Point de vue d'expert

Vienne et la « smart city » : l’analyse de Thomas Madreiter

Les stratégies de « smart city » essaiment dans les villes, chacune proposant une définition particulière du concept. À la base du concept de « smart city », les nouvelles technologies, utilisées pour rendre la ville plus efficace, durable et inclusive. Autant de promesses qui font rêver les villes du monde entier. Vienne a cependant adopté une approche singulière, partant du constat de la pression accrue qu’exerce sa croissance sur ses ressources naturelles et financières. La stratégie de « smart city » viennoise cherche donc à répondre à la question suivante : comment garantir dans le futur le même niveau de qualité de vie qu’aujourd’hui ? Pour répondre à cette question, La Fabrique de la Cité a interrogé Thomas Madreiter, responsable de la planification à Vienne.

Thomas Madreiter lors du Séminaire international de La Fabrique de la Cité à Vienne (2018)

Que signifie le terme de « smart city » pour la municipalité de Vienne ?

Le terme de « smart city » est tellement employé aujourd’hui qu’il finit par en perdre son caractère. Tout est « smart » aujourd’hui. À Vienne, nous avons adopté notre propre définition de la « smart city » : est « smart » une ville qui met l’humain au cœur de ses préoccupations. On peut avoir l’impression que ce n’est qu’un discours politique mais, si on réfléchit bien, cette définition a une série d’implications très concrètes. Par exemple, dans le domaine économique, on place au centre des modèles les préoccupations des clients. En urbanisme, on se demande comment les habitants de Vienne peuvent se sentir bien dans leur ville et quelles mesures concrètes peuvent être mises en place.

« La « smart city » viennoise place l’humain au cœur de ses préoccupations ».

— Thomas Madreiter

Dès lors, les innovations technologiques sont très importantes pour la ville mais elles ne sont pas suffisantes. Il est nécessaire de se focaliser sur l’humain. Un exemple concret d’innovation humaine ? Le système de transport public viennois. La municipalité a mis en place un abonnement annuel à 365 euros. C’est loin d’être une innovation technique nécessitant des ingénieurs de haut niveau. Pourtant, depuis la mise en place de ce tarif, le nombre de voitures a diminué, contribuant à faire de Vienne une ville plus verte. Pour mettre en place sa stratégie de « smart city », Vienne a pu s’appuyer sur un secteur public fort et qui ne cherche pas la réduction des coûts à tout prix.

Vienne souhaite aussi être un exemple à l’international. Être une « smart city », c’est être une ville consciente de sa responsabilité à l’échelle mondiale.

« Être une « smart city », c’est aussi assumer ses responsabilités à l’échelle mondiale ».

— Thomas Madreiter

Et Vienne a conscience de cette responsabilité dans le domaine du climat. La municipalité cherche ainsi à proposer des solutions pour faire face au changement climatique et faire de la ville un exemple en matière environnementale.

Vienne tient donc à être une ville à la qualité de vie optimale. Mais que recouvre ce terme pour la ville ?

Posons en premier lieu un principe fort auquel nous tenons particulièrement à Vienne : le fait de vivre en ville n’est et ne doit pas être une entrave à la qualité de vie. Bien au contraire : vivre en ville est la solution pour atteindre une forte qualité de vie pour tous. C’est pourquoi on ne cherche pas à transformer Vienne en autre chose, à la rendre moins « urbaine » mais on assume cette position « une ville doit pouvoir être une ville». Toutefois, cela ne signifie pas qu’aucune action est requise et que cette qualité de vie pour tous est suscitée spontanément par le simple fait de vivre en ville.

Vienne et la qualité de vie : aperçu des initiatives de la ville et des défis à relever évoqués lors de la session Quelles réalités derrière la promesse du numérique pour la Smart City ? au séminaire international de la Fabrique de la Cité en juillet 2018.

La qualité de vie est une notion très complexe et multidimensionnelle. Pour la rendre possible, il faut bien sûr travailler sur la matérialité de la ville, c’est-à-dire, améliorer la qualité du cadre de vie. Il faut également savoir proposer certaines solutions techniques, par exemple pour proposer des logements de qualité et abordables. À Vienne cependant, nous mettons l’accent sur une dimension bien particulière de la qualité de vie : l’urbanité et la qualité du lien social. En effet, nous considérons que la qualité de vie passe avant tout par la mise en relation des habitants – que nous pouvons soutenir par exemple par l’aménagement d’espaces publics de qualité visant à créer des lieux de rencontre – ainsi que par la compréhension des besoins réels des Viennois qui seule nous permet de mener les actions adéquates. C’est pourquoi nous attachons une attention spéciale au dialogue avec les Viennois. Vienne ne prétend pas avoir la réponse à tous les problèmes qu’elle rencontre : le vieillissement de la population, le changement climatique, la fragmentation sociale de plus en plus forte restent des défis à relever… Mais le plus important est de chercher des réponses et d’accepter le dialogue.  C’est en cela que l’on peut affirmer que notre stratégie de ville intelligente participe à l’amélioration de la qualité de vie pour tous : elle nous permet d’organiser ce dialogue et on lui a fixé comme objectif de trouver des solutions pour l’ensemble de la population et pas seulement pour une partie de celle-ci.

« Une ville doit pouvoir être une ville. La ville n’est pas une entrave à la qualité de vie, mais bien une solution pour en faire bénéficier tous les habitants ».

— Thomas Madreiter

Comment évaluer la qualité de vie et l’efficacité de votre stratégie auprès des Viennois ?

Toute la difficulté des stratégies de « smart city » est de réussir à évaluer leur efficacité et leur impact. À Vienne, nous avons construit, en parallèle à l’élaboration de notre politique, un outil de suivi permettant de s’assurer que les buts fixés deviennent bien des réalités concrètes. Nous avons également créé une plateforme d’échange pour assurer le dialogue des différents acteurs impliqués tout au long des projets et de leur suivi dans le temps. Nous avons longuement réfléchi avant la mise en place de cet outil. Comment, en effet, évaluer des politiques holistiques menées sur le long terme ? Nous avons choisi de mener des enquêtes auprès des Viennois, pour mieux comprendre leur conception de la qualité de vie, toujours dans une optique de dialogue. Pour améliorer nos stratégies, nous avons entre autres recours à de nombreux instruments de sondage. Le bilan de notre première phase de « monitoring » montre que deux tiers des objectifs fixés sont atteints ou en phase d’être atteints et souligne les domaines où il faut accélérer nos démarches. Ce sont notamment les domaines de la mobilité électrique et de l’amélioration du trafic logistique, l’augmentation du PIB/habitant et la coopération transfrontalière, la question de la ville productrice de santé ou encore la cohésion sociale.

Qu'est-ce que la "smart city" pour Vienne ? Illustration de la session "quelles réalités derrière la promesse du numérique pour la smart city ?", séminaire international de La Fabrique de la Cité à Vienne, juillet 2018.

Le cabinet de conseil Mercer propose un classement annuel des villes selon la qualité de vie qu’elles offrent. Ce classement est né pour répondre au besoin d’entreprises multinationales qui souhaitaient évaluer le salaire adéquat à proposer à leurs employés expatriés. Cela fait maintenant neuf[1] ans que Vienne est en tête de ce classement. Quelle importance revêt le classement Mercer pour la ville de Vienne ? Dans quelle mesure influence-t-il la politique de la municipalité ?

Vienne est bien entendue très fière d’être classée première par Mercer. Les villes se font aujourd’hui concurrence à l’échelle mondiale pour attirer les meilleurs cerveaux, les meilleures entreprises et les meilleurs chercheurs…. Le classement est donc très important car il permet à Vienne d’avoir une forte visibilité à l’international et d’être attractive. Bien sûr, il y a toujours un risque car une fois que l’on est en haut de l’échelle, on ne peut qu’y rester ou en redescendre. Et Vienne attache une importance particulière à la conservation de sa première place : nous recherchons la stabilité.

[1] NDLR : en 2019, Vienne est à nouveau arrivée en tête du classement Mercer.

Ces autres publications peuvent aussi vous intéresser :

Couverture du portrait de ville de Toronto

Toronto : jusqu’où ?

Portrait de ville : Vienne

Vienne

La Fabrique de la Cité

La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

Recevez notre newsletter

Restez informé des études et de l’actualité de La Fabrique de la Cité en vous inscrivant à notre publication hebdomadaire.

Inscription validée ! Vous recevrez bientôt votre première newsletter.