Édito

Quel rôle pour le numérique dans la réponse aux enjeux de la mobilité ?

La révolution numérique, ou l’illusion d’une décongestion urbaine

Contrairement à ses promesses, le numérique n’a pas réussi à réduire la congestion urbaine. Il a même contribué à renforcer les embouteillages quand on considère le nombre croissant de VTC dans nos métropoles. En plus de décongestionner nos cœurs métropolitains, les acteurs du numérique s’engagent, auprès des usagers, à optimiser leurs déplacements et ainsi faciliter la mobilité urbaine, bousculant alors les acteurs traditionnels. Cette promesse d’optimisation naît d’une volonté de pallier les dysfonctionnements de villes héritées d’un développement urbain fordiste, fondé sur le développement de la grande industrie intégrée dans la deuxième moitié du 20ème siècle. Sur un plan urbain, le fordisme s’est ainsi caractérisé par le recours à la périurbanisation pour satisfaire un besoin de foncier conséquent et abordable. Le corollaire de cette redistribution spatiale fut la construction de grandes infrastructures de transport (routes, autoroutes, chemins de fer) pour approvisionner en main d’œuvre, matières premières et énergie les industries nouvellement installées aux marges de la ville.

Loin de bouleverser cet ordre établi, les acteurs du numérique ne seraient-ils pas en train de se nourrir de ce désordre afin de se hisser en acteurs indispensables de la mobilité ? Dès lors, ont-ils intérêt à résoudre les problèmes de congestion urbaine ? Cette question, soulevée dans le rapport de La Fabrique de la Cité « Pour en finir avec (la fin de) la congestion urbaine », publié en mars 2019, a été posée à différentes personnalités issues de la mobilité et du numérique, à l’occasion d’une table ronde organisée par La Fabrique de la Cité le 20 juin 2019.

L’imbroglio du nouveau jeu d’acteurs

L’irruption des nouveaux services de mobilité urbaine (Uber, Lyft, Waze…) a pris de court les acteurs traditionnels du transport. Selon Antoine Courmont, responsable scientifique de la Chaire Villes et Numérique à l’École urbaine de Sciences Po, près d’un Français sur quatre utilise aujourd’hui Waze pour effectuer ses trajets et l’on ne recense pas moins de 103 000 VTC en 2017 dans les rues de la Big Apple. L’adjonction de ces nouveaux modes de déplacements urbains renouvelle le jeu d’acteurs et favorise les logiques de partenariats public-privé. Car qui dit ascension des acteurs privés issus du numérique ne dit pas nécessairement déclin des acteurs publics. Mathieu Saujot, coordinateur de l’initiative Numérique et Ecologie à l’IDDRI, estime à cet égard que l’acteur public est essentiel dans nos villes où il y a des « biens publics à gérer, ainsi que des services publics à construire ». Uber, Waze et autres entreprises du numérique ont d’ailleurs bien saisi l’enjeu de travailler main dans la main avec les collectivités s’ils souhaitent s’inscrire durablement dans le paysage de la mobilité urbaine.

Nos données au cœur de cette recomposition

Dans cette société servicielle, les acteurs de l’économie numérique jouent un rôle essentiel. La production, le partage et l’exploitation de la donnée y sont devenus des enjeux majeurs, si bien que les collectivités n’ont d’autre choix que de repenser leur rôle dans cette nouvelle répartition à l’heure du numérique. La mobilité réinterroge l’approche des partenariats public-privé tant les acteurs publics et privés ont besoin l’un de l’autre. En effet, les collectivités ont intérêt à disposer des données des acteurs privés pour garantir l’accessibilité et la fluidité ; quant aux acteurs issus du numérique, ils ont tout autant besoin des données publiques pour alimenter leurs services en continu, les rendre plus fiables auprès des utilisateurs et ainsi pérenniser leur action. Créer des partenariats public-privé pour mettre à disposition des villes de la donnée exploitable centrée sur l’utilisateur (trafic en temps réel, motifs de déplacement…), c’est précisément le souhait d’Hervé Levifve, conseiller technique au cabinet de Christophe Najdovski à la Mairie de Paris. Certes, la contrainte de mise à disposition de la donnée de part et d’autre est forte. Par ailleurs, force est de constater que, pour l’heure, nous ne disposons que de très peu de données sur les nouveaux usages de la mobilité douce, sans mentionner le manque d’expertises universitaire et professionnelle dans ce domaine. Il faudra du temps avant que ne s’amorce une amélioration significative de l’offre de transport, d’autant que ce progrès, qui s’appuie principalement sur l’exploitation des données des usagers, se heurte non seulement aux inquiétudes des utilisateurs mais également aux réticences des acteurs publics et privés à s’échanger leurs données respectives.

Le périurbain, grand oublié de la révolution numérique

Sans grande surprise, les cœurs métropolitains sont les seuls véritables bénéficiaires des nouveaux services du numérique ; alors qu’ils jouissent d’une offre pléthorique en moyens de transport, les zones peu denses, quant à elles, sont orphelines en solution de mobilité alternative à l’automobile. D’une part, l’offre en transport en commun y est généralement faible à cause de l’inefficacité financière et opérationnelle ; d’autre part, l’absence d’une masse critique suffisante d’utilisateurs n’encourage pas les acteurs issus du numérique à s’implanter dans le périurbain. Or c’est en périphérie que les besoins en mobilité sont les plus importants. Pour l’heure, Antoine Courmont reste convaincu qu’il n’existe pas d’alternative durable à l’utilisation de la voiture dans ces « déserts de mobilité », l’automobile restant le moyen de transport le plus efficace des usagers vivant en périphérie. Dès lors, comment améliorer l’intégration de ces espaces au reste du territoire ? L’enjeu est de mettre l’usager au cœur de la réflexion et ainsi lui proposer une offre intermodale visant à lui faciliter le passage d’un mode de transport à un autre. Telle est la promesse du MaaS (Mobility as a Service) avec son interface numérique unifiée offrant aux utilisateurs un large choix de solutions de transport dans leur zone de déplacement. Toutefois, le numérique à lui seul n’a pas la réponse à tous les dysfonctionnements liés à la mobilité urbaine. Si l’on entend désenclaver ces zones peu denses, il est nécessaire d’apporter à ces mobilités orphelines le portage politique et technique qu’elles requièrent, et de travailler également sur le lien entre numérique et infrastructures afin d’en faire évoluer les usages.

Cette recomposition des acteurs de la mobilité pose alors la question d’une nouvelle gouvernance à l’heure du numérique. Quel partage des rôles entre l’acteur public et l’acteur privé ? À ce sujet, Antoine Courmont ne croit pas en une gouvernance unique décidée par les instances politiques, mais plutôt en l’émergence de modes de gouvernance distincts selon les territoires et leur densité (cœurs de ville, périurbain, campagne…).

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La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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