Une mobilité efficace est-elle une mobilité de qualité ? Le point de vue de Guillaume Malochet
Vélib’, Blablacar, Ouibus… Autant de moyens de déplacements encore inconnus il y a quelques années. Nos modes de déplacements et nos usages se transforment aujourd’hui rapidement et la recherche d’un optimum entre qualité et efficacité du déplacement devient de plus en plus pressant. Ces évolutions invitent à repenser la mobilité, aujourd’hui gage de la qualité de vie. On ne considère plus seulement son efficacité mais aussi sa qualité en termes de bien-être et d’impact environnemental et social. La Fabrique de la Cité a rencontré Guillaume Malochet, directeur du marketing stratégique chez Eurovia, afin d’éclairer les liens possibles entre efficacité et qualité de la mobilité alors que les pratiques de la mobilité évoluent rapidement.
Qu’est-ce qu’une mobilité efficace ?
GM : Il y a plusieurs façons de voir l’efficacité. La première, la plus évidente, c’est le fait de réduire le temps de trajet, en utilisant les moyens de déplacement qui permettent, dans un contexte donné, d’aller plus vite d’un point A à un point B. Selon les contextes, cela peut être un vélo, un bus en site propre, le métro… ou la voiture !
L’important est de pouvoir faire un choix éclairé entre toutes les options possibles. Celui-ci repose de plus en plus souvent sur de l’information en temps réel. Chacun de nous en bénéficie par le biais de son téléphone et d’applications connues : Waze, Uber, Citymapper, etc.
Dans le même ordre d’idées, l’efficacité peut aussi désigner la disponibilité de tous les moyens de transport, à la demande. Je veux aller de A à B, un éventail d’options s’offre à moi, toutes sont performantes, mon arbitrage se fait en fonction de critères qui me sont propres : si je suis prêt à payer pour tel ou tel mode, si j’ai des préoccupations environnementales, si j’ai des bagages, une poussette, des enfants, etc.
« Une mobilité efficace, c’est d’abord une expérience sans coutures ».
Enfin, si on ne regarde plus l’expérience individuelle de mobilité mais le système d’organisation de la mobilité sur un territoire donné, le système est efficace s’il permet d’atteindre un équilibre des flux, un optimum comme disent les économistes. Cet optimum prend en compte le maillage des infrastructures, la congestion du réseau, les éventuelles pannes, les mouvements pendulaires, la météo, etc. La question à se poser est alors bien la suivante : la recherche d’efficience individuelle est-elle gage d’une qualité de service optimale pour tous ? Peut-on croire en l’existence d’une main invisible pour faire coïncider l’optimum individuel avec l’équilibre collectif ? Du point de vue de l’aménageur urbain, cette question se traduit ainsi : comment les systèmes de mobilité peuvent-ils s’adapter à la recherche d’une mobilité plus efficiente pour chacun ? Comment les infrastructures de mobilité peuvent-elles s’adapter aux usages individuels ?
À quelles évolutions de la mobilité les infrastructures doivent-elles faire face ?
GM : Je pense qu’on peut observer trois grandes évolutions d’usages aujourd’hui. La première c’est la hausse de la mobilité à la demande. 21% des Franciliens ont pris un VTC l’an passé pour leurs déplacements du quotidien alors qu’il y a encore trois ans, c’était une proportion négligeable. La deuxième évolution est la hausse de la mobilité partagée. 10% des Franciliens de plus de 18 ans ont fait du covoiturage au moins une fois en 2017. Enfin, la mobilité est de plus en plus co-modale. Les usagers combinent l’usage de différents modes et de différentes infrastructures de transport. 30% des Franciliens de plus de 18 ans ont un véhicule motorisé et un abonnement de transport collectif et utilisent régulièrement les deux modes.
Que signifient ces évolutions pour les infrastructures de transport ?
Ces nouvelles façons de concevoir et organiser notre mobilité ont deux conséquences majeures sur les infrastructures. Premièrement, les infrastructures doivent s’adapter pour pouvoir être, elles aussi, davantage partagées. Il faut qu’elles permettent la coexistence des différents modes de déplacement, en toute sécurité et en prévenant d’éventuels conflits d’usage.
« Les infrastructures doivent s’adapter pour pouvoir être davantage partagées. Il faut qu’elles permettent la coexistence des différents modes de déplacement, en toute sécurité et en prévenant d’éventuels conflits d’usage ».
Elles doivent aussi être reconquises pour permettre d’autres usages que ceux dédiés au seul déplacement. Les rues doivent par exemple pouvoir être rendues aux seuls piétons et cyclistes certains jours de l’année. Des villes comme New York, Buenos Aires ou Bogota, avec le projet Ciclovia par exemple, ont œuvré dans ce sens ces dernières années en fermant aux voitures l’accès d’un réseau de rues certains jours afin de donner une place centrale aux piétons et aux mobilités douces ou partagées.
Toutefois, ces évolutions ne se sont pas faites sans accroc : certains ont considéré que le partage de l’espace public entre les différentes infrastructures de transport consistait en un réel Streetfight, pour reprendre le titre du livre de Janette Sadik-Khan, déléguée au service de transport de la ville de New York de 2007 à 2013 alors que la ville était dirigée par Michael Bloomberg.
Deuxièmement, les infrastructures de mobilité doivent se réinventer pour apporter d’autres services. Je pense ici particulièrement aux transformations que pourra entraîner le développement des véhicules autonomes. Pour circuler, ils auront besoin de connectivité entre eux, c’est indéniable. Mais ils devront aussi s’assurer une connexion avec l’infrastructure sur laquelle ils circulent. Les routes devront être équipées, par exemple d’unités de bord de voie. La signalisation horizontale devra devenir intelligente. Les revêtements devront être absolument parfaits. Qui garantira que les véhicules autonomes peuvent circuler sans danger sur les routes ? En cas d’accident, les gestionnaires d’infrastructures seront mis au premier plan : aujourd’hui, si vous avez un accident, c’est simple, vous êtes responsable, vous n’avez pas maîtrisé votre véhicule. Demain, avec les véhicules autonomes, vous pourrez imputer l’accident au gestionnaire qui aura laissé se développer des nids de poules sur son infrastructure.
Qui peut prendre en charge les infrastructures de mobilité aujourd’hui ?
Derrière ces beaux projets pour repenser la mobilité et son organisation, une question demeure : avons-nous les moyens financiers de nos ambitions ? Qui peut assurer la charge financière de ces évolutions ? La qualité a un coût, que ce soit en matière de mobilité ou d’autres services…
« Avons-nous les moyens financiers de nos ambitions ? Qui peut assurer la charge financière de ces évolutions ? La qualité a un coût ».
Il n’est plus possible aujourd’hui d’établir des frontières fixes entre le secteur privé d’un côté et le secteur public de l’autre. Dans un tel contexte, quels partenariats public-privé peut-on imaginer pour repenser la mobilité ? Quels sont les investissements prioritaires et qui peut les porter ? En définitive, comment garantir que la mobilité reste un droit et que ce droit s’exerce de façon satisfaisante et efficiente, sans distinction sociale de l’usager ?
« Les défis que nous avons à relever exigent avant tout que nous fassions preuve d’imagination ».
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La Fabrique de la Cité
La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.