Portrait de ville

Saint Brieuc : Transformer les friches, un pari réussi pour redynamiser les centres-villes ?

Ce que nous ont appris les réflexions et travaux collectifs de l’atelier territorial à Saint-Brieuc le 4 mars 2025.

 

Faire des friches tertiaires et de la vacance commerciale et résidentielle une chance : tel est le défi que s’est lancé Saint-Brieuc.

 

Confrontée au cours des décennies passées à une érosion démographique, la ville en porte les traces dans ses quartiers centraux, marqués par une vacance importante. Ce phénomène prend aussi sa source dans l’expansion du commerce de périphérie durant les années 2000 et 2010, qui a détourné les consommateurs d’un cœur de ville autrefois animé et prospère. Dans ce tissu commercial fragilisé, l’équipe municipale élue en 2020 a cependant discerné une opportunité : celle de se saisir des locaux et immeubles vacants pour y créer une nouvelle offre résidentielle et commerciale, attractive et accessible à tous. De quoi répondre, dans le même temps, à une double évolution sociale : un attrait renouvelé pour les villes à taille humaine après la pandémie de COVID-19 et une tendance structurelle à la décohabitation, qui contraint un nombre grandissant de ménages unipersonnels et de familles monoparentales à se détourner du logement individuel en périphérie.

 

Cette ambition de redynamisation du centre-ville de Saint-Brieuc se traduit, depuis 2020, par le déploiement d’une politique volontariste de réhabilitation des friches tertiaires en cœur de ville. Le principe ? Avec l’aide de partenaires privés, valoriser la quinzaine de bâtiments et parcelles en déshérence que compte le centre urbain pour y développer notamment des logements locatifs de qualité, répondant aux besoins des Briochins. Une stratégie qui présente aussi l’avantage de limiter l’artificialisation des sols et de reconstruire « la ville sur la ville », dans un contexte où l’on estime que 80 % du parc immobilier de 2050 existe déjà. Cette politique s’accompagne d’une diversification des commerces, grâce à la remise sur le marché de cellules commerciales à loyers modérés, et d’un programme de transformation des espaces publics briochins.

 

À l’image d’autres villes moyennes étudiées par La Fabrique de la Cité, telles Bourges, Épinal, Roanne, Montbrison ou Libourne, Saint-Brieuc s’attache à fédérer l’ensemble des acteurs de la fabrique urbaine pour mener à bien ces projets qui requièrent à la fois expertise technique, pédagogie, accompagnement et volonté politique. Et explore, ce faisant, de nouvelles modalités de gouvernance et de financement des projets urbains, que les élus ont présentées aux participants lors d’un atelier territorial organisé par La Fabrique de la Cité le 4 mars 2025.

 

L’objectif : identifier les particularités de cette méthode briochine et en extraire des enseignements transposables à d’autres villes moyennes confrontées au défi de la revitalisation de leur centre-ville.

Hôtel de Ville ©Direction de la communication - Ville de Saint-Brieuc
Situation géographique
  • Chef-lieu des Côtes-d’Armor
  • 4ème pôle urbain de Bretagne
  • 5ème baie du monde par l’amplitude de ses marées
  • Distante de Paris de 2h15 en TGV

Source : ville de Saint-Brieuci

Quelques chiffres clés sur Saint-Brieuc
  • 44 224 habitants (2021) (contre 52 559 en 1975 et 46 209 en 2010)
  • Part de ménages unipersonnels (2021) : 53,2 %
  • Part de familles monoparentales (2021) : 10,6 %
  • Proportion de logements vacants (2021) : 10,7 %
  • Médiane du revenu disponible par unité de consommation (2021) : 20 910 €
  • Taux de pauvreté (2021) : 21 % (dont 38 % chez les locataires)
  • Nombre de créations d’entreprises, toutes formes sociales confondues (2023) : 678 (contre 408 en 2020 et 315 en 2017)

Source : INSEEii

Place du Guesclin ©Direction de la communication - Ville de Saint-Brieuc

Pour revitaliser le centre-ville, le pari des friches tertiaires

Créativité, volontarisme, innovation : la méthode briochine

Depuis plusieurs années, les villes moyennes confrontées aux défis de la décroissance démographique et du déclin de leurs activités historiques (industrie, commerce) manifestent un intérêt croissant pour la question des friches urbaines, qu’elles s’emploient à recenser, caractériser et valoriser. Saint-Brieuc ne fait pas exception, ayant connu au cours des deux décennies passées une fuite de l’habitat, des commerces et des services vers ses périphéries. Ce phénomène a laissé dans son sillage une trentaine de friches disséminées sur le territoire communal, dont la moitié en centre-ville, où, loin de l’image des grands sites industriels de périphérie, elles prennent la forme d’immeubles tertiaires désaffectés, étroitement intégrés au tissu urbain.

 

Depuis 2020, la municipalité a fait le choix de transformer ces friches en leviers de redensification et de revitalisation du cœur de ville, tout en servant les objectifs de sobriété foncière auxquels sont désormais astreintes les collectivités. « Dans les années 1970, la ville comptait 54000 habitants ; aujourd’hui, ils sont 45 000. En théorie, nous avons donc de quoi dimensionner nos infrastructures et notre bâti pour accueillir la croissance démographique à venir », explique ainsi Hervé Guihard, le maire de Saint-Brieuc. Avec l’intuition que la transformation de ces friches et les projets urbains qu’elles accueilleront, en offrant une ambiance et des services introuvables en périphérie, peuvent redonner aux Briochins et plus globalement aux Costarmoricains de bonnes raisons de se déplacer en centre-ville.

 

Cette vision s’est matérialisée par le lancement, en 2021, d’une démarche baptisée « Ouvrez les yeux sur Saint-Brieuc » (voir ultérieurement). Conçu comme un showroom « inversé », ce programme a permis de faire découvrir à une cinquantaine d’investisseurs venus de toute la France les opportunités offertes par treize friches à haut potentiel en cœur de ville. Le principe est simple – et inédit parmi les villes moyennes françaises : des représentants de la puissance publique sont présents sur chaque site pour en présenter aux investisseurs les caractéristiques et les contraintes et en retracer l’historique. Quatre ans après le lancement du programme, la quasi-totalité des friches identifiées a trouvé preneur.

 

Ces opérations de revitalisation de friches bénéficient, lorsqu’elles comprennent une dimension résidentielle, d’un soutien financier significatif de la part d’Action Logement (anciennement 1 % logement), présent à Saint-Brieuc depuis 2018 dans le cadre du programme national Action Cœur de Ville, et qui a depuis lors investi 5 millions d’euros dans la régénération du centre urbain. « Nous avons participé au financement et à l’accompagnement des bailleurs sociaux et investisseurs privés, avec une proposition de financement qui va jusqu’à 1 000 €/m2 pour un couple subventions/prêts à taux réduit », précise Yvonnick Leclerre, directeur territorial chez Action Logement Services. L’objectif : attirer des entreprises et de nouveaux habitants, pour recréer de la mixité sociale et soutenir l’emploi local.

 

« Ouvrez les yeux sur Saint-Brieuc » : un dispositif innovant au service de la transformation des friches

Déployée en 2021, l’opération « Ouvrez les yeux sur Saint-Brieuc » est née d’un constat : malgré de multiples appels à manifestation d’intérêt, les investisseurs délaissaient Saint-Brieuc, et les projets aboutissaient trop rarement, faute d’équilibre économique.

 

Pour remédier à cette situation, l’équipe municipale a recensé treize friches à fort potentiel situées en centre-ville. De cette cartographie a émergé l’idée d’un showroom inversé, conviant une cinquantaine d’investisseurs et d’opérateurs locaux, régionaux et nationaux à la découverte de chacun de ces sites. La singularité de la démarche réside notamment dans la transparence absolue dont fait preuve la collectivité, de la présentation exhaustive des diagnostics réalisés sur les fonciers disponibles à l’explication des modalités d’intervention envisagées en passant par la communication d’éléments chiffrés susceptibles de réduire l’incertitude et le risque financier pour les opérateurs.

 

Au terme de ces visites, la municipalité a reçu trois manifestations d’intérêt par friche en moyenne. « Nous avons ensuite mis en place une relation de proximité, jusqu’à trouver, pour chacune des friches, un opérateur motivé, déterminé à aller jusqu’au bout avec nous », précise Hervé Guihard. Une fois celui-ci identifié, la municipalité s’est employée à instaurer une relation de confiance. « Nous avons collaboré avec les investisseurs ‘’en mode VIP’’, en assurant des échanges réguliers avec les services de la ville et de l’agglomération, ce qui a permis de sécuriser les deux parties ». Un modèle potentiellement transposable dans d’autres territoires ?

Au-delà de Saint-Brieuc, les villes moyennes face à leurs friches urbaines

Saint-Brieuc n’est pas la seule ville moyenne à avoir pris conscience de la valeur inexploitée de ses friches, encore accrue par la politique de « Zéro Artificialisation Nette » (ZAN). Une évolution des mentalités qui procède, selon Jean Guiony, urbaniste et président de l’Institut de la transition foncière et de l’agence de conseil aux collectivités territoriales Aqua Alta, d’une lucidité nouvelle : « les collectivités commencent à comprendre la finitude des ressources et l’obsolescence du modèle de ‘‘l’urbanisme infini dans un monde fini’’ des décennies passées, qui a fait de la France le champion européen de la vitesse de consommation des sols ».

 

Pour autant, la connaissance des friches reste pour l’heure lacunaire à l’échelle nationale. Ainsi, si l’outil Cartofriches du Centre d’études et d’Expertise sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité et l’Aménagement (CEREMA) répertorie quelque 12 000 friches sur le territoire métropolitain1, le chiffre paraît largement sous-évalué, comme le souligne Jean Guiony, qui a recensé non moins de 1 300 friches2 dans la seule agglomération d’Angoulême. En outre, le modèle économique de la réhabilitation de friches reste à trouver : dans des bassins de chalandise caractérisés par une suroffre commerciale et résidentielle et par une vacance croissante, « la friche est l’exemple même d’un objet qui ne sait plus rentrer dans le marché, parce que ce dernier n’arrive plus à y appairer besoins et demandes », précise l’expert. Une absence de modèle économique qui s’explique par l’incapacité persistante du marché à intégrer les externalités négatives de l’artificialisation des sols, tout comme celles, positives, de la sobriété foncière.

 

Face à ces difficultés, plusieurs pistes se dessinent. « On pourrait imaginer la mise en place de bonus-malus en fonction de la dette écologique liée à l’artificialisation et, inversement, de la dette économisée par des travaux de recyclage, de surélévation ou de densification », préconise ainsi Jean Guiony. « Il faudrait aussi mener un toilettage généralisé de notre fiscalité, qui reste assez pro-artificialisation », poursuit-il, évoquant notamment la proportionnalité de la taxe sur les surfaces commerciales à la surface de vente.

 

En attendant de telles mesures, les montages innovants se multiplient en France pour favoriser la réhabilitation et la valorisation des friches urbaines. À Nantes, par exemple, les acteurs publics ont expérimenté un mode de gouvernance inédit : c’est sous l’égide de la Samoa3 que le groupe Legendre a lancé une consultation privée sur le devenir de l’usine Guillouard, qu’il venait d’acquérir. « Legendre avait besoin de l’assentiment de la Samoa; pour se l’assurer, l’entreprise Legendre a accepté que la Samoa organise la consultation concernant le site, en contrepartie de quoi la puissance publique a formulé des préconisations de programmation et de servitude », explique Jean Guiony, avant de citer un autre exemple : celui d’une ville moyenne qui, disposant de la maîtrise foncière partielle d’un site, est parvenue à convaincre l’investisseur concerné de lui communiquer ses bilans. En contrepartie de cette transparence, la collectivité s’est engagée à garantir à l’investisseur le taux de marge qu’il considèrerait acceptable. Une démarche garante de transparence que Jean Guiony souhaiterait voir généralisée : « ce n’est pas prévu par la réglementation ni par le droit. Mais, en France, on se demande trop souvent ce que le droit nous permet de faire, au lieu de nous demander ce qu’il n’interdit pas ! »

 

Du côté des architectes, également, l’inventivité est de mise, d’autant que les projets de réhabilitation de friches comportent leur lot de difficultés, à commencer par le coût de la mise aux normes des bâtiments ou de la reconversion d’espaces tertiaires en logements. « On essaie de s’emparer de ces freins en faisant preuve de créativité », explique Maxime Le Trionnaire, architecte associé de l’agence ALTA Architectes et président de l’Ordre des architectes de Bretagne. « C’est d’autant plus motivant que ces friches tertiaires ont souvent des trames intelligentes, des hauteurs sous plafond remarquables, ou encore des proportions de vitrage très intéressantes. Cela permet d’imaginer des logements exceptionnels ». L’occasion, aussi, pour les architectes d’apporter aux collectivités la preuve de leur faculté d’innovation et d’accompagnement ainsi que de leur valeur ajoutée face à l’impératif de sobriété foncière.

 

Gare, cependant, à voir dans la transformation de friche une panacée : « il n’y a bien sûr pas de programmes immobiliers rentables pour toutes les friches de France », prévient Jean Guiony. Pour les collectivités, l’approche gagnante consiste dès lors à conjuguer réhabilitation de friches et démolition, déconstruction, intensification, surélévation, occupation temporaire, ou encore renaturation. Et à choisir les outils les plus adaptés en fonction de l’histoire locale, préalable indispensable à l’adhésion de la population.

« C’est d’autant plus motivant que ces friches tertiaires ont souvent des trames intelligentes. »

— Maxime Le Trionnaire, architecte associé de l’agence ALTA Architectes et président de l’Ordre des architectes de Bretagne

De friche à pépinière : le Totem de l’Innovation

Désaffecté en 2013, l’ancien siège de la Caisse d’Allocations Familiales (CAF) de Saint-Brieuc, vaste bâtiment d’une superficie de 6 000 m², est acquis par la municipalité deux ans plus tard, en 2015. Un projet de bâtiment multi-opérateurs publics, destiné à héberger les services de la ville, de l’État et de la Communauté d’Agglomération de Saint-Brieuc, est envisagé un temps avant d’être abandonné à la suite du désengagement de l’État. En 2018, une nouvelle orientation se dessine avec la conclusion d’un bail emphytéotique entre la Ville, l’agglomération et la Chambre de Commerce et d’Industrie, visant à créer un « Totem de l’Innovation », du nom de ce label appliqué aux relais régionaux de la French Tech. Le principe : une pépinière d’entreprises innovantes entourée de l’ensemble des services nécessaires à leurs lancement et développement, de l’INPI au CNAM en passant par l’URSSAF. Désormais intégralement porté par l’agglomération, le programme comprend également des plateaux de bureaux en location et des espaces de coworking, un auditorium de 120 places et, dans un esprit d’ouverture sur la ville, un restaurant, des ateliers partagés et des espaces de réception modulaires. Sur le plan architectural, l’agglomération a privilégié la préservation de la façade originelle du bâtiment, caractéristique des années 1960, désormais enrichie d’une double peau associant verre en triple vitrage à contrôle solaire et éléments en bois. De quoi faire du Totem, à sa livraison, le plus grand bâtiment réhabilité passif de France.

 

Dans le même temps, une attention particulière a été prêtée à la conservation des éléments d’origine du bâtiment : ainsi, les anciennes portes de la CAF seront transformées en une cinquantaine de bureaux, dans le cadre d’un marché de mobilier en réemploi d’une enveloppe de 200 à 300 000 euros, inédit en France ; d’anciennes poignées de porte seront, elles, reconverties en patères.

 

Lancé en 2020, le projet devrait s’achever au printemps 2025. Son coût global s’élève à 13 millions d’euros, soit environ 2 000 €/m2, dont 5 millions proviennent de subventions de la Région, de l’État (via le programme Action Cœur de Ville et le Fonds pour le recyclage des friches) et de l’Union européenne (subventions de 2 millions d’euros dans le cadre du Fonds Européen de Développement Régional (FEDER)).

Totem de l'innovation ©Direction de la communication - Ville de Saint-Brieuc

La friche Allende, futur guichet d’accueil unique des Briochins

La friche Allende : c’est par ce nom que les Briochins désignent l’ancien siège du Crédit Agricole et des services de la Direction Régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE). Situé en plein cœur de la ville, cet imposant bâtiment, d’une surface de plancher de 5 600 m2, a été érigé en 1968 à l’emplacement d’un ancien couvent démoli deux ans auparavant. Inoccupés depuis 2018, les locaux présentent aujourd’hui des signes de dégradation : présence d’amiante, obsolescence des systèmes d’isolation et de chauffage… L’enjeu, pour la municipalité, consiste donc à révéler le potentiel architectural de l’immeuble pour en faire un lieu attractif, dynamique et parfaitement intégré à son environnement urbain.

 

En 2021, dans le cadre du dispositif « Ouvrez les yeux sur Saint-Brieuc », l’équipe municipale a proposé aux deux propriétaires du bâtiment, le Crédit Agricole et l’État, de mener un appel à projets conjoint pour identifier des promoteurs capables de faire revivre ce site grâce à un projet ambitieux. L’appel à manifestation d’intérêt, coordonné par la ville en 2023 pour le compte des propriétaires, a abouti à la sélection d’un opérateur local, Bleu Mercure. La proposition retenue articule plusieurs fonctions : des espaces tertiaires, associés à deux étages de logements, coiffés d’un bar en rooftop. Au rez-de-chaussée, conformément aux orientations définies par la municipalité, se trouvera un guichet unique d’accueil des Briochins, voué à accueillir quotidiennement 200 à 300 usagers et à regrouper 90 agents issus de différents services : écoles, crèches, loisirs, état civil, gestion des cimetières… Une ambition qui implique de concevoir un site capable de répondre à une multiplicité de besoins, en conjuguant notamment des bureaux, un pôle numérique d’accompagnement des usagers dans l’utilisation des téléservices et un espace d’accueil du public chaleureux et convivial. Pour y parvenir, la ville a mené auprès des usagers une enquête visant à mieux appréhender leurs relations aux services municipaux et a convié une quinzaine de volontaires à participer à une série d’ateliers. La livraison du projet est prévue pour 2027.

Friche Allende ©Direction de la communication - Ville de Saint-Brieuc

Vers une meilleure qualité de vie en centre-ville : redynamiser le commerce et rénover les espaces publics

À Saint-Brieuc, une vacance commerciale et résidentielle prononcée

Au-delà de la seule reconversion de ses friches tertiaires, l’équipe municipale briochine s’attache plus largement à relever le défi de l’attractivité commerciale, résidentielle et paysagère de son centre-ville. Avec un objectif en tête : la résorption de la vacance. Une problématique commune à de nombreuses villes moyennes, comme le rappelle Diane Gallais, directrice adjointe des programmes Action Cœur de ville et Petites Villes de Demain à l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT), qui relève que les dernières estimations disponibles montrent une légère augmentation de la vacance commerciale au niveau national. À Saint-Brieuc, ce phénomène s’est amplifié au fil des ans, exacerbé par la concurrence entre le centre-ville et les zones périurbaines. Une situation qui résulte directement de l’expansion marquée des périphéries commerciales dans les années 2000 à 2010. « Aujourd’hui, on compte 300 commerces rien que dans la zone de Langueux, au sud-est de Saint-Brieuc, contre 350 dans l’ensemble du centre-ville », constate ainsi Thomas Hubert, architecte-urbaniste à l’agence d’urbanisme Brest Bretagne ADEUPA. Si bien que 76 % des dépenses de consommation des ménages briochins s’effectuent en périphérie. Un infléchissement s’opère cependant depuis les années 2010, marqué par une chute du nombre de mètres carrés de commerce autorisés – conséquence non pas d’une diminution des demandes mais d’une hausse des refus motivée notamment par l’impératif de préservation des sols. Une bonne nouvelle pour le centre-ville, qui pourrait aussi bénéficier d’une autre tendance, sociale celle-là : à l’heure où la proportion de ménages unipersonnels dans la région atteint 40 %, les zones commerciales périphériques, fondées sur le volume et le modèle familial, apparaissent de plus en plus inadaptées. Pour rafler la mise, le centre-ville doit cependant surmonter des difficultés significatives. Parce qu’elle fut longtemps, à l’échelle des Côtes-d’Armor, une place commerciale de première importance, Saint-Brieuc vit les superficies commerciales se développer dans son centre ; pour développer des surfaces commerciales supplémentaires, les propriétaires furent nombreux à sacrifier les étages supérieurs des immeubles. De sorte que les cellules commerciales affichent aujourd’hui des loyers prohibitifs, tandis que leurs niveaux supérieurs sont inutilisés ou désaffectés depuis des années. Le résultat : un taux de 26 % de vacance commerciale dans le centre-ville élargi, des loyers déconnectés des réalités économiques, une pénurie aiguë de locaux répondant aux besoins contemporains (état général, superficie, configuration, visibilité…), et une perte d’habitat en centre-ville.

Parvis de la gare de Saint-Brieuc ©Direction de la communication - Ville de Saint-Brieuc

La concession et la foncière, deux outils au service de la régénération des friches

Pour stimuler l’implantation de commerces susceptibles de résorber la vacance et réintroduire sur le marché de l’habitat de qualité, la municipalité s’est dotée de deux outils. Le premier est une concession multisite d’aménagement d’une durée de dix ans, confiée à UrbaBreizh, société de projet créée par SemBreizh, la Société d’économie mixte de la région Bretagne, et Urbanis Aménagement, spécialiste du traitement de l’habitat dégradé et des opérations de recyclage en quartiers anciens. L’objet du contrat : intervenir sur une quinzaine d’îlots désaffectés ou dégradés, dont les étages servent actuellement de stockage aux commerces implantés en rez-de-chaussée, pour y créer 3 000 m2 de logements et 2 000 m2 de commerces. La méthode : un investissement de 17 millions d’euros d’UrbaBreizh, comprenant une participation financière de la ville de 5,5 millions d’euros, pour acquérir (à l’amiable, en préemption ou par expropriation), rénover et commercialiser les îlots concernés.

 

En complément de ce dispositif, une foncière commerciale a été constituée. Sa mission : acquérir des cellules commerciales en bon état, aptes à accueillir des activités commerciales, et avec un loyer modéré, les mettre à disposition des porteurs de projets compatibles avec la stratégie définie par la municipalité. Les deux mécanismes fonctionnent en étroite synergie : la foncière s’engage ainsi à acquérir auprès d’UrbaBreizh environ 1 500 m2 de surfaces commerciales issues de la concession, au prix moyen de 1 500 € HT/m2 de surface de plancher, tout en procédant parallèlement à l’acquisition en direct d’environ 1 500 m2 supplémentaires.

 

Les avantages de la méthode ? Ils sont clairs, pour Gaëlle Charrier, directrice territoriale Côtes-d’Armor de la SemBreizh : « contrairement à l’appel à projets, la concession permet à la puissance publique de garder une certaine maîtrise tout en rendant possible la réalisation de projets dans des zones où les modèles économiques sont compliqués »

 

Et pourquoi ne pas, à l’avenir, envisager un droit de regard de la municipalité sur les types de commerces autorisés à s’installer en cœur de ville ? « C’est en effet une demande qui remonte de la part des élus », observe Diane Gallais. Pour l’heure, Saint-Brieuc privilégie, pour promouvoir une diversification des commerces, un panel de politiques incitatives. « Cela passe par un travail quotidien de prospection de la part du manager de centre-ville et par la mise en relation de certains types de commerces avec des agents immobiliers ou avec la foncière ou la concession », explique Nicolas Nguyen, adjoint au maire en charge du commerce et de l’attractivité. À la clé : une offre commerciale différenciée et complémentaire de celles des périphéries, pour donner toujours plus de raisons aux Briochins de se rendre dans le centre-ville. Un objectif qui implique aussi, pour la municipalité, une stratégie plus globale d’embellissement des quartiers centraux et de leurs espaces publics.

 

Commerce, mobilités, espaces publics… L’importance d’une vision d’ensemble

« Le commerce, ce n’est pas une fonction isolée. Pour revitaliser le centre-ville, il faut construire une identité propre, proposer des services publics, du stationnement, des espaces de convivialité, travailler le cadre de vie et l’habitat », égrène Nicolas Nguyen. Face à cette multiplicité d’enjeux, le centre-ville de Saint-Brieuc peut s’appuyer sur des atouts substantiels : il compte ainsi un grand nombre de cafés-restaurants (représentant près d’un quart de l’offre commerciale de la zone) et de services liés au bien-être, à la santé et à l’hygiène. « On vient en centre-ville pour le plaisir, pour prendre soin de soi, pour flâner, mais aussi pour se retrouver. La convivialité de l’espace public est une façon pour le centre-ville de se différencier des périphéries », analyse Thomas Hubert. Pour cultiver cette convivialité, Saint-Brieuc a entrepris de transformer et de végétaliser ses places, tout en menant une trentaine d’opérations de ravalement de façades ainsi que des embellissements de terrasses. La métamorphose de la place de la Résistance (voir ultérieurement) illustre cette approche. Autrefois occupée par un parking, la place se forge désormais une identité nouvelle structurée autour de la culture : bordée par le théâtre national de la Passerelle, elle se situe également à proximité directe du Musée d’art et d’histoire de Saint-Brieuc et accueille enfin chaque année le festival Art Rock. Dans le même temps, le projet de la friche du Monoprix (voir ultérieurement), qui donne sur la place, doit permettre d’y ramener une fonction résidentielle. À ce projet s’ajoute enfin une activité commerciale portée par un marché hebdomadaire ainsi que par la présence de plusieurs commerces de bouche. Enfin, la végétalisation de la place doit lui permettre d’être plus attractive sur le plan paysager.

« La convivialité de l’espace public est une façon pour le centre-ville de se différencier des périphéries. »

— Thomas Hubert, architecte urbaniste à l’agence d’urbanisme Brest Bretagne ADEUPA

Animation culturelle, convivialité, végétalisation : la Place de la Résistance se réinvente

Trait d’union entre le centre commercial de la ville et son cœur historique, la place de la Résistance hébergea longtemps un parking d’une centaine de places. Dans le cadre d’une politique plus large d’apaisement, de piétonisation et de revitalisation des espaces publics, la municipalité briochine a engagé la transformation de cette place auparavant très minérale en esplanade piétonne, partiellement végétalisée, capable d’accueillir tant des événements culturels qu’un marché hebdomadaire ou des terrasses. Un parvis a ainsi été créé pour aplanir la place, ainsi qu’un espace couvert avec voiles faisant face au théâtre national de la Passerelle. Le projet devrait s’achever au printemps 2025.

 

En complément de cette transformation, la place accueille également un projet structurant de reconversion urbaine : la transformation de l’ancienne galerie du Monoprix, bâtiment commercial démoli en 2021. Propriété du Crédit Agricole, le site verra émerger d’ici 2027, sur une surface de plancher de 2 800 m², un ensemble mixte comprenant 34 logements en accession à la propriété (principalement des T3, typologie déficitaire à Saint-Brieuc), une surface commerciale en rez-de-chaussée et 25 emplacements de stationnement. Un double projet qui illustre la volonté de la municipalité de conjuguer requalification des espaces publics et diversification fonctionnelle, pour insuffler une nouvelle dynamique au cœur de ville

Le théâtre de la Place de la Résistance ©Direction de la communication - Ville de Saint-Brieuc

Conclusion

Saint-Brieuc a su identifier précocement l’enjeu stratégique que représentent les friches tertiaires de cœur de ville. Et a compris que derrière ce sujet se cache une question fondamentale : comment habiter, vivre et animer la ville de demain. À cette interrogation, la ville répond par une forme d’interventionnisme municipal, qui, loin d’entraver l’initiative privée, la stimule. Et la canalise par un cadre clairement défini, au sein duquel les acteurs politiques et économiques dialoguent, collaborent et ajustent, si nécessaire, leurs positions respectives, tout en faisant preuve de transparence. « Leur demander leurs bilans d’opération, être curieux et exigeants afin de mieux jauger de la qualité des projets, nous le devons à nos habitants », affirme ainsi Aline Le Boëdec, adjointe au maire en charge de la nature en ville, de l’urbanisme et du foncier. À cette méthode s’ajoute le déploiement simultané de deux outils – une foncière commerciale et une concession d’aménagement – qui permettent aujourd’hui à Saint-Brieuc d’espérer une transformation durable du tissu commercial et résidentiel de son centre-ville. Enfin, dans l’ensemble de ces initiatives, la ville a su mobiliser efficacement la puissance publique, qu’il s’agisse de la Banque des territoires, du programme Action Cœur de Ville ou des foncières logement. En définitive, Saint-Brieuc offre l’exemple d’une méthode de reconstruction de la ville sur la ville capable tant de contribuer à renforcer l’attractivité du territoire que de répondre au défi de la sobriété foncière. Cette démarche, ancrée dans les spécificités locales mais potentiellement transposable dans d’autres contextes territoriaux, ouvre des perspectives prometteuses pour la revitalisation des cœurs de villes moyennes.

Références

[i] Saint-Brieuc. Entre terre et mer. URL : https://www.saint-brieuc.bzh/action-publique/ville-attractive/une-ville-aux-multiples-facettes
[ii] INSEE. Dossier complet – Commune de Saint-Brieuc (22278). Paru le 11/02/2025. URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2011101?geo=COM-22278

[1] À partir des remontées de 20 observatoires locaux.
[2] Définies au sens large comme des biens dont l’intensité d’usage est trop faible, si bien que leurs entretien, recyclage et pérennité ne sont plus assurés.
[3] Société publique locale chargée de l’aménagement urbain de l’île de Nantes et de son développement économique dans les secteurs culturel et créatif.

La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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