Édito

Zéro artificialisation nette : zéro pointé ?

« Nous avons inscrit dans le plan biodiversité le principe du zéro artificialisation nette. Et c’est aller plus loin et plus fort, ce que vous proposez. Alors allons-y ! Vous proposez d’éviter de nouvelles constructions qui mordent sur la nature quand des réhabilitations sont possibles, engageons-nous ! Allons-y ! Vous préconisez d’instaurer un moratoire sur les nouvelles zones commerciales en périphérie des villes, allons-y ! Allons-y, agissons ! ». L’orateur qui s’enflamme ainsi n’est autre qu’Emmanuel Macron, dans une allocution prononcée lundi devant les membres de la Convention citoyenne pour le Climat. L’objectif du « zéro artificialisation nette » (ZAN), c’est-à-dire de suspension de toute augmentation nette des superficies artificialisées, paraît louable : à l’heure de l’urgence écologique, la protection de la biodiversité et des sols naturels est indispensable. Mais que dire de la méthode ? Le « zéro artificialisation nette » présente plusieurs vices cachés.

Tout d’abord, personne ne sait très précisément ce qu’est l’artificialisation ni comment la mesurer. La définition qu’utilise le gouvernement considère comme artificialisés des sols agricoles, forestiers ou naturels dont on a modifié l’usage, ce qui revient à considérer les parcs et jardins comme artificialisés, et ce quels que soient les services écologiques qu’ils pourraient rendre. Un jardin ne vaudrait donc pas mieux qu’un parking, les deux étant comptabilisés comme également artificialisés ! Le bât blesse également du côté de l’évaluation quantitative de l’artificialisation : les études menées utilisent des méthodologies divergentes, leur permettant de conclure, pour certaines, que les sols français sont artificialisés à 9,3%, et pour d’autres, qu’ils le sont à 5,6% seulement.

Deuxième écueil : il existe une méprise fondamentale sur l’artificialisation, trop souvent assimilée à l’étalement urbain et à l’image d’une « France moche » dévorée par les zones commerciales. La réalité est plus complexe : l’artificialisation concerne aussi bien des zones urbaines très denses que des territoires ruraux. Elle n’est pas non plus le corollaire systématique d’une croissance démographique et économique vigoureuse car elle touche tout aussi bien des territoires en décroissance ou faible croissance démographique et économique ; c’est le cas de la Corrèze, dont le taux d’artificialisation a crû de 13% entre 2006 et 2015, alors même que sa population n’augmentait que de 0,4%.

Troisième point : la politique du « ZAN » souffre, fondamentalement, d’une insuffisante prise en compte de la complexité. Ainsi, le ZAN ne signe pas la fin de l’artificialisation des sols mais consacre plutôt la nécessité de « renaturer » des surfaces artificialisées à mesure que l’on en artificialise d’autres. Si l’idée peut sembler vertueuse sur le papier, elle se heurte au principe de réalité : les sols et leurs caractéristiques ne sont pas identiques ni même semblables et ne sont donc pas interchangeables à l’envi. Le ZAN occulte aussi le fait que toute artificialisation n’est pas forcément indésirable. Les sols artificialisés le sont principalement au profit du logement : la moitié des surfaces artificialisées entre 2006 et 2014 l’ont été pour l’habitat, rappellent l’INRA et l’IFSTTAR.

Peut-être faut-il déplacer le débat de l’artificialisation vers l’émiettement, le second menaçant bien plus les équilibres territoriaux que le premier, comme le rappelait déjà en 2013 le sociologue et urbaniste Éric Charmes. « C’est moins la disparition, de toute façon relativement limitée, des terres agricoles qui pose problème que la nature et la localisation des terres artificialisées et notamment le mitage des territoires ruraux […] Le monde agricole se trompe en réclamant un arrêt de l’artificialisation », concluait-il alors. « Il serait plus avisé de réclamer une meilleure organisation des extensions urbaines et une meilleure planification ». Et de mettre en garde contre les écueils d’un « malthusianisme foncier », « source d’étalement fonctionnel des villes et contribu[ant] à la crise du logement ». À bon entendeur !


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