Édito

Pour en finir avec l’étalement urbain

Si la mobilité fut l’élément déclencheur du mouvement des gilets jaunes, le logement, lui, est demeuré singulièrement absent des revendications de ces derniers. Absent, le logement l’est également des questions structurantes versées au débat national par Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français du 13 janvier dernier. L’omniprésence de la mobilité dans le débat public, au détriment du sujet de l’habitat, peut sembler paradoxale lorsque l’on sait le poids de ce dernier, bien supérieur à celui de la mobilité, dans les budgets des ménages ; le géographe Aurélien Delpirou constate ainsi que « le poids des dépenses liées à l’automobile est stable depuis 1990, au contraire par exemple de celles liées au logement (en augmentation constante, tout particulièrement au centre des villes et pour les ménages les moins aisés) ». Le taux d’effort moyen, part des dépenses liées au logement dans le budget total des ménages, est en effet passé en France de 16,1% en 2001 à 18,3% en 2013 (INSEE).

Mais le paradoxe n’est qu’apparent. Les coûts de mobilité des ménages, perçus comme des dépenses contraintes, sont en réalité la conséquence directe d’arbitrages effectués par ces derniers en matière de logement ; les coûts de mobilité sont ainsi en réalité intrinsèquement liés à ceux du logement. En effet, les faits générateurs du mouvement des gilets jaunes (la baisse de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h puis la hausse de la taxe sur les carburants) ont conduit à pousser la problématique du coût de la mobilité automobile pour les ménages sur le devant de la scène, sans pour autant que l’on tente de comprendre les véritables déterminants de la dépendance à l’automobile. Le poids financier des mobilités du quotidien pour les habitants motorisés du périurbain n’est autre que la conséquence directe de l’étalement urbain, lui-même né d’une politique qui a longtemps promu l’accession à la propriété et, partant, le modèle du logement individuel avec jardin, vecteur de périurbanisation. Ainsi Aurélien Delpirou explique-t-il encore que cette dernière « a été fortement encouragée dans les années 1980 et 1990 — c’est-à-dire après la décentralisation de l’urbanisme — par des maires soucieux de développer par tous les moyens leur commune, quitte à éparpiller dans les périphéries, tout en les séparant les uns des autres, lotissements pavillonnaires, centres commerciaux et même grands services publics […] Cette dispersion urbaine, unique en Europe par son ampleur, a également été favorisée par l’État, à travers la multiplication des dispositifs d’accession à la propriété privée ».

Cet étalement urbain, qui marque l’histoire des métropoles françaises depuis plusieurs décennies, explique en partie l’appauvrissement de l’offre de logement abordable à destination des ménages à revenus faibles et moyens, objet d’un rapport publié en novembre 2018 par La Fabrique de la Cité. En effet, dès lors que l’on intègre le coût des choix de mobilité qu’implique la localisation lointaine d’un logement au calcul du poids financier réel de ce dernier pour les ménages, il ressort que l’offre de logement abordable est en réalité, dans grand nombre de nos métropoles, bien en-deçà de la demande. La métropolisation contribue dans le même temps à une polarisation accrue des emplois qui, au-delà des espoirs parfois naïfs d’une généralisation rapide du télétravail, demeurent en grande partie ancrés dans l’économie résidentielle et localisés dans le centre des métropoles ; cette polarisation des emplois achève de renforcer la tension du marché immobilier, d’accentuer les difficultés des mobilités quotidiennes dans les métropoles et de rendre ainsi l’étalement urbain insoutenable. Par le biais des contestations qu’auront suscitées des mesures portant sur ces mobilités quotidiennes, c’est, in fine, toute la complexe interconnexion du logement, de l’emploi, des politiques urbaines et des mobilités qui se révèle aujourd’hui. Autant dire que la solution ne se trouve ni du côté de mesures ponctuelles, ni de celui des approches en silo dont on constate les dégâts, et qu’il est grand temps de nous poser la question du modèle urbain que nous voulons pour la France du 21e siècle.

Cet édito est extrait de L’Instant Urbain (février 2019). Inscrivez-vous pour ne pas manquer le prochain Instant Urbain.

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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