Quelle réponse les acteurs privés peuvent-ils apporter à la crise du consensus ? Le point de vue de Xavier Huillard, PDG du groupe VINCI
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la nécessité d’entreprendre de grands travaux d’équipement pour moderniser la France faisait l’objet d’un large consensus ; l’État était alors considéré comme légitime à décréter l’utilité de ces grands projets et à en amorcer la mise en œuvre. Tel n’est plus le cas aujourd’hui, alors que les besoins d’équipements sont en grande partie pourvus et que la légitimité de l’État pâtit de l’atomisation des acteurs de l’aménagement. Dans un contexte général de crise de la démocratie et de prise de conscience généralisée de l’urgence environnementale, est-il encore possible de mener à bien de grands projets ? Un consensus peut-il encore se former autour de leur utilité ? Les entreprises sont souvent pointées du doigt lorsque l’on évoque la crise de consensus. En témoigne la récente adoption de la loi PACTE, qui inscrit dans le code civil le principe de la responsabilité environnementale et sociale des entreprises dans le cadre de leurs activités. L’acteur privé est aujourd’hui perçu, au mieux, comme étranger à l’intérêt général, au pire, comme le menaçant. La Fabrique de la Cité a interrogé Xavier Huillard, Président-directeur général du groupe VINCI et président de l’Institut de l’entreprise de 2011 à 2017, quant aux réponses que peuvent apporter aujourd’hui des acteurs privés comme VINCI à la crise du consensus et aux conditions de réalisation des grands projets.
La Fabrique de la Cité : Quelles réponses un acteur majeur des grands projets liés à la ville de demain, de la transition énergétique, de la construction et des concessions peut-il apporter à cette crise de consensus ? Comment faire en sorte que les projets voient le jour ?
Xavier Huillard : Notre perception des thèmes du développement durable a beaucoup évolué au cours des quinze dernières années ; nous le considérions autrefois comme quelque chose d’extérieur à la sphère économique dans laquelle nous avions le sentiment d’être légitimes. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas : la plupart des entreprises et VINCI en particulier sont intimement convaincues que, pour durer, elles doivent progresser collectivement sur les thématiques du développement durable et de l’environnement.
Par ailleurs, si l’on parle aujourd’hui des grands projets, la réalité est que la contestation descend progressivement vers des sujets de plus en plus modestes. Ce qui m’a frappé récemment, c’est la contestation d’une ferme solaire par le monde agricole, dont les acteurs considèrent souvent qu’ils doivent être prioritaires, alors que le monde de l’environnement considère, sûrement à juste titre, que l’on ne peut pas sauver la planète en détruisant la nature. L’extension de la contestation aux projets du quotidien nécessite que l’on trouve une solution car il va falloir agir pour les mobilités, pour la reconstruction de la ville sur la ville.
« La plupart des entreprises et VINCI en particulier sont intimement convaincues que, pour durer, elles doivent progresser collectivement sur les thématiques du développement durable et de l’environnement ».
La deuxième chose que je voudrais dire, c’est qu’on parle souvent des sujets qui fâchent : le contournement ouest de Strasbourg, Notre-Dame-des-Landes, des lignes électriques qui sont de plus en plus difficiles à faire passer, ce qui commence à devenir un vrai problème en Allemagne. Mais on ne parle pas de tous les projets qui parviennent à trouver leur place sans contestation particulièrement virulente ou de nature à les mettre en péril. Il faut rappeler que depuis quelques années, le pays s’est doté de plusieurs centaines de kilomètres d’infrastructures linéaires, de lignes à grande vitesse, avec très peu de contestation. Pourquoi ? Parce que nous avons compris que la meilleure manière de permettre à ces grands projets d’avancer, c’est d’installer l’ouverture, le dialogue, la concertation, pas à Paris, pas dans mon bureau : localement. Pendant la construction de la ligne à grande vitesse Tours-Bordeaux, nous avions des équipes de plusieurs centaines de personnes qui étaient présentes sur l’ensemble des 330 kilomètres de l’infrastructure et qui étaient là uniquement pour ça. Ces projets arrivent à avancer en dépit d’un certain nombre de difficultés. Donc oui, certaines infrastructures très emblématiques ont manifestement été des échecs, mais on ne parle pas de tous ces autres projets parfois extraordinairement impactants, menés sans contestation significative. Notre travail, ce n’est plus uniquement d’être capable de construire des tunnels, des ouvrages, de la route, des bâtiments. Notre travail, sur le terrain, c’est de créer les conditions qui permettent de s’assurer que le projet qui nous a été confié puisse être mené à bien, d’essayer de construire un consensus local suffisant pour que le projet continue à prospérer. Je crois qu’il y a trois conditions à cela.
« Notre travail, sur le terrain, consiste à créer les conditions qui permettent de s’assurer que le projet qui nous a été confié puisse être mené à bien ».
La première, c’est qu’il faut décentraliser. Le projet de Notre-Dame-des-Landes avait été conçu il y a quarante ans, dans un paradigme différent ; il aurait sans doute fallu l’adapter à celui dans lequel nous nous trouvons aujourd’hui. Cette notion du temps est tout à fait centrale. Le fait que l’abandon de Notre-Dame-des-Landes ait été annoncé sur le perron de Matignon est une erreur fondamentale. Pourquoi ? Parce que les projets doivent être portés localement par des leaders d’opinion, des politiques, des associations et le débat quant à leur utilité collective doit avoir lieu localement. L’abandon de Notre-Dame-des-Landes aurait dû être annoncé sur place. Il est plus facile de construire du consensus localement, du fait d’une sorte d’affectio societatis des habitants par rapport à leur région, qu’au niveau national. Faire porter les projets au niveau local ne nécessite pas de textes supplémentaires mais uniquement de décentraliser en faisant confiance aux gens qui vivent dans les territoires et qui savent mieux que nous ce qui est bon ou non pour ces derniers, savent mieux que nous comment construire des consensus locaux.
La deuxième condition, c’est qu’il faut trouver le temps et le courage de lancer des concertations à un moment où le projet dispose encore de grandes marges de manœuvre, de négociation et de créativité, et non à un moment où le projet est déjà figé. Comment peut-on attendre des gens qu’ils abordent la concertation avec bienveillance sans cela ? Il faut donc passer beaucoup de temps, des années s’il le faut : ce qu’ont fait les Suédois sur le projet de stockage géologique profond des déchets nucléaires en offre un bon exemple. Il faut prendre beaucoup de temps pour organiser la discussion, le dialogue, la concertation au niveau local, à un moment où la marge de manœuvre permet de prendre effectivement en compte les bonnes idées, les éclairages qu’on n’avait pas vus, de sorte que les gens aient vraiment le sentiment que la concertation a été utile.
La troisième condition est la suivante : une fois ces deux premières étapes respectées, il ne faut plus trembler ou hésiter car la moindre hésitation est utilisée par des oppositions résiduelles pour considérer qu’il y a encore suffisamment de marge de manœuvre pour bloquer le projet.
Il est donc impératif de changer notre logiciel en décentralisant, en faisant porter par des acteurs locaux, en organisant la concertation au niveau local et en prenant le temps de cette négociation, et ensuite avancer sans trembler.
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.