Édito

Virage à 180°

Depuis des années, les urbanistes – et nous-mêmes – alertons sur la nécessité de ne plus voir dans l’espace public qu’un simple négatif de l’espace bâti ou un support pour accueillir différentes fonctions, notamment celle de circulation, et d’en refaire une clé d’entrée fondamentale de l’aménagement urbain pour répondre aux enjeux centraux auxquels sont confrontées nos sociétés urbaines contemporaines : ségrégation socio-spatiales, crise du vivre-ensemble, qualité de vie pour tous ou encore manque d’activité physique. Charte de qualité des espaces publics, plan stratégique d’échelle métropolitaine, urbanisme tactique… Les tentatives de remettre à l’agenda le design de ces espaces ont été nombreuses – les réalisations concrètes beaucoup moins.

La pandémie de COVID-19 remet au cœur du débat la question de l’aménagement de l’espace public et en révèle son indigence fréquente, quand ce n’est pas sa quasi absence, conséquence « d’arbitrages […] systématiquement favorables à la voiture ces quarante dernières années », comme le rappelle Vraiment Vraiment : trottoirs étroits, envahis de multiples dispositifs techniques et sur lesquels sont garés voitures, scooters, vélos, et autres trottinettes, piètre qualité avec des travaux de réfection (trop) souvent repoussés. Ironie du sort : si l’espace public ordinaire, support de nos déplacements quotidiens, fait l’objet d’un tel intérêt, c’est dans le but de permettre… la distanciation physique, la limitation des contacts et celle des déplacements, soit un virage à 180° et un renforcement des tendances identifiées par les urbanistes comme les plus mortifères pour le corps social.

Même si la pandémie est une crise conjoncturelle qui aura une fin, il faut se méfier des potentiels effets délétères de long terme que peuvent avoir certains aménagements de l’espace public – même temporaires – dont la forme modèle le rapport de chacun à la société et à autrui. C’est pourquoi, même – et surtout – en temps de crise où la responsabilité individuelle est engagée pour la santé de tous, l’objectif ne peut pas se limiter à celui d’enrayer l’épidémie. Il faut plus que jamais affirmer les liens qui nous unissent, « concilier « distanciation physique » et « rapprochement social » » selon la formule heureuse de Sylvain Grisot pour ne pas grever le capital social. Vraiment Vraiment propose en ce sens plusieurs pistes qu’il convient de creuser : regagner de « l’espace public capable », favoriser les mobilités alternatives à la voiture individuelle qui risque d’être la grande gagnante du déconfinement, et pour cela, penser leur condition de réalisation à l’échelle métropolitaine plutôt que seulement micro-locale, repenser le lien entre intérieur/extérieur pour « compenser l’affaiblissement des espaces intérieurs de sociabilité », miser enfin sur la qualité et l’inclusivité pour continuer à faire vivre l’urbanité et pour faire des dispositifs pensés aujourd’hui des jalons pour demain – en somme savoir gérer l’urgence aujourd’hui sans créer de nouvelles vulnérabilités dans le futur.

Toutefois ayons en tête que l’aménagement de l’espace public ne saura suffire : d’une part, parce que les murs de l’espace public ne peuvent être poussés indéfiniment, il faudra donc également réaménager les temps sociaux pour baisser la pression d’usage sur l’espace public. D’autre part, parce que si l’aménagement peut faciliter certains usages vertueux, il ne peut les contraindre – sauf au prix d’une surveillance généralisée. La réussite de la distanciation physique dans l’espace public repose donc aussi sur l’adhésion des usagers, sur leur compréhension de l’importance et de l’efficacité des mesures prises et donc sur une information claire et partagée. On retrouve ici les piliers fondamentaux de la résilience : l’action sur l’espace physique, le renforcement des liens sociaux, la culture du risque et la communication qui fonde la confiance.

→ Sur le même sujet : nos travaux sur l’espace public, et l’intervention de Chloë VOISIN-Bormuth pour Leonard  consacrée aux « Espaces publics, clé du confinement et du déconfinement ».

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La Fabrique de la Cité est le think tank des transitions urbaines, fondé en 2010 à l’initiative du groupe VINCI, son mécène. Les acteurs de la cité, français et internationaux, y travaillent ensemble à l’élaboration de nouvelles manières de construire et reconstruire les villes.

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