II. Le recentrage de l’objectif ZAN au service de la Stratégie Nationale Bas-Carbone
Des constats établis précédemment, il convient à présent de tirer un certain nombre de recommandations visant à recentrer l’objectif zéro artificialisation nette de sols au service de la Stratégie Nationale Bas-Carbone. Cela passe d’abord par la priorisation de l’objectif climatique dans les textes législatifs. Également, il est nécessaire de prendre en compte les stocks de carbone dans l’élaboration des documents d’urbanisme et de permettre la protection des sols les plus riches en carbone.
Rendre l’objectif climatique prioritaires dans les définitions de l’artificialisation et de la compensation
La manière avec laquelle l’objectif zéro artificialisation nette des sols a été introduit dans la loi Climat et résilience ne donne pas la priorité aux enjeux de stockage de carbone dans les sols. Cependant, la limitation de l’artificialisation mais aussi les méthodes de compensation peuvent jouer un rôle important dans la sauvegarde ou l’augmentation des stocks de carbone des sols. Pour que cette dimension soit prise en compte concrètement, nous proposons dans un premier temps que cet objectif soit inscrit comme prioritaire dans les définitions législatives.
1) Donner la priorité à l’objectif climatique dans la définition de l’artificialisation
Si la plupart des définitions appréhendent l’artificialisation comme la consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers[10], le législateur a privilégié l’atteinte des fonctions écologiques des sols. En effet, l’article 192 de la loi dispose que : « L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Comme détaillé dans notre première note sur le ZAN[11], si cette définition a le mérite de prendre en compte les fonctions écologiques du sol, elle ouvre la voie à la poursuite d’une multitude d’objectifs. Dans le but de rendre le ZAN plus lisible et de lui conférer un réel impact sur l’environnement, nous avons proposé l’idée de le recentrer au service de la SNBC, soit de faire de l’objectif climatique, à savoir la réduction des gaz à effet de serre, une priorité.
Nous proposons de modifier l’article L101-2-1 de la manière suivante : après « ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage » est ajouté la phrase : « La préservation de la fonction climatique des sols doit être considérée comme objectif prioritaire ».
Cette modification permet d’avoir un fondement juridique sur lequel le gouvernement pourra se fonder, notamment pour l’élaboration des décrets d’application du ZAN. Cette évolution législative est une première pierre afin d’inscrire le ZAN en cohérence avec la SNBC.
2) Faire de la compensation un moyen d’augmenter les stocks de carbone présent dans les sols
Dans la séquence « Eviter – Réduire – Compenser » (ERC)[12], la compensation intervient seulement en dernier recours, lorsque certains impacts n’ont pu être évités ou suffisamment réduits. La loi Climat et résilience ne détaille pas les modalités de mise en œuvre de ce principe dans le cadre du ZAN. Elle dispose seulement que des zones de renaturation préférentielles pourront être définies dans le cadre des SCOT, et que les mesures de compensation devront se faire en priorité sur ces zones[13].
Aujourd’hui, la compensation est principalement développée sous le prisme de la biodiversité, qui est le critère principal. On recherche une absence de perte nette de biodiversité, voire un objectif de gain de biodiversité[14]. Comme le pointe un rapport du Sénat[15], dans le cadre actuel, la mise en œuvre de la séquence ERC focalise l’évaluation et la définition des mesures compensatoires sur les éléments de biodiversité remarquables, soit sur les espèces protégées et les milieux naturels rares. Si cela est justifié par le danger de disparition qui pèse sur eux, elle laisse de côté une grande partie de la biodiversité dite ordinaire, ainsi que la considération des autres fonctions systémiques.
Pour ces raisons, et pour remettre l’objectif climatique au cœur de la séquence ERC, nous proposons que les mesures de compensation visent également à compenser le déstockage carbone issu de l’artificialisation. Cela implique que cette dimension soit prise en compte dans l’ensemble des processus de compensation, à la fois en amont (via le rapport d’impact du projet)[16], et en aval lors de son évaluation.
Faire du stockage carbone des sols un critère déterminant des politiques d’aménagement
Par leur caractère opérationnel, les documents d’urbanisme sont des éléments essentiels pour prendre en compte les fonctions des sols dans la planification. Afin de protéger les sols avec un taux de carbone élevé, il est nécessaire que cette considération soit prise en compte dans les documents d’urbanisme à différentes échelles et notamment au niveau du PLU(-i).
1) La prise en compte de l’élément carbone dans les SCOT et dans les rapports concernant l’artificialisation du territoire
En droit, les PLU(-i) doivent être conformes aux Schémas de cohérence territorial (SCOT), il convient donc que ces-derniers intègrent cette considération à la fois en amont, via leurs différents documents, qu’en aval. Dans la rédaction des différents documents composant un SCOT (rapport de présentation, projet d’aménagement et de développement durable, document d’orientations et d’objectifs), il est nécessaire d’intégrer cette dimension, pour que les PLU(-i) puissent s’y fonder. L’évaluation de cette prise en compte peut être effectuée par le bilan de la conférence des SCOT, instituée par la loi Climat et résilience, qui doit avoir lieu au maximum trois ans après la première réunion. Ce bilan pourra intégrer des données relatives à l’impact de l’artificialisation sur le déstockage de carbone organique présent dans les sols sur le territoire du SCOT.
Également, toujours dans une optique d’évaluation, la loi Climat et résilience impose aux communes et EPCI couverts par un document d’urbanisme de présenter « au moins une fois tous les trois ans, un rapport relatif à l’artificialisation des sols sur son territoire au cours des années civiles précédentes » (article 206). Nous proposons que ce rapport intègre un bilan carbone de l’artificialisation. Pour les EPCI de plus de 20 000 habitants, ce bilan peut également permettre de faire d’évaluer le respect de leurs objectifs fixés dans leur Plan Climat Air Energie Territorial (PCAET) qui, depuis un décret de 2016[17], doit prévoir « une estimation de la séquestration nette de dioxyde de carbone et de ses possibilités de développement ».
Établir un diagnostic de l’état des stocks et des potentiels de stockage carbone additionnel dans la révision ou l’élaboration des PLU(-i)
Afin que les stocks de carbone des sols et leur potentiel de stockage additionnel soient pris en compte de la manière la plus opérationnelle possible, il faut que cette considération soit intégrée lors de l’élaboration des PLU(-i). Le but est d’orienter la définition du zonage afin de protéger les sols d’une plus grande qualité et donc de limiter l’impact carbone de la consommation d’espaces.
Ainsi, la prise en compte des stocks de carbone dans les sols doit être effectuée aux différents niveaux d’élaboration du PLU(-i), soit au niveau du rapport de présentation, des orientations d’aménagement et de programmation ou encore du règlement. Nous formulons alors deux propositions relatives à la prise en compte du stockage carbone des sols dans les PLU(-i).
Premièrement, nous proposons que les orientations d’aménagement prioritaires (OAP) aient la possibilité de définir des zones à protéger en priorité de l’urbanisation en raison du niveau de leur stockage carbone ou de leur potentiel de stockage additionnel. Cette première étape d’identification permettra au règlement, établissant les règles générales d’utilisation des sols sur le territoire du PLU, de prendre en compte ces sols et d’orienter le zonage et l’ouverture des zones à urbaniser (AU) en ce sens.
Deuxièmement, au sein du règlement, nous proposons que pour toute nouvelle parcelle cadastrale déclarée zone à urbaniser (AU), dans le cadre de la révision ou de l’élaboration d’un PLU(-i), soit réalisé un diagnostic de l’état des stocks et des potentiels de stockage carbone additionnel sur les sols de la parcelle en question.
Renforcer juridiquement la protection des sols aux stocks de carbone élevés
Alors que l’artificialisation d’un sol conduit à un déstockage carbone immédiat, la reconstitution de ce stock de carbone peut mettre plusieurs dizaines d’années. La priorité doit donc surtout être de protéger les sols aux stocks de carbone importants. Pour ce faire, il est nécessaire de concevoir des outils permettant aux collectivités de protéger ces sols.
1) Etablir une nomenclature nationale des sols selon leur quantité de carbone permettant d’identifier les sols à préserver en priorité
Afin de pouvoir hiérarchiser les sols selon leur taux de carbone (en tonne de carbone par hectare – tC/HA), nous proposons qu’une nouvelle nomenclature soit élaborée. Le but est de permettre aux collectivités de s’y référer pour orienter leurs prises de décision. Cette nomenclature pourrait par exemple être élaborée de la manière suivante :