, à 1 h 30 de Reims, Nancy ou Troyes, non desservie par le train à grande vitesse et l’autoroute, avec une desserte par le train de plus en plus irrégulière, Saint-Dizier est très enclavée et souffre de la concurrence des villes précitées de plus grande taille. Cet enclavement est bien sûr problématique dans une société marquée par l’hypermobilité (Crozet, 2016). À l’heure de l’impératif de décarbonation des mobilités, de nouveaux conflits sociaux se font jour à l’image du mouvement des « Gilets jaunes » qui était particulièrement présent sur les ronds-points de Saint-Dizier.
Quentin Brière déploie un véritable volontarisme pour désenclaver Saint-Dizier par le rail. Il n’hésite pas à interpeller directement le PDG de la SNCF, Jean-Pierre Farandou : « Je lui ai lancé le défi de nous désenclaver en quelque sorte. Ils sont en train de voir pour faire passer le temps de voyage de 2 h 20 à 2 h 8 jusqu’à Paris » 6 . D’autres solutions peuvent également avoir une pertinence pour la sous-préfecture de Haute-Marne. De récents travaux proposent par exemple de transformer la route 7 et la rue 8 en biens communs, avec en perspective un partage des usages de la route pour décarboner les mobilités. André Broto (2022) propose de créer des pôles intermodaux à proximité des voies rapides et des voies réservées aux transports en commun (dont covoiturage) quand les risques de congestion sont avérés. Jean-Pierre Orfeuil (2022) a de son côté, proposé le déploiement d’un réseau d’autocars express pour relever le défi des déplacements longs de la vie quotidienne.
Jouer collectif avec les villes moyennes voisines
Les études sur les évolutions de l’armature urbaine causées par l’émergence de la globalisation à partir des années 1980 ont mis en évidence la figure de l’archipel pour évoquer la structuration des métropoles à l’échelle mondiale (Veltz, 1996). Dans une moindre mesure, les échanges entre les maires des villes moyennes présents aux Rencontres de La Fabrique de la Cité ont mis en évidence l’importance de tisser une forme d’archipel de second rang entre ces agglomérations de taille plus modeste. Près de Saint-Dizier, les élus sont conscients de la nécessité de jouer collectif, entre villes proches, comme Vitry-le-François et Bar-le-Duc.
Dans ces villes émergent des entreprises prometteuses incarnant un nouveau régime de prospérité. Un exemple ? L’entreprise Haffner Energy ! Située à Vitry-le-François, elle est spécialisée depuis trente ans dans la production d’énergie à partir de biomasse. Depuis 2019, l’entreprise a effectué un important virage pour produire à partir de la biomasse de l’hydrogène « carbone négatif » à destination de l’industrie et des mobilités à travers un procédé baptisé « Hynoca » (cf. encadré). Cette technologie, protégée par 13 familles de brevets à l’international, permet à Haffner Energy de devenir une référence de la production d’hydrogène décarboné. L’entreprise a lancé son introduction en bourse début 2022 et a intégré le marché Euronext Growth. Cette levée de fonds permet à Haffner Energy de connaître un essor remarquable qui lui vaut d’être une entreprise qui recrute massivement : avec un objectif d’accueillir plus de 200 personnes dans son équipe pour 2023, cette entreprise locale permettra de générer de l’emploi et renforcer le dynamisme économique de la région.
Encadré — Le procédé Hynoca
Le procédé Hynoca développé par Haffner Energy commence par la décomposition de la biomasse en gaz par thermolyse, en la chauffant à plus de 500 °C. De cette étape de thermolyse, résultent deux coproduits :
- d’une part, un mélange de gaz traité par Haffner Energy par craquage à environ 1 200 °C afin d’obtenir un syngas appelé Hypergaz, très riche en hydrogène et quasiment dépourvu d’éléments inorganiques. L’hydrogène est alors purifié avant d’être comprimé et stocké.
- D’autre part, le biochar, une espèce de charbon de bois qui peut être utilisé soit comme combustible, soit, préférentiellement, en agriculture, pour augmenter la productivité des sols.
Avec ce procédé, à chaque kilogramme d’hydrogène produit est associée la production de 5 kilogrammes de biochar (constitué à 85 % de carbone fixe C), correspondant à la séquestration de 15 kilogrammes de CO². C’est la raison pour laquelle le procédé est « carbone négatif »
Comment mesurer la nouvelle prospérité d’un territoire ?
En mettant en lumière un certain nombre d’initiatives en cours à Saint-Dizier, nous avons cherché à esquisser quelques enjeux d’une approche territoriale cohérente s’inscrivant dans une démarche de développement endogène, fondée sur un nouveau paradigme de « prospérité sans croissance » à l’échelle d’une ville moyenne. Se pose toutefois la question de la mesure de cette nouvelle prospérité à l’échelle territoriale : en effet, sortir du paradigme de la croissance, c’est d’abord poser la question de la définition de la richesse (Méda, 1999), mais aussi de sa mesure. Depuis deux décennies, des réflexions sont en cours pour mettre sur pied à l’échelle nationale de nouveaux indicateurs de richesse, alternatifs au produit intérieur brut (PIB). Les travaux de la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi (2008) ont permis de synthétiser les principales avancées dans ces domaines.
Ces nouveaux indicateurs de richesse ont encore peu fait l’objet d’appropriation par les politiques publiques nationales, malgré les dispositions prises par la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques. À la suite de cette loi, 10 nouveaux indicateurs ont été créés : taux d’emplois, effort de recherche, endettement, espérance de vie en bonne santé, satisfaction dans la vie, inégalités de revenus, pauvreté en conditions de vie, sorties précoces du système scolaire, empreinte carbone et artificialisation des sols. À ce stade, rares sont les déclinaisons de ces indicateurs au niveau local. On peut toutefois noter, la création par le Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) en 2016, d’indicateurs visant à mesurer la richesse à l’échelle régionale 9 . Ce n’est que par le déploiement de ce type d’indicateurs à une échelle plus locale qu’il sera possible de mesurer effectivement cette nouvelle prospérité tant recherchée.
1. Le terme de « shrinking city » peut être traduit par « ville rétrécissante » ou « ville en déclin » et désigne les conséquences d’un phénomène de rétrécissement urbain, le shrinkage, qui touche les villes sur les plans démographique, économique et social.
2. La version tribune de la Charte a été publiée dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/07/19/ urbanisme-oui-la-ville-bas-carbone-pour-tous-est-possible_6088714_3232.html
3. Le programme des rencontres des villes moyennes : https://www.lafabriquedelacite.com/evenements/les-rencontres-des-villes-moyennes-troisieme-edition/
4. La proportion d’entreprises industrielles déclarant des difficultés de recrutement atteint 67 %, un niveau inobservé depuis 1991, selon l’enquête trimestrielle de conjoncture dans l’industrie de l’Insee de juillet 2022.
5. L’institut Kantar Public a réalisé en juin 2022 pour La Fabrique de la Cité une enquête quantitative en ligne élaborée sur la base d’un échantillon global de 1400 interviews représentatif de la population française. https://www.lafabriquedelacite.com/wp-content/uploads/2022/10/Etude-complete70CF24_Fabrique-de-la-cite-Les-Francais-et-les-villes-moyennes_0208.pdf
6. 20 minutes, Comment Saint-Dizier veut devenir un laboratoire de la ville moyenne, 28/09/22.
7. TDIE, Engagements climatiques et mobilités : à la recherche du bien commun, 16/01/2023.
8. Le groupement la Rue Commune, constitué de Leonard, de Franck Boutté Consultants, de Richez Associés et soutenu par l’ADEME a publié un « Guide méthodologique pour la transformation de la rue ordinaire » (2022).
9. Cf. https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2015/10/indicateurs_v11.pdf
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.