Le regard d’Étienne Achille sur Cahors
Le texte lauréat du concours de nouvelles « La France des villes moyennes[1] » organisé par La Fabrique de la Cité avec Lire Magazine en pleine crise du COVID à l’automne 2020 a été écrit par Mathieu Lestrohan. Il évoque une ville moyenne :
« La ville de Quimper possède plus de cent ronds-points, notamment celui de Ludugris, premier rond-point dit à l’anglaise de France, c’est-à-dire avec priorité à gauche. Cela donne l’impression générale de vivre dans un flipper, ballotté de bumpers en bumpers. J’ai toujours vu les ronds-points comme une école de la vie. Un anneau intimidant comme une piste de danse, comme une prise de parole en public, on se lance, on hésite, faut y aller, ça klaxonne derrière. Il y a une sorte d’accouchement social, on entre dans un rond-point comme dans le grand monde, et on en sort au terme d’une chorégraphie sociale dont la beauté dépend de ceux qui nous entourent. La vie, quoi. »
Parler des ronds-points pour parler des villes moyennes ? N’est-ce pas une figure caricaturale des villes, et pas seulement des moyennes ? En parler, c’est plutôt pour la forme circulaire du rond-point qui peut apparaître dans un regard sur Cahors, au terme de cette deuxième édition des Rencontres des villes moyennes.
Ce regard se construit à partir des signes émis par Cahors et son territoire, à partir du sens produit ensemble lors des Rencontres, par le ressenti de terrain aussi, notamment lors de la très instructive visite du cœur de ville ancien.
Ce qui apparaît, c’est bien sûr, d’abord, le méandre du Lot, sa boucle qui enserre Cahors. Le Lot dont l’identité visuelle du département a grossi le « O » qui devient ainsi sa voyelle d’équilibre. Ce qui attire le regard, ce sont aussi les deux coupoles, rares, de la cathédrale Saint-Etienne, à l’épicentre de la ville historique.
Et puis, ce qui se voit moins mais qui est bien présent tout autour, là-haut, ce sont les arrondis des dolines, les cylindres des caselles de pierre sèche sur les causses du Quercy ; les arrondis des grottes, des cloups et des gouffres aussi, avec les circuits aquifères de cette géologie karstique si prégnante.
Ce sont donc les figures de la boucle, du rond, du cercle, du demi-cercle aussi de ce théâtre à l’italienne où se tiennent ces Rencontres.
Ces formes disent l’équilibre, le milieu, la moyenne, la centralité : en somme, la figure de la ville « d’équilibre », terme que le maire de Cahors préfère à la ville « moyenne ».
La ville d’équilibre favorise la circulation : ici, le Lot en est l’artère depuis bien plus de deux millénaires. Elle s’inscrit dans une logique du circuit. Ce dernier se veut de plus en plus court aujourd’hui, par exemple entre l’agriculture, l’alimentation et le consommateur, à l’image de la remarquable légumerie de Cahors et de la promotion de la qualité des IGP, AOP et autres labels des produits-phares du territoire. Le circuit se décline aussi en périmètre de services de proximité pour les habitants et les entreprises, ce que favorise l’échelle de la cité.
La ville d’équilibre prend aussi en compte le cycle de vie, sous diverses formes :
- la boucle du temps est une vieille affaire à Cahors où l’on peut à la fois parler de deux mille ans, de vingt mille ans, de deux cents mille ans ou de deux millions d’années tant les cycles de la présence humaine se superposent dans les strates du territoire. Cette boucle du temps s’illustre magistralement dans le « bâti ancien durable» tel que le dénomme Michel Simon, ancien premier adjoint au maire. La reconstruction de la ville sur la ville dans le cadre du Plan de sauvegarde et de mise en valeur du cœur de ville ancien est exemplaire de ce qu’il est possible de faire d’un patrimoine médiéval préservé avec exigence, et de surcroît, en ligne avec les objectifs de la transition énergétique grâce à la démarche innovante ENERPAT [2] qu’expérimente Cahors ;
- la boucle jeunesse-vieillesse, elle, cherche à articuler ces pôles de la vie par le développement de services mais aussi de liens, en phase avec l’évolution démographique du territoire ;
- et puis, les nouveaux cycles de vie sont aussi pris en compte par la ville d’équilibre. Cahors serait-elle une ville pour changer de vie ? Pour retrouver son équilibre dans l’après COVID, participant ainsi à l’accueil des lassés des métropoles et de la capitale ?
Les figures de la boucle, du cercle et du cycle parlent de tranquillité, d’authenticité, de simplicité et de qualité. Ce sont les mots mêmes du Projet de territoire du Grand Cahors [3]. Peut-être est-ce la boucle du Lot enserrant la ville qui structure cette identité avenante depuis tant de temps ?
Mais ces figures portent en elles un certain degré de risque de bouclage, de fermeture, de clôture et de repli.
Cahors a paré ce risque car elle a su ouvrir sa boucle en optimisant sa contrainte géographique.
Cahors s’est connectée, depuis longtemps, par une volonté politique résolue – les Cadurques, ancêtres antiques des cadurciens, n’ont-ils pas été les derniers à résister à César ? – bien visible dans l’action municipale actuelle, combinée à un dynamisme commerçant lui aussi tout aussi historique – avec son bazar génois tenu par la famille de Gambetta – que contemporain.
Cahors se connecte en réseau par la coopération territoriale au sein de son agglomération et au-delà. Elle se connecte à l’innovation aussi, qu’elle soit dans sa tradition viticole ou dans l’acoustique désormais, et dans l’architecture urbaine comme en témoigne avec éloquence le nouveau cinéma Le Grand Palais nominé dans la catégorie « Civic Building » des Dezeen Awards [4] 2021.
Il y a huit siècles que Cahors s’est ouverte à la connaissance. Son tout nouveau Campus connecté [5] est l’héritier numérique de l’université – l’une des premières de France – créée par le Pape Jean XXII que la ville a donné à l’Eglise. Depuis huit cents ans Cahors est bien un territoire apprenant, familier de l’immatériel.
On le voit, Cahors est ouverte au monde : telle est son histoire, son identité qu’elle offre à la découverte, à l’image du Château de Mercuès où les évêques du Lot déployèrent leur hospitalité huit cent ans durant. Mais Cahors reste vigilante et veut maitriser son tourisme pour lui conserver sa qualité, en quelque sorte le contenir dans le bel arrondi de la boucle du Lot.
Cahors apparaît comme forte de son attractivité, de sa désirabilité, assises sur la tradition de son identité duale nature/culture, sur sa personnalité, forte, enracinée. Ce qui ne l’empêche pas de se retrouver au centre des enjeux les plus contemporains tels que le climat et l’eau, enjeu au cœur de son ADN lorsqu’on s’appelle Divona depuis plus de deux mille ans.
C’est cela aussi qu’exprime l’étiquette « E3 » » qui fonde la stratégie de développement économique du Grand Cahors sur ses trois piliers : « Ethique, Esthétique, Environnemental ».
Cet essai d’un regard sur Cahors s’illustre bien par la boucle que représentent les deux sessions concluant nos Rencontres : Patrimoine et Numérique.
Au terme de ces trois jours, ce que l’on voit finalement le mieux se former autour de la figure symbolique du cercle, c’est le désir d’équilibre que suscite Cahors en dessinant son avenir à la dimension de son passé.
[1] https://www.lafabriquedelacite.com/publications/recueil-de-nouvelles-la-france-des-villes-moyennes/
[2] « Avec la révision du Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur du secteur sauvegardé (centre historique), la ville de Cahors a engagé une stratégie de reconquête de sa centralité. Elle s’est formalisée en plan d’actions structuré, reposant essentiellement sur l’expérimentation et l’innovation. De cette réflexion est née la démarche ENERPAT (Energie / Patrimoine) qui vise à développer sur le territoire un pôle de compétences à rayonnement régional sur la thématique de la réhabilitation énergétique du bâti ancien. » (source : Agglomération du Grand Cahors) https://cahorsagglo.fr/enerpat-sudoe
[3] https://cahorsagglo.fr/le-projet-de-territoire
[4] https://www.dezeen.com/awards/2021/shortlists/cinema-le-grand-palais/
[5] https://cahorsagglo.fr/le-campus-connecte-une-offre-de-formations-demultipliee
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.